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Effet du vieillissement sur les processus de mémoire

Vieillissement, mémoire épisodique, mémoire quotidienne

II. Vieillissement et mémoire épisodique

1. Effet du vieillissement sur les processus de mémoire

1.1. L’apprentissage

Il semblerait que les capacités d’apprentissage soit préservées chez les personnes âgées, mesurées notamment en utilisant les tests traditionnels de mémoire verbale tels que le Hopkins Verbal Learning Test, le CVLT ou encor le RAVLT qui, comme nous l’avons vu dans le chapitre I, utilisent la procédure de multiples essais de rappel libre (Friedman, Schinka, Mortimer, Graves, 2002). Toutefois, elles apprennent moins rapidement que les jeunes en raison de leur performance de rappel libre moindre comparée à celle des jeunes (Lamar, Resnick, Zonderman, 2003). Par exemple, Davies, Small, Stern, Mayeux, Feldstein, & Keller (2003) ont utilisé une tâche de rappel libre au cours de multiples essais afin de comparer plusieurs tranches d’âge (30-45, 46-60, 61-75, et 76-90 ans) sur l’apprentissage au cours de 5 essais successifs, suivis d’un rappel et d’une tâche de reconnaissance différés soit de 20 mn soit de 1 jour. Ils ont montré que la capacité d’apprentissage était conservée quel que soit le groupe mais les deux groupes les plus âgés avaient un rappel total après 5 essais moindre que les deux premiers, qui montraient un effet plafond.

Au total, il apparaît que les mécanismes d’apprentissage soient préservés dans le vieillissement, bien qu’indéniablement le niveau de départ d’acquisition soit toujours en deçà du sujet jeune.

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1.2. Stratégie d’encodage : le regroupement sémantique

Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, le regroupement sémantique permet chez les jeunes adultes d’augmenter les performances de rappel lors de la phase d’apprentissage, lorsque les items d’une liste font partie de catégories sémantiques. Il est en général constaté que lorsque la liste est « blockée » (Blocked en anglais), c’est-à-dire lorsque la liste est présentée en regroupant par avance les items par catégorie, les âgées en bénéficient autant que les jeunes non seulement en termes d’une augmentation du nombre de regroupements mais aussi en termes de performances de rappel libre, ce qui est moins le cas lorsque les items sont présentés selon un ordre pseudo-randomisé dans lequel deux items appartenant à la même catégorie sémantique ne se suivent pas (Wegesin, Jacobs, Zubin, Ventura, & Stern, 2000). Remarquons que la condition « blocked » améliorait aussi bien le rappel que la reconnaissance, surtout lorsqu’il fallait rechercher en mémoire la source d’un item (e.g., cet item a-t-il été présentée par la voix féminine ou la voix masculine ?). Ces résultats furent répliqués par la suite, et furent associés à la capacité de trouver les mots chez les âgés, c’est-à-dire la fluence sémantique plutôt qu’aux autres tests de mémoire de travail, d’attention ou de raisonnement (Jacobs, Rakitin, Zubin, Vetura, & Stern, 2001). Cependant, alors que le fait de mettre en évidence ou de diriger le rappel en donnant des indices sémantiques augmente l’utilisation de la stratégie de regroupement, les études semblent moins catégoriques sur les bénéfices apportés sur le rappel libre chez les âgés. Par exemple, Woo & Schmitter-Edgecombe (2009) montrèrent que la différence en termes de regroupement sémantique entre les jeunes et les âgés disparaissaient lorsque la méthode d’indiçage sémantique était utilisée, mais les performances de rappel des âgés restent toujours aussi faibles par rapport aux jeunes. Cette capacité de regroupement sémantique chez les âgés uniquement dépendante de la nature pré-organisée du matériel verbal semble également valable pour du matériel non verbal (e.g., des formes géométriques, des dessins, des photographies ou encore des objets réels) (Sharp & Gollin, 1988). Cependant, il est intéressant de constater que ce pattern ne semble valable que pour la mémoire verbale et visuelle. En effet, lorsque le paradigme d’apprentissage par rappel libre au cours de multiples essais utilisé par le CVLT est transposé à la mémoire des odeurs, les âgés ont des performances très faibles non seulement sur le rappel libre immédiat après les essais d’apprentissage, mais aussi de rappel indiçé, de rappel différé mais surtout d’utilisation du regroupement sémantique comparés aux jeunes (Nordin & Murphy, 1998). Remarquons de

136 plus que la présence de l’allèle APOE-epsilon 4 n’est pas souvent contrôlé chez les personnes âgées bien portantes, pourtant son rôle dans la démence de type Alzheimer a été suggéré comme facteur de risque (Kim, Basak, Holtzman, 2009). Les personnes âgées porteuse de la variante e-4 de cet allèle montrent généralement de moins bonnes performances que les personnes âgées non-porteuses sur l’ensemble des processus de la mémoire épisodique, et notamment sur le regroupement sémantique et présentent plus de chances de conversion vers une démence (Bondi et al., 1995).

