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Dimensions sociales, économiques, et politiques de la biodiversité

CHAPITRE 1 - INTERACTIONS ENTRE ECOSYSTEMES ET ORGANISATIONS, ET VIABILITE DES

1.4 Dimensions sociales, économiques, et politiques de la biodiversité

1.4.1 Conséquences de la dégradation de la biodiversité pour l’espèce humaine

La plupart des changements que l’espèce humaine opère au niveau des écosystèmes sont conduits en vue de répondre à une croissance considérable de la demande en nourriture, eau, bois et autres matériaux de construction, fibres, et énergie. Ainsi, les changements enregistrés au niveau des écosystèmes ont contribué à des gains nets substantiels sur le niveau du bien-être et le développement économique de certaines populations. Le MEA met en évidence que ces gains ont été acquis de manière croissante au prix d’une dégradation de nombreux SE, de risques accrus de manifestations de changements non linéaires, et de l'accentuation de la pauvreté pour d’autres catégories d’individus (MEA, 2005b).

1.4.1.1 Conséquences sociales de la dégradation de la biodiversité

Sur les 24 services retirés des écosystèmes étudiés par le MEA (2005b), 15 sont en cours de dégradation ou d’exploitation de manière non rationnelle. Au cours des 50 dernières années, les SE suivants ont connu une diminution particulièrement importante : pêche, approvisionnement en eau, traitement des ordures et désintoxication, purification de l'eau, protection contre les risques de catastrophe naturelle, régulation de la qualité de l'air, du climat régional et local, protection contre l'érosion, plénitude spirituelle, et plaisir de l’esthétique (MEA, 2005b). La pêche et l’approvisionnement en eau douce, notamment, sont exploités bien au-delà des niveaux qui peuvent leur assurer une certaine durabilité : un quart des importants stocks commerciaux de poissons sont surexploités et près de 25 % de l’utilisation d'eau douce au niveau mondial excède les capacités d’approvisionnement accessibles à long terme. Tandis que ces 15 SE ont subi des dégradations, le MEA (2005b) considère que seuls quatre autres SE ont connu un renforcement au cours des 50 dernières années, dont trois sont liés la production de nourriture (culture, élevage, aquaculture), le quatrième étant la séquestration de carbone.

Ces constats mettent en lumière les interrelations complexes qui régissent les choix de développement humain et les réponses des systèmes vivants : les actions visant l’augmentation d’un SE particulier provoquent souvent la dégradation d'autres services, et par là même une diminution du bien-être humain.

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Toujours selon le MEA (2005b), la dégradation des SE (souvent occasionnée par ou pour les populations les plus favorisées économiquement) entraîne des effets néfastes pour de nombreuses sociétés humaines, et en particulier pour les populations pauvres du monde. Si bien que les auteurs considèrent que ce phénomène constitue souvent le principal facteur responsable de la pauvreté et des conflits sociaux. Si les changements qui sont intervenus au niveau des écosystèmes pour assurer une production plus importante de nourriture ont pu aider de nombreuses personnes à sortir de la pauvreté ou de la faim, ces changements ont également causé de nombreux préjudices à d'autres individus et communautés. Ainsi, lorsqu’on superpose la carte mondiale de concentration des richesses biologiques avec celle de la richesse économique, on s’aperçoit qu’elles sont souvent inversement corrélées : au total, 1,3 milliard de personnes vivent dans des conditions d’extrême pauvreté, généralement dans des régions riches en biodiversité (Chevassus-au-Louis et al., 2009). Les populations locales des pays en développement dépendent principalement, pour leur nourriture et leur santé, des écosystèmes dans lesquels elles vivent ; les populations des pays riches puisent dans l’ensemble des écosystèmes de la planète, qu’il s’agisse de biens (en particulier alimentaires et énergétiques) ou de services (Ibid.).

Plus les changements globaux s’amplifient, plus les phénomènes sociaux néfastes qui en résultent (diminution de bien-être, inégalités, etc.) risquent de prendre de l’importance, en raison des phénomènes de rupture qui peuvent intervenir : les changements provoqués au niveau des écosystèmes augmentent la probabilité d’apparition de changements non linéaires à ce niveau (dont des changements accélérés, brutaux, et potentiellement irréversibles), avec des conséquences importantes sur le bien-être humain (MEA, 2005b). Les exemples de tels changements incluent l'apparition de maladies, la détérioration brutale de la qualité de l'eau, l’apparition de « zones mortes » dans les eaux côtières, l'effondrement de la pêche, et des perturbations au niveau du climat régional (Ibid.).

1.4.1.2 Conséquences économiques de la dégradation de la biodiversité

Les coûts économiques liés aux dommages subis par les écosystèmes peuvent être substantiels. Plusieurs études ont été menées depuis les années 1990 dans le but de les évaluer, aux niveaux académiques et institutionnels, et à des échelles régionales et globales. A titre d’exemple, le MEA (2005b) cite l'effondrement au début des années 1990 de la pêche à la morue sur l’île de Terre-Neuve, due à la surexploitation de la ressource, qui s’est traduit par la perte de dizaines de milliers d’emplois et a coûté au moins deux milliards de dollars. En 1996, les coûts de l'agriculture au Royaume-Uni liés aux dommages causés par les pratiques

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agricoles au secteur de l'eau (pollution, eutrophisation), à l'air (émissions de gaz à effet de serre (GES)), au sol (érosion), et à la biodiversité étaient évalués à près de trois milliards de dollars selon la même étude. Par ailleurs, les pertes économiques annuelles dues à des phénomènes extrêmes ont décuplé depuis les années 1950, pour atteindre environ 60 milliards de dollars en 2003, avec 84 % des pertes imputables à des catastrophes naturelles (inondations, feux, orages, sécheresses, tremblements de terre) (Ibid.).

