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Les effets complexes de l’ingestion des inhibiteurs de protéases sur la régulation des protéases

1.4. L’effet de l’ingestion d’inhibiteurs de protéases sur les protéases des insectes

1.4.2. Les effets complexes de l’ingestion des inhibiteurs de protéases sur la régulation des protéases

1.4.2.1. Déséquilibre du pool d’acides aminés

De nombreuses études ont été menées afin de déterminer l’effet de l’ingestion d’inhibiteurs de protéases sur la survie et le développement de l’insecte. Ces essais ont été effectués in vivo grâce à l’incorporation de l’IP dans un milieu nutritif artificiel (Christeller, 1992 ; Christeller, 1994 ; Bown, 1998 ; Liang, 1991). En comparaison avec le milieu nutritif contrôle, la présence d’un IP efficace permet d’observer une augmentation de la mortalité des

larves, une perte de poids et un retard de développement (Gatehouse, 1999 ; pour revue Jongsma, 1997). La plupart de ces auteurs ont évalué l’inhibition des protéases présentes dans le tube digestif de l’insecte. Grâce à l’utilisation d’un substrat synthétique spécifique de chaque classe d’enzyme, l’inhibition spécifique de l’IP peut être mise en évidence. Ce type d’essais permet d’effectuer un criblage afin de sélectionner l’IP qui possède la meilleure affinité pour les protéases de l’insecte cible. Ces tests en alimentation artificielle ont révélé le potentiel des IP d’origine végétale pour l’inhibition des protéases digestives des insectes. Ces molécules inhibent les enzymes de la digestion primaire des protéines ingérées. Ce sont des substances antimétaboliques et antinutritives responsables d’une réduction du taux de protéolyse et donc d’une moindre disponibilité en acides aminés de l’alimentation conduisant à un retard de croissance larvaire (Burgess, 1994 ; Orr, 1994; De Leo, 1998). Un enrichissement du milieu nutritif en acides aminés soufrés (méthionine, cystéine) élimine les effets délétères des IP sur la croissance larvaire (Gatehouse, 1983 ; Oppert, 1993 ; Broadway, 1996). Ces auteurs montrent également que les retards de croissance observés sont corrélés à une hyper-production de protéases digestives en réponse à l’ingestion d’IP. Le taux de digestion des protéines in vivo peut ainsi être maintenu malgré la présence de l’IP. Cette hyper-production de protéases mobiliserait des acides aminés soufrés au détriment de la synthèse d’autres protéines essentielles. Le détournement métabolique ainsi induit, semble conduire à un déséquilibre du stock d’acides aminés disponibles qui aboutit finalement à l’apparition de carences en certains d’entre eux (certainement correspondant aux acides aminés faiblement représentés dans la nourriture ingérée). Les IP n’agissent donc pas forcément par simple blocage de l’assimilation des protéines mais aussi par mobilisation des réserves d’acides aminés de la larve en vue de la synthèse de protéines.

1.4.2.2. Stratégie adaptative des insectes face à l’ingestion d’IP

Malgré les résultats encourageants que l’on observe grâce à l’expression d’inhibiteurs de protéases exogènes pour lutter contre les insectes phytophages, certaines lignées transgéniques ne présentent aucun gain de résistance, voire des effets inverses, les insectes se développent beaucoup mieux (effets probiotiques).

Les effets de l’ingestion d’inhibiteurs de protéases sur les insectes sont très complexes. Chaque espèce d’insectes, voire chaque population d’insecte, réagit différemment à la sur-expression d’inhibiteurs de protéases dans son alimentation (Girard, 1998 c). Grâce à l’étude de quelques cas, il a été mis en évidence trois stratégies adaptatives :

Introduction

21 - (1) La détoxication de l’alimentation par dégradation de l’IP. Par exemple, les peupliers transgéniques exprimant constitutivement l’oryzacystatine (OC-I) présentent un gain de résistance aux larves du coléoptère C. tremulae. En effet, 40% des larves meurent après ingestion des feuilles de ces peupliers en fin de cycle. Pourtant, aucun effet délétère n’est observé lorsque les larves de la phédone du cresson (P. cochleaciae) se nourrissent sur des colzas transgéniques exprimant OC-I (Girard, 1998b). De plus, aucun changement au niveau de la nature des protéases ou de leur niveau d’activité n’est observé, aucune réponse de compensation n’est mise en place. La résistance des larves de phédone semble être médiée par la dégradation d’OC-I qui perd rapidement son activité. Ce système de détoxication met en jeu des protéases à sérine en association avec des leucine-aminopeptidases déjà présentes dans le tube digestif de la larve (Girard, 1998 a).

