• Aucun résultat trouvé

Bilan : comparaison entre le comportement sous irradiation du verre initial et du verre altéré

Nous avons vu par différentes techniques que la pellicule d’altération était peu modifiée sous irradiation dans ces conditions. Il est intéressant cependant de comparer son comportement à celui du verre non altéré, irradié dans les mêmes conditions.

De la même façon que pour le verre non altéré, l’environnement de l’europium dans la pellicule d’altération n’est pas modifié de façon significative sous irradiation électronique. L’irradiation entraîne une réduction d’une partie des ions Eu3+ dans le cas du verre initial mais pas dans le cas du verre altéré. Cette différence de comportement peut s’expliquer par la différence d’environnement des ions Eu3+ dans le verre et dans la pellicule d’altération. En

effet, les spectres de luminescence du verre initial et de la pellicule d’altération sont bien distincts (Figure 75).

Figure 75 - Spectres de luminescence des ions Eu3+ pour un verre initial (non irradié – courbe rouge)) et un verre altéré (non irradié – courbe noire)

On peut notamment remarquer l’évolution du rapport d’asymétrie, défini comme le ratio entre l’intensité de la transition 5D0 → 7F2 sur l’intensité de la transition 5D0 → 7F1 : il passe

de 6,6 environ dans le verre initial à 3,4 environ dans le verre après altération. L’environnement des ions Eu3+ est moins distordu ou la covalence de la liaison Eu-O a diminué après altération. Ceci est cohérent avec les tendances observées par N. Ollier [Ollier

et al. 2003] et E. Molières [Molieres 2012]. L’environnement de l’europium se réorganise

après altération, ce qui peut expliquer la différence de comportement sous irradiation. Le comportement du réseau silicaté de la pellicule d’altération sous irradiation électronique est « opposé » à celui du verre non altéré en termes d’évolution structurale. En effet, des études sur d’autres compositions de verre borosilicaté [Boizot et al. 2000] ont montré que le degré de polymérisation du réseau silicaté du verre avait tendance à augmenter sous l’effet d’une irradiation aux électrons, et cet effet a été attribué à la migration des alcalins et notamment du sodium. Celui-ci, initialement en position de modificateur de réseau et donc de créateur de NBO, entraîne la repolymérisation du réseau en migrant hors du réseau. Dans le cas de la pellicule d’altération, il est logique de ne pas observer le même processus. En effet, le réseau silicaté de ce matériau altéré est plus réticulé, plus polymérisé que le verre [Ledieu et al. 2004, Gin et al. 2011], et environ 70 % du sodium est relâché en solution (Tableau 19). Le calcium quant à lui occupe une position de compensateur de charge et est très peu mobile. La migration des alcalins résiduels n’est donc plus favorable dans ce type de structure, et le processus de repolymérisation précédemment décrit n’a pas lieu.

Enfin, nous avons vu que l’irradiation électronique induisait la création de défauts paramagnétiques, détectables en RPE sur le verre initial comme sur le verre altéré. Il est intéressant toutefois de comparer la quantité de défauts créés sous irradiation dans ces deux matériaux. La Figure 76 montre que le signal pour le verre non altéré est beaucoup plus intense que pour le verre altéré, pourtant irradié jusqu’à une dose deux fois plus importante.

Figure 76 - Comparaison des spectres RPE acquis sur le verre Z4C4-Eu non altéré et irradié à 0,5 GGy (rouge) et sur la pellicule d'altération issue du verre Z4C4-Eu, irradiée à 1 GGy (bleu)

Il semble donc que les processus de création de défauts soient moins efficaces sur le verre altéré que sur le verre non altéré. Cette hypothèse est confirmée par la comparaison de l’ensemble des analyses faites sur les différents matériaux, irradiés à différentes doses, présentée sur la Figure 77 (l’axe des ordonnées est tracé en échelle logarithmique).

