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En condition de stockage géologique profond, l’eau est la principale cause de dégradation des différentes barrières de confinement et du colis lui-même. L’arrivée de l’eau est estimée après un temps de quelques centaines à quelques milliers d’années une fois le colis mis en stockage [ANDRA 2009]. L’eau serait ainsi le principal vecteur de dissémination des radionucléides dans l’environnement. Depuis une trentaine d’années, de nombreuses études se sont donc attachées à comprendre les mécanismes et les cinétiques d’altération afin de prédire le mieux possible le comportement à long terme des verres de type R7T7.

1.2.1 Les mécanismes mis en jeu

Lors de la mise en contact de l’eau et d’un verre borosilicaté, des échanges d’éléments ont lieu et mènent à la lixiviation du verre, aboutissant à la formation d’une pellicule d’altération à l’interface verre/eau. Ce phénomène a été très étudié hors irradiation [Vernaz et al. 1992, Frugier et al. 2008, Gin et al. 2013a] et les principales conclusions de ces études sont rappelées ci-dessous.

Différents mécanismes entrent en jeu lors de la lixiviation du verre par l’eau. Ils interviennent simultanément mais sont plus ou moins prépondérants selon l’avancement de la réaction et les conditions d’altération.

1.2.1.1 L’interdiffusion

Aux premiers instants de mise en contact, l’eau pénètre dans le verre (hydratation) puis les protons de la solution s’échangent avec les alcalins de la surface du verre par un mécanisme d’interdiffusion [Doremus 1975, Chave 2007]. On parle de diffusion réactive car il y a une

réorganisation de la structure locale du verre, notamment des changements de coordinence du bore [Bouyer et al. 2006]. La pénétration de l’eau dans le verre est régie par une loi de vitesse proportionnelle à la racine carrée du temps, caractéristique d’un mécanisme diffusif. Ce mécanisme mène à la formation d’une couche dite de verre hydraté, désalcalinisée, appauvrie en éléments mobiles.

1.2.1.2 L’hydrolyse

Lorsque l’épaisseur de la couche de verre hydraté augmente, les échanges ioniques se font de plus en plus lentement, et l’hydrolyse du réseau vitreux devient alors prédominante. Les liaisons pontantes Si-O-Si sont rompues par hydrolyse ce qui conduit à la dépolymérisation du réseau selon la réaction [Frugier et al. 2008]:

≡Si-O-Si≡ + H2O → ≡Si-OH + HO-Si≡

Lorsque les 4 liaisons de l’atome de Si sont rompues, on a relâchement d’acide orthosilicique H4SiO4. Les liaisons avec les autres éléments majeurs du verre (Al, Zr..) peuvent également

être attaquées par l’eau. Tant que la solution est assez diluée pour éviter toute recondensation, le verre se dissout à la vitesse initiale V0. La dissolution est congruente pour

les éléments majeurs, tels que Si, B, Na, Ca et Al pour le verre SON68 [Frugier et al. 2008]. Les relâchements en éléments traceurs lors de la phase d’hydrolyse sont proportionnels au temps.

Il y a en réalité compétition entre le mécanisme d’interdiffusion et l’hydrolyse. À l’instant initial, la vitesse d’interdiffusion est très importante, puis elle diminue progressivement avec le temps (loi en racine carrée). L’hydrolyse devient ensuite prédominante.

1.2.1.3 La recondensation

Au fur et à mesure de la dissolution des espèces, leur teneur en solution augmente et une partie de ces espèces solubilisées se réorganise par des processus locaux de condensation- précipitation à la surface du verre pour former une couche amorphe, poreuse et hydratée appelée « gel » [Gin 2000].

Des études ont montré par traçage isotopique de 29Si et de 18O que le gel a une signature différente du verre sain et de la solution marquée [Valle et al. 2010]: il ne s’agit donc pas d’un squelette du verre initial mais bien d’une nouvelle couche formée à la fois à partir du verre initial et de la solution altérante.

Deux modèles sont aujourd’hui utilisés pour décrire la formation du gel. Il peut s’agir d’un processus de condensation in-situ [Dran et al. 1988, Vernaz et al. 1992, Jegou et al. 2000, Frugier et al. 2008] des espèces hydrolysées ou bien d’une précipitation d’une phase amorphe lors de l’atteinte de la saturation localement vis-à-vis de la solution [Geisler et al. 2010, Geisler et al. 2015, Hellmann et al. 2015]. Ces mécanismes sont par exemple, pour la silice [Iler 1979] :

≡Si-OH + HO-Si≡ → ≡Si-O-Si≡ + H2O

H4SiO4 + ≡Si-OH → ≡Si-O-Si(OH)3 + H2O

Ces deux mécanismes ne sont pas nécessairement antagonistes et peuvent coexister. La concentration en solution en silice devient stationnaire lorsque les vitesses d’hydrolyse et de précipitation/recondensation se compensent.

1.2.1.4 La précipitation de phases secondaires

Selon les conditions d’altération et la composition du verre, des phases secondaires peuvent précipiter à l’interface gel/solution. Il s’agit généralement de phyllosilicates, de zéolites ou de silicates de calcium hydratés.

