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les effets sur l’absence de formalisme de la médiation

Chapitre II : Sur le déroulement de la médiation

Section 3 les effets sur l’absence de formalisme de la médiation

La médiation a la réputation d’être un processus souple et flexible qui peut s’adapter à chaque situation. C’est d’ailleurs l’une de ses principales qualités. Or, en tentant de règlementer la médiation et de l’intégrer au processus judiciaire, on vient lui retirer cette caractéristique pourtant essentielle.

D’entrée de jeu, il convient de spécifier que le formalisme d’une chose est relatif. En effet, par rapport au procès, la médiation est informelle, mais par rapport à la négociation sans l’aide d’un tiers, la médiation est très formelle565. Le caractère informel dont il est question ici est évidemment celui qui se compare au procès.

Imposer la médiation aux parties entraine nécessairement un encadrement du processus. Cet encadrement devient souhaitable afin de protéger l’équilibre et les droits des parties comme nous l’avons souligné précédemment. Or, il vient aussi avec une certaine institutionnalisation et une perte du caractère informelle typique de la médiation qui pourraient la rendre moins « appropriée » pour les parties566. Comme le rappelait MacFarlane, la plupart du temps, lorsqu’une culture bien établie en rencontre une qui est plus marginale ou moins dominante, il en résulte une assimilation par la culture dominante. Ainsi, le système adjudicatif risque d’absorber la médiation et de la transformer en un processus qui repose plus sur la négociation traditionnelle que sur une véritable recherche des intérêts des parties567.

La médiation a su, jusqu’à tout récemment, garder son caractère informel, mais depuis les dernières années, on remarque une tendance à la judiciarisation568. Comme le rappelle Pierre Noreau :

« À partir du moment où la médiation, la conciliation ou l’arbitrage sont réduits à leur dimension pratique, leur judiciarisation apparaît inévitable, car ils ne sont plus considérés qu’en tant que partie d’un système judiciaire qui leur imposera rapidement ses impératifs et ses règles du jeu. »569

565 R. L. ABEL, préc., note 469, 181

566 R. A. MACDONALD et A. LAW , préc., note 413, à la p. 17

567 J. MACFARLANE, préc., note 150, 309; voir aussi : P. NOREAU, Droit préventif. Le droit au-delà de la loi, préc., note 5, p. 71, 117 et 118; M. A. FODDAI, préc., note 4, 142

568 P. HUGHES, préc., note 13, 170

103 Si l’assimilation de la médiation par le système judiciaire semble inévitable, il devient donc important de déterminer certains éléments favorisant ce phénomène pour tenter d’en circonscrire l’impact.

L’un des premiers aspects à retenir est la règlementation de la médiation. Celle-ci doit évidemment être présente, mais limitée afin de ne pas intervenir dans le côté informel de la médiation. La professeure Sylvette Guillemard soutient que la cohabitation de la médiation et du procès ne doit pas se traduire dans les règles de procédure civile, comme c’est le cas au Québec depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile570. L’adjudication et la médiation sont des processus qui répondent à des réalités distinctes571 et il ne sera pas bienvenu de légiférer en matière de médiation au risque que le processus perde son cadre souple572. Elle est d’avis qu’

« […] il faut faire la différence entre encadrer les agissements professionnels de certaines personnes, dans la mesure où il faut professionnaliser l’activité de médiateur, et légiférer sur l’ensemble du processus, son déroulement, la conduite des uns et des autres, etc. »573

Certaines règles peuvent certes être acceptables, comme celles encadrant les responsabilités du médiateur, son imputabilité et la confidentialité de la médiation. Cependant, celles qui vont jusqu’à prévoir l’endroit où doit se tenir la médiation et la manière dont celle-ci se déroulera peuvent venir embrouiller inutilement la tâche du médiateur574.

Un autre élément à prendre en considération est celui des finalités du programme de médiation. S’il est trop axé sur le nombre de règlements, cela peut avoir des effets pervers. Évidemment, l’objectif d’améliorer les délais et de diminuer les coûts du système judiciaire peut être louable, mais il suggère des objectifs qui diffèrent largement de ceux de la médiation575. Si la médiation obligatoire est instaurée dans l’unique but de réduire les coûts et les délais, il y aura nécessairement une transformation du processus pour atteindre ces objectifs576. Les intérêts de l’administration judiciaire et ceux des justiciables sont donc en 570 S. GUILLEMARD, préc., note 39, 214-217 571 P. HUGHES, préc., note 13, 171 572 S. GUILLEMARD, préc., note 39, 211 573 Id., p. 212 574 P. HUGHES, préc., note 13, 199 575 Id., 171 576 A. DÉSY, préc., note 28, p. 128

