• Aucun résultat trouvé

Apports du concept de viabilité

CHAPITRE 1 - INTERACTIONS ENTRE ECOSYSTEMES ET ORGANISATIONS, ET VIABILITE DES

4.1 Apports du concept de viabilité

4.1.1 La co-viabilité des systèmes naturels et humains

Lorsque Weber propose en 1994 l’expression « co-viabilité », il s’agit pour lui de définir l’idée de trajectoires de systèmes d’exploitation telles qu’elles maintiennent aussi bien la viabilité des écosystèmes que celle des modes de vie des populations humaines (Gillon et al., 2000). L’auteur introduit le concept de viabilité, polysémique, qui désigne de manière générique « la capacité d’une entité à survivre » (Durand et al. 2012 p.272). Weber, dans ses écrits traitant de la viabilité, se réfère cependant à une conception bien précise de la viabilité : sa définition mathématique, portée à l’origine par Aubin (1991), qui se consacre à l’étude de la régulation des systèmes dynamiques sous contraintes – dont font partie les systèmes économiques et les systèmes écologiques. C’est ce concept de co-viabilité inspiré des mathématiques, selon l’acception de Weber, que nous proposons d’explorer ici en définissant un cadre de référence formel, conçu tel que les dynamiques du système considéré – méta-système formé par une composante écologique et une composante économique – s’inscrivent dans un ensemble de contraintes de viabilité à la fois écologiques et économiques.

4.1.2 La théorie mathématique de la viabilité

Dans le cadre de la théorie mathématique de la viabilité, les systèmes étudiés sont caractérisés par différentes variables, dont les évolutions constituent la dynamique du système. Il existe

84

pour ces variables des contraintes de viabilité correspondant à des seuils précis, au-delà desquels le système sort de ce qui constitue son domaine de viabilité. Si la dynamique du système le conduit à franchir ces limites, il est susceptible d’emprunter des trajectoires irréversibles le menant à des états non viables. En revanche, « si les systèmes se maintiennent au sein de leur domaine de viabilité, ils peuvent être viables, connaître des évolutions stationnaires, ou cheminer vers des domaines de viabilité plus grande » (Griffon et Weber, 1996, p.174). Une des finalités essentielles de la théorie de la viabilité est de déterminer des modes de régulation, autrement dit de contrôle du système, permettant de le maintenir dans son domaine de viabilité au cours du temps, en présence d’incertitude. Comme le stipulent Griffon et Weber (1996) « le système est viable si, à tout instant, son état permet son renouvellement ultérieur, c’est-à-dire si son évolution n’aboutit pas tendanciellement à sortir du domaine de viabilité et à entrer dans des trajectoires de dégradation plus ou moins irréversibles » (p.174).

Nous proposons d’illustrer les concepts associés à la théorie mathématique de la viabilité en présentant le contexte de l’étude menée par Alvarez et Martin (2010), traitant de l’eutrophisation d’un plan d’eau (inspirée de Martin, 2004). Le système considéré dans cette étude, constitué d’un lac et des exploitations agricoles qui l’entourent, est décrit de manière schématique par deux variables : les apports en phosphore (L) et le phosphore dissout (P), l’association des deux représentant l’espace des états du lac. Les acteurs qui interviennent sur ce système, riverains et agriculteurs, ont chacun des préoccupations particulières : les premiers, qui retirent des services écosystémiques (SE) du lac, souhaitent bénéficier d’un lac oligotrophe ; les seconds, dont la production agricole génère des impacts sur le lac, souhaitent avant tout maintenir leur activité. Ces préoccupations peuvent être traduites, par les analystes du système, en contraintes pesant sur les variables représentatives du système : d’une part le phosphore dissout (P) ne doit pas dépasser une valeur maximale pour maintenir le lac dans un état oligotrophe, de l’autre, pour exercer leur activité de manière satisfaisante, les exploitants sont contraints de déverser une quantité minimale de phosphore (Lmin), cette quantité ne devant pas non plus dépasser une valeur maximale (Lmax) pour des raisons environnementales. Le croisement de ces contraintes délimite un sous-espace des états du lac, où toutes les conditions imposées par les protagonistes sont respectées : c’est l’ensemble de contraintes (cf. Figure 10).

