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Différenciation des situations dans lesquelles se produisent les interactions entre organisations et

Dans le document Biodiversité et stratégie des organisations (Page 121-126)

CHAPITRE 2 - GERER LES SYSTEMES SOCIO-ECOLOGIQUES PAR LA MISE EN ŒUVRE D’APPROCHES

2.2 Différenciation des situations dans lesquelles se produisent les interactions entre organisations et

2.2.1 Critères de différenciation des situations d’interaction entre organisations et écosystèmes

Les interactions entre organisations et écosystèmes peuvent se produire dans des situations variées, auxquelles se rattachent des enjeux spécifiques en termes de stratégie pour les organisations. Si ces situations peuvent être caractérisées selon des critères variés, par exemple d’ordre écologiques (nature et sensibilité des écosystèmes, nature, quantité, qualité des SE, etc.) ou socio-économiques (nombre et type d’agents impliqués, capacités financières des agents, degré de dépendance aux SE, etc.), nous proposons de les différencier selon deux caractéristiques jugées primordiales du point de vue des objectifs stratégiques des organisations : d’une part, la nature des interactions qui s’y produisent – influence ou dépendance –, et de l’autre, la détention ou non de droits d’usage associés aux écosystèmes en jeu, et donc la maîtrise ou non de leurs modalités de gestion.

Les objectifs stratégiques, dans les situations d’interaction organisation-écosystème, se définissent en premier lieu par la nature de l’interaction, autrement dit son « sens » par rapport à l’activité productive de l’organisation : flux entrant, traduisant une dépendance aux SE, ou flux sortant, indiquant une influence sur les structures écologiques. Des circonstances de dépendance par rapport à un SE induisent en effet souvent des enjeux stratégiques distincts de ceux liés aux contextes d’influences sur les écosystèmes. De manière schématique et dans une logique utilitariste, une situation de dépendance écologique sera de nature à soulever des

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objectifs de sécurisation des avantages qui en sont retirés, alors qu’un contexte d’influence écosystémique négative pourra faire émerger des objectifs d’atténuation ou de minimisation des coûts. Ces situations peuvent toutefois être corrélées, notamment lorsque les influences écosystémiques de l’organisation ont des répercussions directes sur un ou plusieurs des SE dont elle dépend. Dans ces circonstances, les enjeux d’atténuation des pressions, voire de gestion environnementale vertueuse, se superposent alors à ceux de sécurisation des bénéfices écosystémiques.

Nous proposons, en complément, de différencier les situations dans lesquelles se produisent les interactions écologiques des organisations en fonction du pouvoir de décision de l’organisation sur la gestion de l’écosystème concerné. En effet, les enjeux stratégiques des organisations diffèrent fortement selon qu’elles détiennent ou non ce droit d’usage (direct ou indirect via la contractualisation). On peut l’illustrer, par exemple, en se référant à une situation de dépendance à l’égard d’un SE : dans le cas où l’organisation peut contrôler la gestion de l’écosystème qui en est à l’origine, il s’agira pour elle, dans une optique utilitariste, d’y mettre en œuvre des pratiques favorables à la pérennisation du SE (ou d’obtenir leur mise en œuvre). Lorsque l’organisation n’a, en revanche, aucun pouvoir de décision sur la gestion de l’écosystème (ou un pouvoir trop faible ou diffus), son premier objectif sera justement d’en acquérir la maîtrise, par des mécanismes contractuels par exemple.

2.2.2 Matrice des situations d’interaction entre organisations et écosystèmes

Nous avons considéré que deux principaux facteurs influencent les objectifs stratégiques des organisations dans la gestion de leurs interactions avec les écosystèmes :

- la nature de ces interactions : dépendance à l’égard des SE / influence sur les structures écosystémiques ;

- la capacité de l’organisation à contrôler (directement ou indirectement) les modes de gestion des écosystèmes : pouvoir de décision sur la gestion de l’écosystème / aucun pouvoir de décision ou pouvoir limité.