104 concurrence577 et peuvent engendrer une formalisation inutile de la médiation.La perception de la réussite d’un programme peut ainsi varier entre l’État, les tribunaux et les justiciables et entrainer une certaine transformation du processus de médiation. Tel que décrit par Green,

[…] An overemphasis on institutional efficiency, which is achieved by high rates of settlement, may detract from the capacity of mediation to maximise the satisfaction of individual needs and interests. Court- connected mediators are likely to be influenced by the legal institution’s preoccupation with settlement. »578

Ainsi, pour répondre à ces impératifs de règlement, certains programmes prévoient plusieurs incitatifs pour les médiateurs dans le but de produire plus d’ententes. Des incitations comme le fait que leurs honoraires varient en fonction du résultat de la médiation579 peuvent être dangereuses et mener à un changement dans les pratiques du médiateur afin de concentrer sa séance, non pas sur la satisfaction des parties et le règlement du conflit profond, mais simplement sur l’atteinte d’une entente qui mettra fin au litige. Ainsi, à l’opposé de l’approche qui prévaut en médiation plus traditionnelle, les programmes où les médiateurs entretiennent des liens étroits avec les tribunaux ont souvent tendance à être orienté vers les règlements plutôt que vers les intérêts des parties. Ils entrainent alors une plus grande implication du médiateur et un aspect « évaluatif » à la médiation580. Des observateurs en Afrique du Sud ont conclu que l’institutionnalisation de la médiation lui faisait perdre ses attributs caractéristiques, mais pouvait aussi carrément en modifier le déroulement pour se concentrer uniquement sur des objectifs de règlement à tout prix581. On verra donc plus souvent une intervention active du médiateur lié à la Cour qui proposera par exemple une solution toute prête pour les parties ou qui aura tendance à évaluer le dossier en droit582. De même, le fait que ce sont surtout des juristes qui agissent à titre de médiateur pourrait augmenter le niveau de formalisme583. La médiation court également le risque de devenir routinière lorsqu’elle est

577 C. GREEN, préc., note 399, 57

578 Olivia RUNDLE, « The purpose of court-connected mediation from the legal perspective », (2007) 10-2 ADR Bulletin 28, 28

579 Règlement sur la médiation des demandes relatives à des petites créances, préc., note 231, art. 13; G. MATTEUCCI, préc., note 528

580 O. RUNDLE, préc., note 578, 28 581 S. VETTORI, préc., note 446, 357

582 J. MACFARLANE, préc., note 150, 309; Nancy A. WELSH, « The Thinning Vision of Self-Determination in Court-Connected Mediation: The Inevitable Price of Institutionalization? », (2001) 6 Harv. Negot. L. Rev. 1, 25- 27

105 obligatoire, ce qui aurait comme effet de la concentrer plus sur le règlement du dossier sans égards aux intérêts des parties584.

L’obligation peut aussi créer un certain formalisme du processus qui en élimine les bienfaits. Si les parties voient la médiation comme un passage obligé et ne la prennent pas au sérieux, celle-ci ne deviendra qu’une formalité et cela pourrait nuire à l’image générale de la médiation, même lorsqu’elle est volontaire585.

Le niveau de formalisme de la médiation peut en outre être modulé par l’exigence de participation qui y est associée. Comme nous le verrons plus loin586, une exigence de participation trop rigide peut compromettre l’aspect informel de la médiation.

Malgré cette tendance à la formalisation, Julie MacFarlane soutient qu’en Ontario, la situation ne témoigne pas d’une assimilation, mais plutôt d’une convergence où toutes les cultures de résolution de conflit partagent leurs idées, leurs valeurs et leurs pratiques587. MacFarlane met en lumière l’influence de la médiation sur le processus judiciaire alors que les avocats voient dans leur attitude et celle de leur collègue un changement de ton dans les négociations, même à l’extérieur de la médiation588. Les avocats laissent aussi de plus en plus de place à leur client lors des négociations, signe qu’il n’y a pas nécessairement d’assimilation de la médiation par le procès en Ontario, mais plutôt une convergence entre les deux processus qui s’influencent mutuellement589. Ainsi, d’imposer la médiation aux avocats permettrait de modifier leurs pratiques pour favoriser la résolution des conflits.

584 R. VERKIJK, préc., note 50, aux p. 201-202

585 Peter G. MAYR et Kristin NEMETH, « Regulation of Dispute Resolution in Austria: A Traditional Litigation Culture Slowly Embrace ADR », dans STEFFEK, F. et H. UNBERATH (dir.), Regulating Dispute Resolution. ADR and Access to Justice at the Crossroads, Oxford (Royaume-Uni), Hart Publishing, 2013, p. 65, à la p. 88 586 Infra, p. 145 et suiv.

587 J. MACFARLANE, préc., note 150, 310 588 Id., 310-311

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