85

Figure 10. Ensemble de contraintes dans le cas d’un système constitué d’un lac et des acteurs qui y évoluent (agriculteurs et riverains), et caractérisé par deux variables (apports en phosphore et phosphore dissout). Cet ensemble est délimité par la valeur maximale de phosphore dissout (P), par les valeurs minimales et maximales d’apports en phosphore (L) (adapté d’Alvarez et Martin, 2010, p.7).

Les analystes définissent également des modes de régulation de ces variables. Dans l’exemple du lac, les auteurs considèrent une régulation limitant la vitesse de variation des apports annuels de phosphore. L’étude de la viabilité consiste, dans l’exemple considéré, à rechercher le sous-ensemble de l’espace de contraintes (« noyau de viabilité ») dans lequel le système peut évoluer indéfiniment en respectant ces contraintes (grâce à une fonction de contrôle), ainsi qu’à rechercher les états hors du noyau de viabilité à partir desquels le système peut être ramené à l’intérieur du noyau. Dans ces derniers états, hors du noyau de viabilité mais inscrits dans son « bassin de capture », il existe une suite de régulations permettant de ramener le lac dans un état oligotrophe et de l’y maintenir dans le temps. Dans d’autres contextes d’étude, lorsque le système se trouve dans une trajectoire irréversible, les études de viabilité vont consister à changer les méthodes de régulation, en proposant des contrôles plus rigoureux ou de nature différente. Dans le cas du lac décrit en supra, lorsque même la suppression des apports en P ne permet pas un retour à un état oligotrophe, les nouveaux contrôles peuvent consister, par exemple, à vidanger le lac (Alvarez et Martin, 2010).

4.1.3 Le développement viable

Le concept de co-viabilité proposé par Weber est à rapprocher d’une autre idée proposée par l’auteur, celle de « développement viable » (Weber, 1995).

86

Partant du constat que l’équilibre des systèmes – vivants comme économiques – n’existe pas en dehors d’une succession de multiples équilibres instantanés, et que priment avant tout la variabilité, l’incertitude et l’irréversibilité, la question du développement se pose avant tout pour l’auteur « en termes de gestion des interactions entre des variabilités économiques et sociales et des variabilités naturelles, tant dans l’espace que dans le temps » (Weber, 1995, p.4). Ce que Weber qualifie en conséquence de « développement viable », permettant de répondre à ces enjeux, consiste en quatre points principaux : « (1) la définition d'objectifs de très long terme, d'ordre éthique et politique, au sens fort du terme, est un préalable à l'élaboration de toute stratégie de gestion (Weber et Bailly, 1993) ; (2) s'agissant de communautés humaines, la socio-diversité est au moins aussi importante que la biodiversité ; (3) la viabilité de ces communautés et celle des écosystèmes (proches ou lointains) dont elles tirent leurs moyens de subsistance sont mutuellement, mais non exclusivement déterminantes. Les décisions économiques et sociales devraient être prises sous contrainte de maintien de la viabilité des écosystèmes, tout comme les décisions d'aménagement des milieux devraient être liées au maintien de la viabilité des modes de vie ; (4) à l'affrontement avec les écosystèmes, on préférera la connivence, qui consiste à jouer avec les variabilités naturelles, non à les nier (Henry, 1987). A la recherche d'optimum, on préférera l'élaboration de stratégies adaptatives, tant aux variabilités naturelles qu'aux variabilités économiques » (Weber, 1995, p.4-5). Le développement viable consiste ainsi à rechercher une co-viabilité à long terme des systèmes vivants, et des systèmes sociaux, économiques, qu’ils supportent. « En conséquence, il s’agit moins de préserver que de gérer, sous contrainte de maintien de la viabilité. Viabilité ne signifiant nullement préservation d’équilibre, on ne s’interdit pas de fabriquer de nouveaux écosystèmes […] » (Weber, 1995, p.5).

Outline

Documents relatifs