Le croisement de ces deux facteurs nous permet de constituer une matrice différenciant les contextes socio-écologiques dans lesquels les organisations et les écosystèmes interagissent, et de caractériser les objectifs stratégiques particuliers (du point de vue des organisations) qui s’y rattachent (cf. Tableau 8).

La définition de ces objectifs – c’est-à-dire les défis auxquelles les organisations sont confrontées – repose sur les considérations exclusivement utilitaristes qui ont tendance à

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animer les comportements des organisations, et en particulier des entreprises (Capron, 2003). Ces considérations utilitaristes interviennent explicitement dans les situations de dépendance aux écosystèmes, qui mettent en jeu des éléments participant aux capacités productives de l’organisation. Dans ces contextes, la définition des objectifs relève principalement du maintien dans le temps des SE dans des conditions optimales de qualité et de quantité, via une gestion adaptée des écosystèmes. En revanche, les cas dans lesquels l’organisation influence des écosystèmes dont elle ne tire aucun avantage manifeste ne semblent pas impliquer d’autre intérêt utilitariste que celui de gérer au moindre coût ces incidences. Le fonctionnement générique des AV – selon lequel ces instruments procurent divers bénéfices à l’organisation qui les met en place par l’intermédiaire des parties prenantes (cf. sous-section 1.3) – nous pousse toutefois à nuancer cette considération. Il révèle, dans ces situations d’influence écologique, un intérêt utilitariste indirect à la gestion de ces influences : celui de percevoir en retour les divers avantages que peuvent lui accorder certaines parties prenantes (bénéfices monétaires directs (e.g. rémunérations), indirects (e.g. gains de parts de marchés), évitement de désavantages (boycotts, scandales médiatiques, etc.)). Accéder à ces avantages exige avant tout, de la part de l’organisation, l’identification de ces parties prenantes. Dans son acception commune, la plus extensive, une partie prenante représente un « individu ou groupe d’individu qui peut influencer ou être influencé par la réalisation des objectifs de l’organisation » (Freeman, 1984). Cette considérable variété d’agents n’étant pas constituée exclusivement d’agents en capacité de lui procurer des bénéfices ou de lui nuire, il importe pour l’organisation de les catégoriser. Les travaux portant sur l’analyse critique de la théorie des parties prenantes, sur laquelle est basée le courant de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et dans laquelle s’inscrivent la plupart des AV (Brodhag et al, 2004 ; Semal, 2006a et 2006b), nous apporte ici un éclairage intéressant sur ces questions de légitimation des parties prenantes. Si l’ensemble des représentations de la RSE partent du principe qu’il est possible et souhaitable d’obtenir une convergence entre les objectifs des organisations et les revendications des parties prenantes, le caractère non légitime d’une partie des revendications des parties prenantes est mentionné depuis les fondements de la théorie des parties prenantes, en particulier par Friedman (1970, cité dans Gond et Mercier, 2004). L‘existence de potentiels antagonismes entre les organisations et leurs parties prenantes limite quelque peu la portée de ces approches et induit un nécessaire choix, c’est-à-dire l’établissement d’une hiérarchie des parties prenantes de la part de l’organisation (Capron, 2008). Ainsi, la théorie des parties prenantes conduit à une conception limitante de la RSE – la responsabilité de l’organisation envers la société dans son ensemble – en la réduisant à la seule responsabilité envers les

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acteurs considérés comme « partie prenante », et donc à l’exclusion d’une partie d’entre eux (Ibid.). En effet, « la reconnaissance du statut de SH [stakeholder, partie prenante] à une entité s’appuie largement sur un processus d’analyse du caractère légitime de cette entité » (Gond et Mercier, p.3), conduisant à ignorer les parties prenantes les plus faibles (non organisées, peu audibles, etc.), muettes (espèces animales et végétales), ou absentes (générations futures, victimes potentielles, etc.) (Capron, 2008).