Figure 77 – Quantités de défauts dans l’ensemble des échantillons de verre, altérés (bleu) ou non (rouge), irradiés à différentes doses. Les lignes en pointillés servent de guide visuel

On peut constater qu’un ordre de grandeur sépare globalement les quantités de défauts créés sur le verre non altéré et sur le verre altéré. Cet écart se confirme également sur les échantillons issus du verre Z4C4-La. On peut noter que cet effet est perceptible visuellement : la poudre de verre est initialement blanche et se colore légèrement après irradiation, à cause de la création de centres colorés, tandis que la poudre de verre altéré reste blanche avant et après irradiation.

Le verre altéré semble donc moins sensible à la création de défauts que le verre non altéré. Une tendance à la saturation semble apparaître pour les deux matériaux, à partir d’une dose de l’ordre de 100 MGy, mais avec une quantité de défauts à saturation différente d’un ordre de grandeur.

Nous pouvons donc nous demander à quoi est due cette différence de comportement.  Est-ce un effet de la composition du matériau ?

Une partie des défauts présents dans le verre, notamment ceux liés aux atomes de bore (BOHC) est naturellement éliminée par le processus d’altération qui entraîne la dissolution du bore en solution. Cependant, la forme du signal nous permet d’attribuer la majeure partie des défauts plutôt à des centres oxygénés qu’à des BOHC : la disparition de cette seule nature de défauts ne semble pas suffire à expliquer cette différence quantitative.

 Est-ce un effet de capture lié à l’europium ?

Il a été montré que la présence d’atomes de Eu dans le verre pouvait réduire la quantité de défauts créés sous irradiation [Malchukova et al. 2010b], car ils capturent les électrons par un processus de réduction : Eu3+ + e- → Eu2+, l’europium trivalent étant un piège efficace pour les électrons. Cependant, la spectroscopie de luminescence résolue en temps a montré que le ratio Eu2+/Eu3+ était similaire avant et après irradiation dans la pellicule d’altération, ce qui exclut un processus de réduction significatif. On peut également ajouter que pour le verre au lanthane, ne contenant donc pas d’europium, la quantité de défauts est également inférieure dans le cas du verre altéré par rapport au verre non altéré. Le rôle de l’europium ne pourrait donc pas suffire à expliquer cet effet.

 Est-ce un effet de l’hydratation du matériau ?

Cet effet pourrait être expliqué par le rôle de l’eau pendant l’irradiation. En effet, nous avons vu précédemment que l’eau pouvait réagir avec les défauts sur le verre initial irradié (partie 2.1.3) :

2 ≡Si• + H2O → ≡Si-OH + ≡Si-H [Lee et al. 2008] Équation 13

Si-O• + •Si≡ + H2O → ≡Si-OH +HO-Si≡ [Stolen et al. 1976] Équation 14

Les mêmes processus peuvent donc intervenir pour supprimer les défauts dans le réseau silicaté du verre altéré au moment où ils se forment.

L’eau peut également empêcher la création des défauts dans le réseau en réagissant directement avec l’exciton formé lors de l’irradiation. Ce rôle protecteur de l’eau a déjà été constaté sur la silice lors de l’étude de l’irradiation, avec des électrons, de verres à porosité contrôlée (Controlled-Pore Glasses, CPG) hydratés ou séchés [Le Caer et al. 2005]. On peut également noter qu’aucune différence notable n’a pu être mise en évidence entre le verre altéré irradié dans son lixiviat et le verre altéré irradié sous air après séchage. Le matériau « séché » contient environ 20 % d’eau, située principalement dans les pores. On peut donc penser que ce rôle protecteur est joué par l’eau des pores (qu’elle soit libre ou bien sorbée sur les parois) et non par le lixiviat dans lequel on irradie la poudre de verre altéré. La taille des pores dépend des conditions d’altération ainsi que de la composition du verre, mais on peut penser ici qu’elle est probablement nanométrique. En effet, d’autres études montrent des pores de l’ordre de 2 nm [Cailleteau et al. 2008] ou 5 nm [Ledieu et al. 2004] sur des

verres de compositions simplifiées. Aucune porosité n’a été observée à l’échelle du MEB et des lames MET extraites de monolithes du même verre ayant été altéré dans les mêmes conditions (90 °C, S/V = 200 cm-1), il s’agit donc probablement de pores d’un diamètre inférieur au nanomètre.

