Les titres de l’accord de 1885 furent émis en deux temps. D’abord, en janvier 1886, au prix de 80, puis la deuxième une année plus tard, au prix de 85. Le 10 janvier 1886, le Buenos Ayres Standard publia :
« Messrs. Baring Brothers telegram to the National Government states that the loan was subscribed for in its totality the very first day offered to the public. This is a great success, and we compliment the Government on the results. It is perhaps, the most brilliant financial operation ever carried through by a South American state» 330 .
L’accord déclencha des actions bien précises de la part de chaque agent, suivant les incitations que nous avons citées plus haut. Baring a pu placer sur le marché la deuxième moitié d’un emprunt de la province de Buenos Aires de 1881. En fait, les banques ont pu assurer le paiement des emprunts qu’elles avaient signés dans les années précédant l’accord et qui n’avaient pas pu être placés sur le marché. D’ailleurs, ils ont pu assurer le succès de l’émission de titres en 1886 grâce à la garantie et à la syndicalisation des principaux
330 Buenos Ayres Standard, 10 janvier 1886.
90
197 concurrents des titres argentins. Nous allons différencier le comportement de chaque agent dans les années 18861889.
Le gouvernement. Puisque l’Argentine semblait à nouveau une « affaire » fortement profitable, d’autres emprunts furent émis au cours de la même année 1886. En octobre 1886 (violant donc les termes de l’accord de 1885), une loi fut votée autorisant le gouvernement à contracter un emprunt extérieur de £4 millions (et un coupon de 5%) pour l’extension des chemins de fer : la nouvelle banque était Murrieta, qui n’avait pas participé à l’accord de 1885.
Le mandat du gouvernement en place (celui de Roca) venait à expiration en octobre 1886, alors que l’emprunt de Murrieta fut négocié quelques jours plus tard. Cependant, l’emprunt de £12 millions pour la Banque de la Province de Buenos Aires fut négocié en mars 1886.
Nous avions mentionné que, dans l’accord de 1885, le gouvernement argentin s’était engagé à n’autoriser ou à ne négocier aucun emprunt. En fait, ce n’était pas le gouvernement national qui négocia l’emprunt mais le gouvernement de la province de Buenos Aires. Et les banques bénéficiaires ne furent pas celles qui signèrent l’accord, mais des banques allemandes 331 .
Le gouvernement profita donc de sa nouvelle position pour émettre la plus grande quantité possible de titres. Le gouvernement national finança donc les travaux publics de grande envergure, les provinces en profitant également pour recapitaliser leurs banques et les municipalités pour se fournir en infrastructures urbaines de base. Dans le même temps, les gouvernements encourageaient la formation de compagnies de « public utilities ». Le résultat est illustré dans le graphique 3 : y sont représentées les émissions des titres argentins en Europe (comprenant les titres des gouvernements national et provinciaux, des municipalités et des compagnies de travaux publics et de chemins de fer).
331 Les membres du syndicat étaient: Mendehlssohn, Bethmann et Deutshce Effecter & Wechsel Bank.
198 Graphique 3 :Emission de titres argentins à Londres.
Source : « Press clips », 18811889.
Les banques. Malgré une détérioration des fondamentaux économiques de l’Argentine dans les dernières années de la décennie 1880, les banques ont consenti à émettre de nouveaux emprunts.
Graphique 4 : Effets de l’accord sur les banques Sources : Archives banques, « Press clips ».
Le graphique 4 montre l’impact de l’accord dans le comportement des banques visàvis de l’Argentine (gouvernement fédéral). Elle inclut les montants émis (en millions de livres sterling), le nombre de banques participant à l’émission des titres (dans au moins une seule
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18
1881 1882 1883 1884 1885 1886 1887 1888 1889
Années
Nombre de banques, montant émis
Montant émis Nombre des banques emetteurs et contractants Part moyen à chacun 0
5000 10000 15000 20000 25000 30000 35000 40000
Milliers de £
1881 1882 1883 1884 1885 1886 1887 1888 1889
A nnées
199 des phases nécessaires pour l’émission de titres) et la partie moyenne correspondant à chacune des banques. L’année cruciale (où il n’y a eu aucune émission) fut 1885. Le nombre de banques s’accroît fortement après cette année, indiquant une concurrence majeure, car la part moyenne de chacune des banques participantes augmente également, encourrant un risque plus élevé dans chacune des émissions. Evidemment, si nous incluons les provinces et les participations dans l’émission de titres des compagnies privées, ces chiffres augmenteraient considérablement. La question qui se pose est de savoir si les banques avaient acquis l’information pertinente pour leur participation dans les affaires argentines. Par exemple, le gouvernement de Cordoba signa un contrat avec un syndicat de banques françaises et allemandes pour fournir du capital à la nouvelle Banque Hypothécaire de cette province. Les banques avaient pris la moitié de l’emprunt en ferme, gardant dans le contrat une clause de garanties, ces dernières étant constituées par les actions de la banque de la province de Cordoba, ainsi que par leurs intérêts et dividendes. Lorsque les difficultés survinrent en 1890, les banques adressèrent une lettre au gouverneur de la province :
« (…)Pour compléter la constatation régulière des garanties affectées au dit emprunt, il est utile qu’un document spécial nous soit remis à cet éga rd, et nous prions Votre excellence de vouloir bien donner les instructions nécessaires à ce sujet à la Banque Hypothécaire Provinciale, à laquelle nous écrivons également.
En même temps, nous serions reconnaissants à Votre excellence de vouloir bien nous faire connaître, par des documents officiels, l’importance du produit des contributions directes et de l’impôt des patentes.
Il nous serait également agréable de recevoir des comptes rendus officiels relatif au progrès de la province de Cordoba, de ses ressources et richesses actuelles.
En présence de la dépréciation des valeurs a rgentines, qui s’est produite à la suite de la situation actuelle, du ma rché monétaire de la République argentine, nous pensons qu’il importe pour les porteurs des titres argentins, aussi bien qu’au point de vue des intérêts du gouvernement de la province, de porter à la connaissance du public l’affectation régulière des garanties accordées à l’emprunt et l’importance réelle de ces garanties… » 332 .
Le marché. Afin de connaître l’effet du comportement des banques sur le marché (investisseurs), nous faisons ici des tests préliminaires sur le changement de perception à l’égard de l’Argentine. Notre argument consiste à montrer que le rôle de « delegated monitor » joué par Baring visàvis de l’Argentine et l’entrée de plusieurs banques dans les émissions des titres argentins ont rassuré les investisseurs sur la capacité de paiement de l’emprunteur.
Nous avons réalisé deux tests préliminaires dans cette section (nous y reviendrons dans le chapitre IV dans un cadre théorique plus formel). Pour ceci, nous avons calculé tous les yields d’émission des titres argentins (des gouvernements et des compagnies de public
332 Archives du Comptoir d’Escompte.