1.2.2 Cinétiques d’altération

Lorsque l’eau arrive au contact du verre, les mécanismes d’interdiffusion puis d’hydrolyse sont prépondérants. Le verre s’altère à sa vitesse initiale V0, qui sera sa vitesse d’altération

maximale. À titre d’exemple, le verre SON68 à pH neutre et à 90°C, s’altère à une vitesse initiale de 0,9 g.m-2.j-1 (soit 320 nm.j-1). En milieu statique, l’altération ralentit ensuite : c’est la phase de chute de vitesse. Cette phase intermédiaire est associée à l’effet combiné de l’atteinte d’un état stationnaire et du caractère passivant de la pellicule d’altération qui se forme par hydrolyse/recondensation et joue un rôle de barrière diffusive [Van Iseghem et al. 2009].

Il a été montré que la vitesse d’altération ne s’annule jamais dans un système clos, même si elle est fortement diminuée après l’étape de chute de vitesse [Frugier et al. 2008] (sauf bien entendu après altération totale du verre). La phase de vitesse résiduelle est le régime cinétique qui prédomine à long terme pour un système fermé, sans renouvellement de la solution. Deux mécanismes interviennent dans ce régime : la diffusion réactive des éléments (alcalins et bore principalement) à travers la pellicule d’altération déjà formée et la précipitation de phases secondaires. La précipitation de ces phases secondaires, en consommant les éléments relâchés par le gel, peut maintenir l’altération [Frugier et al. 2006].

Bien que, dans le cas général, le régime de vitesse résiduelle contrôle le système fermé à long terme, des phénomènes de reprises d’altération ont été observés dans des cas particuliers (pH élevé, T > 90 °C). Ils ont été corrélés à la précipitation de certaines phases secondaires : zéolites de façon systématique et parfois hydrates de calcium et de silicium [Fournier et al. 2014]. Ces zéolites sont formées par les éléments de la matrice vitreuse dissoute et leur formation maintient l’altération. La perte du caractère passivant de la couche d’altération par consommation des Al et Si qu’elle contient pour former des zéolites serait à l’origine de ce phénomène.

L’évolution classique de la vitesse d’altération d’un verre est schématisée sur la Figure 12. Le terme de « progrès de réaction » est fréquemment utilisé pour situer une expérience par rapport à cette courbe d’évolution classique. Expérimentalement, on peut se placer à fort ratio S/V afin que les premières étapes soient rapidement passées pour se focaliser sur le régime de vitesse résiduelle : on parle alors de « fort progrès de réaction ». Au contraire, à « faible progrès de réaction », les conditions expérimentales permettent de maintenir la réaction aux premiers stades de l’altération.

Figure 12 - Illustration de l'évolution de la vitesse d'altération

De nombreux facteurs peuvent influencer la cinétique d’altération, comme par exemple la température, le pH, la composition du verre et de la solution altérante [Vienna et al. 2013, Gin et al. 2015a], mais ils ne seront pas détaillés dans ce chapitre.

1.2.3 Structure de la pellicule d’altération

Les différentes étapes de la lixiviation du verre borosilicaté par l’eau mènent à la formation d’une pellicule d’altération dans laquelle on distingue principalement une couche de verre hydraté formée par interdiffusion, un gel d’altération formé par hydrolyse/recondensation du silicium et des phases secondaires formées par cristallisation. La Figure 13 illustre ces différentes couches et les mécanismes associés. Globalement, la couche amorphe (verre hydraté et gel) de la pellicule d’altération est plus organisée que le verre initial, le réseau silicaté y est plus polymérisé [Ledieu 2004].

Figure 13 - Structure de la pellicule d'altération, d’après le modèle développé par les équipes du CEA (les épaisseurs des différentes couches sont purement illustratives)

1.2.3.1 L’interface réactive passivante (IRP)

La zone de cette pellicule d’altération qui freine le transport des espèces réactives est appelée Interface Réactive Passivante (IRP) mais sa nature et sa localisation précise font encore débat actuellement. Il pourrait s’agir d’une couche formée par recondensation des espèces hydrolysées mais de faible porosité [Cailleteau et al. 2008, Hellmann et al. 2015] ou d’un squelette du verre situé dans la zone de verre hydraté [Gin et al. 2013b]. Cette dernière hypothèse est appuyée par les récentes avancées de S. Gin [Gin et al. 2015a].

1.2.3.2 Les terres rares dans la pellicule d’altération

E. Molières a étudié spécifiquement le rôle des terres rares au cours de l’altération du verre, leur influence sur les cinétiques et leur place au sein de la pellicule d’altération [Molieres 2012]. Ses expériences ont montré que les terres rares sont très fortement retenues dans la pellicule d’altération (facteur de rétention1 entre 0,98 et 1). Elles sont hydrolysées mais très peu mobiles donc elles sont recondensées au sein de la pellicule d’altération. Plusieurs processus sont proposés : co-précipitation avec le silicium formant un silicate de terre rare, chimisorption au sein du réseau silicaté (répartition homogène) ou nano-précipitation sous forme d’oxy-hydroxydes de terres rares. Les terres rares sont réparties de façon homogène à l’échelle du micromètre dans le réseau silicaté de la pellicule d’altération. L’environnement des terres rares est donc modifié au cours de l’altération par l’eau. Le nombre de sites pour l’europium peut diminuer [Ollier et al. 2001] ou augmenter [Molieres 2012] selon la composition du verre initial. De plus, les sites sont dans un environnement plus symétrique dans la couche d’altération que dans le verre initial [Ollier et al. 2003].