En conclusion, nous avons étudié dans cette partie l’effet d’une irradiation aux électrons (effets électroniques avec un dépôt d’énergie de faible densité dans la matière) et globalement, ce type d’irradiation a peu d’effet sur l’altération du verre.

En effet, une irradiation préalable du verre, bien que créant des défauts et pouvant induire des modifications de faible ampleur dans la structure, n’induit aucune différence dans la cinétique d’altération de ce verre. La pellicule d’altération ainsi développée est en tous points similaire à une pellicule d’altération formée sur un verre non irradié. Le processus de lixiviation induit même une diminution nette des défauts créés sous irradiation dans la structure du verre, probablement par la réaction de ces défauts avec l’eau.

De plus, le verre une fois altéré est stable sous irradiation électronique. Un faible effet de dépolymérisation du réseau a été constaté, attribué à la composition chimique du matériau. Les processus de création de défauts paramagnétiques sont beaucoup moins efficaces sur la pellicule d’altération que sur le verre non altéré. L’hypothèse privilégiée pour expliquer cette différence est de l’attribuer au rôle protecteur de l’eau, et plus précisément de l’eau porale. Les verres de compositions simplifiées sont généralement plus sensibles à l’irradiation que des verres complexes [Boizot et al. 2005]. Au vu de ces résultats, qui indiquent un effet très limité de l’irradiation électronique sur ces verres de compositions simplifiées, aucune modification majeure de la pellicule d’altération d’un verre complexe n’est donc attendue sous irradiation électronique. Cette observation est en accord avec les résultats de S. Rolland qui montrent qu’une irradiation γ n’a pas d’effet sur l’altération d’un verre SON68 [Rolland

3 DÉPÔT D’ÉNERGIE À HAUT TEL : IRRADIATIONS AVEC DES

PARTICULES ALPHA

Les particules α déposent la majeure partie de leur énergie le long de leur parcours dans le matériau cible via des ionisations et des excitations, selon les mêmes processus que les électrons, mais avec une densité très supérieure à celle des électrons (Figure 78).

Figure 78 – Illustration schématique de la différence de TEL entre a) l’électron et b) la particule α

Afin de tenir compte de cette différence de TEL, des irradiations avec des particules α ont été menées sur des échantillons issus du verre simple Z4C4-Eu. Du fait du faible parcours des particules α, une géométrie différente de celle mise en œuvre pour les irradiations aux électrons a été adoptée ici.

Pour étudier l’effet de la pré-irradiation du verre sur son altération, des pastilles cylindriques de verre ont été irradiées par un faisceau de particules α les traversant puis altérées à 90 °C dans une eau initialement pure, à fort S/V (200 cm-1).

Pour étudier l’effet de l’irradiation sur la pellicule d’altération, les pastilles cylindriques ont été préalablement altérées hors irradiation à faible S/V (1 cm-1) afin de développer une pellicule d’altération d’environ 50 µm. Nous avons choisi un faible S/V afin de développer une pellicule d’altération suffisamment épaisse pour mettre en œuvre des caractérisations in-situ notamment, mais il faut noter qu’une pellicule d’altération développée dans ces conditions présente une moins bonne tenue mécanique. Ces pastilles ont ensuite été irradiées à sec ou au contact de leur lixiviat, dans des cellules spécifiques.

Le détail de la géométrie utilisée est décrit dans la partie 2.1.3.2 du Chapitre 2. Des analyses Raman et de luminescence ont été réalisées sur ces échantillons, à partir de trois techniques différentes :

 la spectroscopie Raman in-situ en mode résolu en temps permet d’obtenir à la fois le spectre de luminescence de l’europium et le signal Raman grâce au décalage temporel, pendant l’irradiation et à travers la cellule d’eau le cas échéant. La profondeur sondée dans ce cas est de l’ordre de 200 à 300 µm ;

 la spectroscopie Raman ex-situ en mode résolu en temps permet de se focaliser sur

le signal Raman sur des échantillons hors irradiation. La résolution en profondeur est d’environ 10 µm ;

 la spectroscopie de luminescence en mode continu permet de se focaliser sur le signal de luminescence car le signal Raman dans ce cas est très faible, avec une meilleure résolution en profondeur, de l’ordre du µm.