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Nous l’avons vu précédemment, l’irradiation peut modifier la structure du verre ainsi que la chimie de la solution par radiolyse de l’eau, et des transferts d’énergie du solide vers le liquide ont lieu. Les mécanismes d’altération du verre par l’eau peuvent ainsi être modifiés par l’irradiation.

Les effets de l’irradiation sur la cinétique d’altération du verre ont été étudiés expérimentalement en se focalisant sur les différentes étapes de l’altération et en faisant varier différents paramètres tels que la dose cumulée ou le débit de dose [Tribet et al. 2014].

3.2.1 Effet de la modification de la chimie de la solution sur la cinétique d’altération du verre

Nous avons vu que sous irradiation, la solution lixiviante pouvait être modifiée, et il est nécessaire de déterminer l’impact de ces modifications sur l’altération du verre. Le pH de la solution peut être modifié sous irradiation, de façon transitoire ou non, par la formation d’espèces comme H3O+, d’acide oxalique ou d’acide nitrique, et l’acidification du lixiviat peut

modifier les mécanismes d’altération, car les réactions mises en jeu lors de la lixiviation du verre sont dépendantes du pH [Advocat et al. 1991, Gin et al. 2001b]. Toutefois, dans des conditions désaérées, aucune modification du pH n’a été observée pour une solution formée initialement d’eau pure ou d’eau de Bure [Rolland et al. 2012]. La radiolyse de l’eau induit également la formation de peroxyde d’hydrogène H2O2 mais cette espèce ne semble pas

3.2.2 Effets d’une pré-irradiation du verre sur sa cinétique d’altération

Une pré-irradiation aux électrons [Burns et al. 1982a] n’induit pas d’effets significatifs sur son altération en vitesse initiale, même à forte dose (de l’ordre du GGy). En revanche, certaines expériences ont montré que la pré-irradiation de verres avec des ions lourds (Pb, Ar) de faibles énergies (1 - 2 keV) induit une forte augmentation de la vitesse initiale d’altération [Dran et al. 1980, Hirsch 1980]. Burns [Burns et al. 1982a] n’a lui constaté aucune différence entre la vitesse initiale d’altération d’un verre non radioactif et d’un verre dopé en émetteur α, ayant cumulé une dose de 1 à 6.1018 α/g. Il explique les différences constatées par le fait que l’utilisation d’un faisceau d’ions (Ar et Pb) induit des effets secondaires qui ne sont pas représentatifs d’une auto-irradiation α. Par exemple, ces ions ne pénétrant que sur quelques dizaines de nanomètres, il peut y avoir un effet de charge de la surface ainsi qu’une pulvérisation préférentielle de certains éléments de la couche externe, ce qui induit une modification de la composition chimique en extrême surface. On peut ajouter que la forte augmentation constatée n’a lieu que sur certaines compositions de verre, or ce paramètre peut jouer un rôle important. En effet, des expériences plus récentes ne montrent pas d’écart entre la réactivité chimique de verres SON68 irradiés aux ions lourds (Au) et non irradiés [Peuget et al. 2007].

Ainsi, les modifications structurales induites pas les effets électroniques et balistiques d’une irradiation ne semblent pas affecter significativement la réactivité chimique du verre aux premiers instants [Peuget et al. 2007].

3.2.3 Altération du verre sous irradiation

Dans cette partie, nous nous intéressons plus particulièrement aux études mettant en œuvre de façon simultanée les irradiations et l’altération du verre.

3.2.3.1 Effets de l’irradiation sur l’interdiffusion

Rappelons qu’aux premiers instants de contact entre l’eau et le verre, les protons de la solution s’échangent avec les alcalins de la surface du verre par un mécanisme d’interdiffusion selon la réaction :

≡Si-O-M + H+ → ≡Si-O-H + M+

Or l’irradiation peut induire la migration des alcalins [Boizot et al. 2005] ainsi que des défauts dans la structure vitreuse. Ojovan a montré par une approche calculatoire que pour un verre de silicate d’alcalins, la vitesse d’échange d’ions augmentait avec la dose et le débit de dose γ [Ojovan et al. 2004]. Dans ce cas, l’augmentation de la température diminue les effets de l’irradiation. En effet, le mécanisme d’échange d’ion (hors irradiation) est activé thermiquement, donc la contribution de l’irradiation devient négligeable à haute température (90 °C pour une dose de 4.108 Gy).

3.2.3.2 Effets de l’irradiation sur la vitesse initiale d’altération

Les études portant sur le régime de vitesse initiale d’altération ont été conduites avec renouvellement de la solution, en mode dit « dynamique ». L’étude de verres complexes radioactifs émetteurs α/β/γ a montré que la vitesse initiale d’altération ne semble pas modifiée par rapport à une référence non radioactive [Advocat et al. 2001] ; l’énergie d’activation, calculée à partir des vitesses initiales pour différentes températures, est similaire pour les verres radioactifs et pour les références non radioactives (Figure 21).