- (2) L’adaptation favorable suite à un faible niveau d’expression de l’IP. Lorsque l’inhibiteur trypsique de la moutarde MTI-2 est exprimé à un taux de 1,6% des protéines solubles dans les feuilles d’A. thaliana ou de tabac transgéniques, des effets délétères sur les larves du lépidoptère S. littoralis (20% de mortalité, 50% de réduction de croissance, 56% de réduction de la fertilité) sont observés ainsi qu’une réduction des dommages foliaires (De Leo, 1998 ; De Leo, 2002). Par contre, lorsque ces larves se nourrissent de feuilles de plantes transgéniques exprimant l’inhibiteur à un faible niveau (0,5% des protéines solubles), les larves se développent plus rapidement et plus efficacement, provoquant des dégâts beaucoup plus importants sur la plante (+ 26%). Ces observations sont corrélées à une sur-expression de protéases pré-existantes et sensibles à MTI-2 in vitro. L’accroissement de la consommation foliaire peut être la conséquence d’une diminution de la qualité nutritive de l’aliment du fait de la présence de l’IP, et/ou d’une activité protéolytique accrue chez ces larves.

- (3) L’induction de protéases insensibles à l’IP. De nombreuses équipes ont pu révéler la néo-synthèse de protéases insensibles à l’inhibiteur ingéré (Broadway, 1995 ; Jongsma, 1995 ; Bown, 1997). L’équipe de M. Jongsma a pu montrer, que contrairement aux résultats encourageants obtenus avec les tests en milieux artificiels, le développement des larves du lépidoptère S. exigua n’est pas affecté par l’expression constitutive de PI-II (inhibiteur de protéases à sérine de la pomme de terre) dans des tabacs transgéniques. Ces insectes mettent en place un mécanisme d’adaptation par induction de protéases insensibles à l’inhibiteur. Exposées continuellement à l’inhibiteur, les larves modifient la nature de leurs

protéases, réduisant ainsi leur sensibilité et abolissant l’effet antimétabolique du produit du transgène.

Bown et al. (1997) ont pu éclaircir le mécanisme moléculaire impliqué dans cette réponse adaptative. Le génome du lépidoptère H. armigera renferme au moins vingt huit gènes codant des protéases à sérine. Bien que les résidus du site actif soient conservés, les résidus impliqués dans le contact protéase-inhibiteur sont variables entre les différentes isoformes (démontrant à nouveau la très fine spécificité d’interaction entre l’inhibiteur et sa cible). Ainsi, l’expression de ces différents gènes peut être différentiellement induite selon la nature de l’inhibiteur. En présence de 0,5% de SKTI (Soybean Kunitz Trypsin Inhibitor) dans le milieu de nutrition artificielle, la régulation de la synthèse des protéases est complexe : le niveau des messagers codant pour certaines chymotrypsines est augmenté alors que celui de certaines trypsines est réduit (d’autres présentent peu de variation).

Récemment, Mazumdar et Broadway (2001) ont mis en évidence la cinétique d’induction de ces différentes classes de protéases. La réponse des larves de lépidoptères se décompose en deux phases : tout d’abord, il y a sur-expression de protéases sensibles à partir d’un pool d’ARNm pré-existants, et ensuite induction d’une synthèse de novo de messagers codant pour des protéases insensibles. Ces protéases insensibles sont détectées deux heures après l’ingestion de l’inhibiteur (Broadway, 1997).

Enfin, l’étude de l’interaction entre H. armigera et sa plante hôte (chickpea) montre que les protéases de la larve sont capables de dégrader les inhibiteurs de protéases synthétisés par la plante pour se protéger (Giri, 1998). L’induction de protéases insensibles aux inhibiteurs de protéases endogènes, induits lors de la blessure, semble être un mécanisme fréquent grâce auquel les insectes peuvent contourner l’accumulation d’IP.

Ces résultats démontrent la rapidité de la réponse adaptative, la plasticité de la physiologie digestive des insectes, ainsi que la complexité de la régulation de tous ces gènes codant des protéases.

Figure 5 : Représentation schématique du cycle de vie des pucerons en région tempérée.

Dans une région donnée, l’adaptation des pucerons aux conditions particulières du milieu peut se traduire par de nombreuses variantes au niveau des phases du cycle (changement de plante hôte appartenant à une même espèce ou non ; perte de la possibilité de se reproduire par voie sexuée). La  représentation  ci-dessus  est  donc  très  schématique  et  ne  traduit  que  partiellement  la complexité des cycles chez les pucerons.