Au total, l’ensemble de ces études indique que les regroupements sémantiques en rappel libre sont plus facilement réalisés lorsque le matériel est préalablement organisé ou encore que les scores de catégorisation corrigés pour le nombre de mots rappelés sont inchangés avec l’âge (Sauzéon et al., 2001), révélant pour les auteurs tout simplement que l’accès automatique au contenus de la mémoire sémantique est intact dans le vieillissement (Hoyer & Verhaegen, 2006).

1.3. Processus de récupération : différences entre les tâches de rappel et de reconnaissances

Lorsque la tâche de rappel libre est considérée isolément de l’apprentissage, en tant que tâche de récupération, comme dans un paradigme de rappel isolé (single trial free recall

paradigm, Metcalfe & Murdock, 1981), une différence liée à l’âge est observée (Bäckman & Nilsson, 1984). Cependant, sur les tâches de reconnaissance, les résultats montrent toujours des performances supérieures aussi bien chez les jeunes que chez les âgés par rapport au rappel libre avec même parfois une normalisation de la performance chez le sujet âgé (e.g., Craik & McDowd, 1987), car l’item à reconnaître constitue finalement son propre indice de récupération. Ainsi, l’information non-accessible durant le rappel le devient durant la reconnaissance, montrant que celle-ci n’avait pas totalement disparue de la mémoire. Cependant, il n’est pas encore formellement établi si les différences liées à l’âge disparaissent ou persistent sur les tâches de reconnaissances. La plupart des travaux dans ce domaines datent de la fin des années 60 et des années 70, mais rares sont les études qui se sont penchées sur cette question ces dernières années (Danckert & Craik, in press). En effet, certaines études comparant les jeunes aux âgés sur la reconnaissance d’items de type Oui/Non montrent une suppression-ou une diminution substantielle-de l’effet de l’âge (Botwinick & Storandt, 1980), tandis que d’autres montrent au contraire que les âgés performent moins bien que les jeunes sur ce type de tâche même si au global les deux groupes réussissent mieux la reconnaissance que le rappel (Craik & McDowd, 1987 ; Dankert & Craik, in press). La dernière étude menée

137 par Danckert & Craik (in press) vient récemment de conclure à un résultat intermédiaire où une différence liée à l’âge est bien constatée en rappel libre comme en reconnaissance mais que l’effet de l’âge est substantiellement plus important pour la tâche de rappel comparée à la reconnaissance (bénéfice augmenté de la reconnaissance chez les âgés mais performance non normalisée).

1.4. Processus d’oubli actif: l’interférence proactive

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’interférence proactive peut être évaluée grâce à de nombreuses procédures. Et l’effet de l’âge sur la sensibilité à l’interférence proactive semble dépendre du type de tâche utilisée. Par exemple, dans les tâches d’empan complexe (e.g., operation span task, Unsworth, Heitz, Schrock, & Engle, 2005), dans lesquels le matériel à encoder (une tâche d’opération arithmétique apparié à un mot) est répété au cours de plusieurs essais successifs en commençant par présenter un nombre restreint de mots lors du premier essai en augmentant le nombre de mots lors des essais successifs suivants, un effet de l’âge est trouvé, où les mots de l’essai antérieur interférent avec le rappel des mots de l’essai suivant (Emery, Hale, & Myerson, 2008 ; May et al., 1999). En revanche, lorsque l’ordre de la présentation des mots est inversée lors des essais successifs, en commençant par présenter une liste longue jusqu’à réduire le nombre de mots lors des essais suivants, l’effet d’interférence disparaît aussi bien chez les jeunes que chez les âgés (May et al., 1999).