A la suite du très médiatisé rapport Stern (2007), qui évaluait les conséquences économiques de l’inaction à l’horizon 2050 relativement aux dérèglements climatiques à l’échelle mondiale, un travail de même nature portant sur la dégradation des écosystèmes a été réalisé à la demande de la Commission européenne et du gouvernement allemand. The Economics of Ecosystems and Biodiversity (Braat et ten Brink, 2008 ; TEEB, 2009) propose une évaluation des coûts de l’inaction relativement à l’érosion de la biodiversité et à la perte de SE. Un rapport intermédiaire du groupe de travail, publié en 2008, fournit les résultats suivants à l’échelle globale (les rapports suivants s’attachant à définir des valeurs monétaires par type d’écosystème) : en prenant pour référence le niveau de biodiversité estimé à l’année 2000, les auteurs déterminent que la perte monétaire annuelle due à la disparition des SE pourrait s’élever en 2050 à plus de sept pourcent du PIB mondial, soit 13938 milliards d’euros (Braat et ten Brink, 2008).

1.4.2 Prise de conscience des interdépendances entre sociétés humaines et biodiversité

Houdet (2010), en s’appuyant notamment sur les écrits d’Aubertin (2000) et Barbault et Chevassus-au-Louis (2004), soutient que la biodiversité, loin de ne représenter qu’une nouveauté terminologique, est porteuse d’une rupture conceptuelle majeure, en ce sens qu’elle surpasse le seul cadre des sciences de la vie et de la protection de la nature en replaçant les humains et leurs sociétés dans le monde vivant. Cette vision du monde, proche de celle de Passet (1979), met l’accent sur les interconnexions entre systèmes vivants et systèmes anthropiques et sur les rétroactions qui en résultent. La biodiversité et les écosystèmes conditionnent l’évolution des sociétés humaines qui s’y développent, à travers l’orientation de leurs modes de vie et de leurs cultures : langues, religions, alimentations, choix de développement, utilisations des terres et des ressources, arts, traditions, etc. (Barbault 2006, UNESCO 2008, cités dans Houdet, 2010). En retour, les comportements des sociétés humaines correspondent à des facteurs d’évolution intrinsèques de la biodiversité (Ibid.).

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1.4.2.1 Appropriation de la biodiversité aux différentes échelles des sociétés humaines

Compte tenu de la nouvelle perception du monde portée par le concept de biodiversité, chaque individu ou groupe d’individus est considéré comme acteur de la biodiversité. Les discours à son égard se sont donc diversifiés, globalisés, et ont été assimilés par les différents compartiments de nos sociétés. On assiste par exemple, au niveau académique, à un décloisonnement progressif des différentes disciplines afin de reformuler les problématiques de manière transversale (Houdet, 2010). Tous les décideurs, à différents niveaux, du local à l’international, et de différents types, qu’ils soient publics, privés, communautaires ou collectifs sont concernés : gouvernements, organisations internationales, communautés locales et peuples autochtones, organisations non gouvernementales, scientifiques, juristes, médias, consommateurs, entreprises, etc. (Chevassus-au-Louis et al., 2009).

1.4.2.2 Introduction de la biodiversité dans le champ politique

L’introduction, dans le champ politique, du concept de biodiversité – et les évolutions perceptives qui l’accompagnent – aboutit en particulier à questionner les choix et les modèles de développement (Houdet, 2010). Elle se conceptualise « dans ses rapports avec les enjeux majeurs que sont par exemple la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire et l’approvisionnement en eau potable, la croissance économique, les conflits liés à l’utilisation et à l’appropriation des ressources, la santé humaine, animale et végétale, l’énergie et l’évolution du climat. Cette vision implique de lier biodiversité et bien-être humain dans l’esprit de la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement » (Babin et al., 2008, cités dan Houdet, 2010).

L’adoption en 1992 de la CDB élargit les responsabilités de nos sociétés, dans l’objectif de préserver le potentiel évolutif du vivant, d’en préconiser des usages durables, et de partager équitablement les bénéfices retirés de la biodiversité (Houdet, 2010). Les atteindre questionne, selon l’auteur, la manière dont ces enjeux peuvent être intégrés dans la gouvernance des états, dans les processus de décision (publics et privés, individuels et collectifs), et met en exergue l’importance de développer et mobiliser des outils de gestion adaptés à la structuration des sociétés humaines et de leurs activités (aux formes organisationnelles notamment) : modes de régulation économique eu égard à la biodiversité, et indicateurs de suivi et de pilotage des interactions entre activités humaines et biodiversité (Ibid.).

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