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La culture du litige des avocats italiens confrontée à la médiation obligatoire

Chapitre I : Le modèle le plus populaire : la médiation obligatoire automatique

Section 4 La culture du litige des avocats italiens confrontée à la médiation obligatoire

En 2010, l’Italie a adopté un imposant programme de médiation obligatoire195. À l’époque, le pays faisait face à des délais judiciaires parmi les plus longs d’Europe196 avec près de trois ans et demi d’attente pour un procès civil197 et un peu moins de 6 millions de dossiers en attente d’un procès198. Certains programmes visant à encourager la médiation ont été implantés dès 2004, mais les résultats étaient peu concluants199. Une étude a démontré qu’entre 2000 et 2010, malgré un taux de règlement de 80 % des médiations entreprises, moins de 0,1 % des parties choisissait volontairement ce processus200.

Le gouvernement italien a donc adopté en 2010 un décret législatif obligeant les parties de presque tous les types d’action civile à prendre part à une séance de médiation avant de présenter leur dossier à un juge. En tenant pour acquis que l’augmentation du nombre de médiations jumelé au pourcentage élevé de règlement résoudrait le problème d’accès à la justice, les autorités ont estimé que 65 % des médiations pourraient se solder par une entente si on obligeait les parties à y assister201. L’objectif était de transférer le plus de dossiers possible des tribunaux vers la médiation et d’en régler environ un million en deux à trois ans202.

195 Disposizioni per lo sviluppo economico, la semplificazione, la competitività nonché in materia di processo civile, JO, 19 juin 2009, SO 95, art. 60

196 Giovanni MATTEUCCI, « “Italy Is Doing It – Should We Be?” Civil and Commercial Mediation in Italy », dans Humberto DALLA BERNARDINA DE PINHO,et JulianaLOSS DE ANDRADE (dir.), Contemporary Tendencies in Mediation, Madrid (Espagne), Editorial Dykinson, 2015, p. 205, aux p. 208-209

197 M. HANKS, préc., note 81, 935-936

198 Giovanni MATTEUCCI, Mandatory mediation. The Italian experiance, 22 mai 2015 (12:13), en ligne: <https://www.youtube.com/watch?v=rUt_XSHAohM> (consulté le 1er mai 2017)

199 G. DE PALO et R. CANESSA, préc., note 96, 722; M. HANKS, préc., note 81, 937;

200 Rachele GABELLINI, « The Italian Mediation Law Reform », (2010) 12-3 ADR Bulletin 64, 64 201 Id., p. 64

43 Cette nouvelle obligation emporta une furieuse opposition de la part de la communauté juridique qui y voyait un affront à la profession d’avocat et un risque de diminution des revenus. Même si la plupart des médiateurs étaient aussi avocats, le syndicat national des avocats (Organismo Unitario dell’Avvocature Italiana) a appelé ses membres à une grève nationale. Malgré cette résistance, la médiation obligatoire a été implantée en Italie à compter de 2010203.

Le programme de médiation proposé comportait plusieurs aspects. D’abord, il y était prévu que la période de médiation ne devait pas durer plus de 4 mois204 afin de ne pas allonger inutilement les délais déjà importants. On avait également créé des incitatifs fiscaux pour ceux qui réglaient leur dossier par la médiation205.

Les médiateurs participant au programme devaient être accrédités par des organismes de médiation sous le contrôle du ministre de la Justice qui garantissent leur indépendance et leur impartialité206. L’objectif du programme n’était pas seulement d’augmenter le nombre de médiations, mais aussi d’en rehausser la qualité en révisant le processus d’accréditation des médiateurs207. Malheureusement, certains observateurs comme Giovanni Matteucci ont plutôt constaté que le nouveau processus d’accréditation était laxiste et n’assurait pas une formation adéquate208.

Le programme prévoyait que les parties auraient la liberté de choisir leur médiateur parmi ceux qui étaient accrédités, mais dans les faits, elles devaient approcher les organismes de médiation qui désignaient le médiateur pour elles209. Les parties devaient aussi assumer les honoraires des médiateurs qui étaient règlementés210. Cependant, les honoraires du médiateur

203 G. MATTEUCCI, préc., note 196, p. 220-221

204 Disposizioni per lo sviluppo economico, la semplificazione, la competitività nonché in materia di processo civile, préc., note 195, art. 60.q)

205 Id., art. 60.o); G. MATTEUCCI, préc., note 198

206 Disposizioni per lo sviluppo economico, la semplificazione, la competitività nonché in materia di processo civile, préc., note 195, art. 60.b), d) à f), r)

207 R. GABELLINI, préc., note 200, 64-65 208 G. MATTEUCCI, préc., note 196, à la p. 214 209 M. HANKS, préc., note 81, 938

210 Disposizioni per lo sviluppo economico, la semplificazione, la competitività nonché in materia di processo civile, préc., note 195, art. 60. m)

44 doublaient lorsque la médiation se terminait par une entente. Il n’était donc pas rare que les parties quittent la médiation tout juste avant qu’une transaction soit signée211.

Un des aspects distinctifs du programme se trouvait dans le rôle des médiateurs. Ils pouvaient, à la demande des parties ou de leur propre initiative, émettre des recommandations. Les parties avaient alors 7 jours pour accepter ou refuser la recommandation. Dans le cas d’un refus, si le jugement rendu à la suite du procès était le même que la proposition rejetée, la partie ayant refusé pouvait se voir imposer les frais judiciaires, incluant ceux de la partie perdante212.