Une autre manière d’évaluer l’interférence proactive est d’utiliser le paradigme des paires associés AB-AC dans lequel le paradigme de rappel libre multi-essai peut-être incorporé : par exemple, au cours des essais successifs, les participants doivent apprendre une paire de mots AB dans laquelle le mot A constitue l’indice (ou l’amorçe) et le mot B la cible à rappeler. Puis les mêmes mots A sont couplés à des mots C lors d’un nouvel essai. Dans ce type de paradigme, un effet d’interférence plus important a été montré pour les âgés (le fait de rappeler moins de mots C) comparés aux jeunes (Ebert & Anderson, 2009). Lorsqu’une nouvelle liste de mots sémantiquement reliés est présentée à chaque essai sans pour autant qu’ils soient appariés, on montrent également une construction de l’interférence proactive (build-up of proactive inteference , Wickens, 1972), un effet de l’âge plus important est noté (Hasher, Chung, May, & Foong, 2002).

Cependant, les résultats quant aux différences liées à l’âge sont plus mitigés lorsque la même liste de mots sémantiquement reliés est présentée au cours de plusieurs essais successifs. Par exemple, Ebert & Anderson (2009) montrèrent que les âgés comme les jeunes

138 sont susceptibles à l’interférence de la liste cible (A) sur la liste B, mais que la différence entre les deux listes est moindre chez les âgés comparés aux jeunes. En revanche, une procédure similaire utilisée par Constantinidou & Baker (2002) en administrant un test comme le CVLT a montré au contraire de meilleures performances de rappel libre à la liste B comparée à la liste A, un effet inversé à celui attendu, un peu à la manière d’une suppression de l’effet d’interférence (release from proactive interference, Wickens, 1972). Cette étude montre que cet effet d’interférence inversé (reverse proactive interference, Thapar, 1996) peut aussi être observé chez les âgés, effet qui à ce jour n’a pas été élucidé.

1.5. Fausses reconnaissances

Les adultes âgés sont sensibles aux fausses reconnaissances, c’est-à-dire à la tendance à reconnaître comme ayant été étudié des événements qui ne l’ont en fait jamais été, ou bien à associer un événement au mauvais contexte (Schacter, 2001). En utilisant le paradigme Deese-Roediger-McDermott (Deese, 1959 ; Roediger & McDermott, 1995), cette susceptibilité a été montrée chez les âgés qui commettent alors des fausses reconnaissances sémantiques ou gist-based false recognitions, c’est-à-dire des items nouveaux qui présentent toutefois un lien sémantique avec les items cibles (Budson, Sullivan, Daffner, & Schacter, 2003 ; pour revue Gallo, 2010). Aussi, ils reconnaissent plus d’items comme ayant été précédemment étudiés dans un autre contexte, faisant alors des fausses reconnaissances de source ou source-based false recognitions, soit en utilisant les paradigmes traditionnels comme nous l’avons montré précédemment, mais aussi en couplant l’attribution de la source avec la paradigme de Loftus montrant le misinformation effect (Mitchell, Johnson, & Mather, 2003). Ainsi, les âgés sont plus susceptibles d’endosser une information qui ne leur a été que suggérée comparés aux jeunes. A notre connaissance, une seule étude a pu comparer les deux types de fausses reconnaissances chez les âgés (Pierce, Sullivan, Schacter, & Budson, 2005) au moyen d’un paradigme DRM modifié dans lequel les sujets étaient soumis à une tâche de reconnaissance de type Oui/Non après une phase d’étude dans laquelle les participants étaient invités à accomplir une tâche d’orientation manipulant le niveau de traitement (superficiel vs. profond). Certains de ces items utilisés pour la tâche d’orientation étaient ensuite étudiés dans une liste séparée pour chacun des deux types de traitements, constituant la source cible, et la tâche d’orientation constituant la source non-cible. Ainsi, la tâche de reconnaissance comportait non seulement des items cibles provenant des listes étudiées mais aussi des leurres critiques provenant de la tâche d’orientation : des leurres mixtes (source et relié

139 sémantiquement) superficiels et profond, des leurres sémantiques purs, des leurres sources pures (non-reliés sémantiquement mais étudiées durant la tâche d’orientation) profonds et superficiels. Les auteurs rapportent une performance équivalente en termes de reconnaissance correcte entre les jeunes et les âgés, mais plus de fausses reconnaissances de manière générale chez les âgés comparés aux jeunes. De manière intéressantes, ils montèrent un taux de fausse reconnaissances de source purs équivalent entre les deux groupes d’âge mais un taux de fausse reconnaissances mixtes plus important aussi bien chez les âgés que chez les jeunes surtout après un traitement superficiel comparés aux fausses reconnaissances sémantiques pures.