Ces développements nous conduisent à introduire un nouvel élément de distinction des objectifs stratégiques des organisations eu égard à leurs interactions écosystémiques, que nous appréhendons comme un troisième critère dans la définition des situations d’interaction : l’existence ou non de parties prenantes jugées légitimes associées aux écosystèmes sur lesquels l’organisation exerce une influence. Ainsi, dans les situations d’influence sur des écosystèmes dont l’organisation ne tire pas d’avantage, ses objectifs de gestion environnementale se définissent principalement selon l’existence ou non de parties prenantes associées, ainsi que selon la perception de leur légitimité : lorsque ces dernières se manifestent et sont dotées d’un pouvoir d’influence sur l’organisation, l’objectif de l’organisation, dans une perspective utilitariste, sera d’accéder aux avantages qu’elles sont susceptibles de lui accorder. L’organisation aura alors tendance à moduler ses influences écosystémiques selon leurs revendications : réduction des pressions environnementales (dans le but par exemple d’éviter des scandales ou d’améliorer son image) ou sécurisation de SE (dans le but de percevoir en retour une rémunération). Lorsqu’au contraire les parties prenantes ne se manifestent pas (car diffuses ou non averties), ou lorsqu’elles sont considérées comme non légitimes par l’organisation (car trop faibles ou trop isolées), le principal objectif pour l’organisation sera d’adopter les modes gestion de ses influences les moins coûteux (pouvant consister dans certains cas à ne pas les gérer).

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Dépendance aux écosystèmes Influence directe (positive ou négative) sur les structures écosystémiques Pouvoir de décision sur la gestion de l’écosystème (gestion en propre / contractualisation) SE retiré d’un écosystème sur lequel l’organisation peut exercer une influence indirecte.

Ex. : Industrie s’approvisionnant en bois.

Obj. : Sécuriser des modes de gestion garants de la pérennisation des SE et des avantages qui en sont retirés.

SE retiré d’un écosystème sur lequel l’organisation exerce une influence directe. Ex. : Exploitation agricole.

Obj. : Mettre en œuvre des modes de gestion favorables à la pérennisation des SE et des avantages qui en sont retirés.

Influence directe sur un écosystème géré par l’organisation, duquel elle ne retire pas d’avantage.

Ex. : Entreprise de travaux publics. Obj. : Réduire les

pressions

défavorables (ou mettre en œuvre une gestion favorable) aux SE retirés par les organisations « légitimes ». Obj. : Ne pas réduire les pressions sur les écosystèmes pour lesquels aucune revendication « légitime » n’est exprimée. Pas de pouvoir de décision (ou pouvoir « dilué ») sur la gestion de l’écosystème (gestion par un tiers / bien public)

SE retiré(s) d’un écosystème sur lequel l’organisation n’a pas de maîtrise. Ex. : Collectivité territoriale s’approvisionnant en eau. Obj. : Acquérir la maîtrise de la gestion de l’écosystème, de manière à assurer des modes de gestion favorables à la pérennisation des SE.

SE retiré(s) d’un bien public écosystémique sur lequel l’organisation exerce une influence directe. Ex. : Exploitation d’un stock de poisson par un bâtiment de pêche. Obj. : Négocier la mise en œuvre partagée de modalités de gestion favorables à la pérennisation des SE.

Influence directe sur un bien public écosystémique duquel l’organisation ne retire pas d’avantage.

Ex. : Industrie rejetant des polluants dans un cours d’eau. Obj. : Réduire les

pressions

défavorables (ou mettre en œuvre une gestion favorable) aux SE retirés par les organisations « légitimes ». Obj. : Ne pas réduire les pressions sur les écosystèmes pour lesquels aucune revendication « légitime » n’est exprimée. Tableau 8. Matrice des situations d’interaction entre organisations et écosystèmes, et objectifs stratégiques associés.

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2.3 Prise en compte des situations d’interaction entre organisations et

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