Le programme a toutefois été interrompu en 2012 alors qu’une décision de la Cour constitutionnelle a déclaré l’inconstitutionnalité de la loi créant la médiation obligatoire213. La déclaration d’inconstitutionnalité ne portait pas sur le fond de la loi, mais plutôt sur une erreur au moment de son adoption en raison d’une délégation de pouvoir interdite214. Après ce revers, et même si les fondements de la médiation obligatoire n’avaient pas directement été remis en question par la Cour constitutionnelle, la médiation a perdu en popularité en Italie215.

En 2013, la médiation a retrouvé un peu de sa gloire du passé alors qu’une nouvelle obligation de médiation a été adoptée, conformément à la constitution cette fois216. Le programme, au départ présenté sous forme de projet pilote, est devenu permanent en 2017217. La règlementation de 2013 prévoit une obligation pour les parties d’assister à une séance d’information sur la médiation offerte à un tarif forfaitaire. Les parties ont ensuite la possibilité de se retirer du processus218. Contrairement au programme de 2010, l’obligation de médiation actuellement en place s’applique à moins de dossiers, puisque certains domaines de droit sont désormais exclus219. Dans les premières années de son implantation, la plupart des

211 G. MATTEUCCI, préc., note 196, à la p. 214

212 Id., à la p. 215; Disposizioni per lo sviluppo economico, la semplificazione, la competitività nonché in materia di processo civile, préc., note 195, art. 60. p); G. MATTEUCCI, préc., note 198

213 Mediazione, Cour constitutionnelle, 6 décembre 2012, (2012), arrêt no 272 214 G. MATTEUCCI, préc., note 198; G. MATTEUCCI, préc., note 196, à la p. 221 215 G. DE PALO et R. CANESSA, préc., note 96, 722

216 G. MATTEUCCI, préc., note 198

217 Giulio SPINA, « Mediazione obbligatoria diventa stabile con la manovra correttiva », Altalex, 7 juillet 2017, en ligne: <http://www.altalex.com/documents/news/2017/07/06/mediazione-manovra-correttiva> (consulté le 4 décembre 2017)

218 G. MATTEUCCI, préc., note 196, p. 207

45 avocats boycottaient la médiation ou assistaient seulement à la séance d’information, sans leur client, pour déclarer qu’ils n’étaient pas intéressés par ce processus220.

Selon certains, ce nouveau programme augmente la bureaucratie sans toutefois fournir les résultats attendus221. Pour d’autres, il incite les parties à considérer la médiation et augmente l’usage de la médiation à la fois obligatoire et volontaire222. Selon Giussepe De Palo, la médiation doit être obligatoire pour changer les mentalités; un simple encouragement à participer à la médiation n’est pas suffisant :

« I have been using the seat belt or helmet law example for quite some time now, to explain why it is naïve – in my view – to keep on blaming the “lack of culture” for the limited use of mediation. […] I argue that the human being’s initial, natural response to a legal conflict (or the threat of it) is not mediation, but litigation—despite the fact that, overall, the better approach, at least in the vast majority of the cases, is an amicable process. My point is the following: people know that wearing a seat belt or a helmet is good for them (and society); still, we have laws compelling that behavior. A “culture of safe driving” alone won’t do it. »223

Pendant sa période d’activité, l’obligation de médiation a fait augmenter de manière substantielle le nombre de médiations tant obligatoire que volontaire ayant lieu en Italie. Comme le soulignent Giuseppe De Palo et Ashley Oleson « […] mandatory exposure to mediation instigates a fortuitous “tag-along” effect »224. Alors qu’avant 2010, moins de 2000 médiations étaient entreprises chaque année de manière volontaire, ce nombre a grimpé à près de 45 000 pendant la période d’activité du décret de 2010 sur les quelque 220 000 médiations entreprises dans le pays. Après la décision de la Cour constitutionnelle de 2012, le nombre de médiations débutées volontairement est retombé à près de zéro. Enfin, depuis 2013, autant la médiation volontaire que la médiation obligatoire ont repris leur élan avec quelques dizaines de milliers de médiations par mois225. En effet, depuis les dernières années, on voit une légère amélioration dans le taux de rétention du programme, mais aussi du nombre de médiations entamées volontairement. Ainsi, en 2015, 196 247 médiations ont eu lieu, une augmentation

220 G. MATTEUCCI, préc., note 198; G. MATTEUCCI, préc., note 196, à la p. 223 221 G. MATTEUCCI, préc., note 198

222 G. DE PALO, préc., note 56, à la p. 101; G. DE PALO et R. CANESSA, préc., note 96, 722-723 223 G. DE PALO, préc., note 56, à la p. 102

224 G. DE PALO et A. E. OLESON, préc., note 95, à la p. 265

46 marquée par rapport aux 179 587 de 2014. Parmi celles-ci, 80 % avaient été commencées en raison d’une obligation de médiation et environ 21 % d’entre elles se sont terminées par une entente226. Le programme de médiation obligatoire italien commence donc lentement à montrer des résultats positifs.

Section 5 : L’implantation d’un projet pilote aux petites créances dans les conflits de

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