Figure 21 - Vitesse initiale de différents verres en fonction de la température (d'après [Advocat et al. 2001])

Les verres radioactifs dopés en émetteurs α, de doses cumulées et de débits de doses variés, présentent une vitesse initiale d’altération comparable à celles de verres non radioactifs [Burns et al. 1982a, Wellman et al. 2005, Peuget et al. 2006a, Peuget et al. 2007] ce qui montre que l’activité α ne modifie pas de façon significative la vitesse initiale d’altération du verre. On peut donc conclure que la structure du verre et la chimie de la solution ne sont pas suffisamment modifiées par les interactions électroniques et balistiques pour que la réactivité chimique aux premiers instants soit affectée.

3.2.3.3 Effets de l’irradiation sur le régime de chute de vitesse

Il est difficile d’étudier spécifiquement le régime de chute de vitesse car de nombreux paramètres sont à prendre en compte. Dans cette partie sont présentées les études réalisées en mode « statique », sans renouvellement de la solution, mais à S/V relativement faible (typiquement inférieur à 1 cm-1).

Les travaux de McVay portant sur l’effet de l’irradiation γ semblent indiquer une augmentation de la vitesse d’altération [McVay et al. 1981] sur des verres américains. Cette augmentation est attribuée au changement de la chimie de la solution sous irradiation. L’acidification du lixiviat due à la radiolyse de l’eau aérée peut en être en partie responsable mais pas uniquement. En effet, en conditions désaérées, l’augmentation de la vitesse est toujours significative. L’influence du peroxyde d’hydrogène radiolytiquement formé sur l’altération du verre ayant été écartée, la variation de vitesse est probablement due à des radicaux [Burns et al. 1982a]. Burns replace cependant cette expérience dans un contexte de stockage et signale qu’une eau souterraine chargée en ions réduirait les concentrations en radicaux et les augmentations observées en laboratoire seraient ainsi négligeables. Pederson confirme les résultats de McVay [Pederson et al. 1983] et suggère une augmentation due à des espèces transitoires, donc produites en faible concentration, qui ne devraient pas influer significativement sur la vitesse à long terme.

Les résultats de S. Fillet [Fillet 1987] qui a étudié l’altération de verres SON68 dopés en émetteurs α montrent que la phénoménologie d’altération du verre n’est pas modifiée par radiolyse α. Des écarts entre les différents verres dopés et la référence non radioactive sont constatés à 90 °C sur les relâchements en bore notamment, mais aucune corrélation avec l’activité du verre n’a pu être mise en évidence. De plus, ces écarts ne se retrouvent pas à 50 °C. On peut noter que d’autres études comme celle de Pederson [Pederson et al. 1983]

montrent un effet de l’irradiation (ici γ) sur la vitesse d’altération à 50 °C, qui ne se retrouve pas à 90 °C. L’influence de la température pourrait être expliquée par la vitesse d’échange des ions qui augmente avec la température, ce qui réduit l’effet de l’irradiation à 90 °C [Ojovan et al. 2004].

Dans le cas d’un verre industriel émetteur α/β/γ, les pertes de masse normalisées sont équivalentes à celles d’un équivalent non radioactif après 28 et 91 jours d’altération, les auteurs concluent donc à l’absence d’effet de l’irradiation sur l’altération du verre [Miyahara

et al. 1989]. On peut citer également une étude plus récente sur un verre type SON68 dopé

en émetteurs α/β/γ : il a dans ce cas été observé que la chute de vitesse intervient après un temps 5 fois plus long pour le verre radioactif par rapport à l’équivalent non radioactif [Advocat et al. 2001]. Ce retard à la chute de vitesse a été attribuée à l‘acidification du milieu, l’altération ayant été menée sous air.

3.2.3.4 Effets de l’irradiation sur la vitesse résiduelle d’altération

L’altération de verres industriels américains (SRL, Savannah River Laboratory) a été étudiée dans les années 1990 [Feng et al. 1993] et des tests à fort progrès de réaction (200 cm-1 sur deux ans) ont suggéré que le simulant non radioactif était moins durable que le verre réel. Cet effet semble lié à l’augmentation significative du pH dans le cas du simulant non radioactif, n’ayant pas eu lieu pour le verre radioactif à cause de la radiolyse de l’air qui acidifie le milieu.

Plus récemment, les travaux de S. Rolland [Rolland et al. 2013a] ont montré que la vitesse résiduelle d’altération dans l’eau pure de verres radioactifs de type R7T7 dopés soit en émetteurs β à faible débit de dose (0,06 Gy/h) soit en émetteurs α (débit de dose de l’ordre de 150 Gy/h) était comparable à celle d’un équivalent non radioactif, les différentes étapes de l’altération présentant des caractéristiques semblables et aucune modification de la pellicule d’altération n’ayant été observée.

Les effets d’une irradiation externe γ sur l’altération à long terme d’un verre complexe non radioactif ont été étudiés également, en eau pure [Rolland et al. 2013b] et dans de l’eau souterraine synthétique [Rolland et al. 2012]. L’eau souterraine a montré une bonne stabilité à l’irradiation γ. Les espèces radiolytiques ou les défauts éventuellement créés (dans le verre ou le gel d’altération) par irradiation n’ont pas d’effet significatif sur la cinétique résiduelle dans ces deux cas. La pellicule d’altération formée sous irradiation ne semble pas modifiée non plus.