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Effet de la défavorisation matérielle et sociale sur la qualité de l’usage

Chapitre 5. Discussion

5.2. Interprétation des résultats

5.2.3 Effet de la défavorisation matérielle et sociale sur la qualité de l’usage

La persistance

Parmi les sujets ayant été exposés à un antidépresseur (n=65 453), la proportion de sujets persistants à prendre leur traitement médicamenteux 240 jours suivant la date de la première réclamation d’antidépresseur était de 54% (n=35 357). Cette proportion est supérieure à celle observée dans le rapport de l’INESSS (33) qui était de 41% pour la même durée. Des différences méthodologiques entre la présente étude et le rapport de l’INESSS (33) peuvent expliquer cette différence. Plus précisément des différences dans la définition de la persistance. En effet, pour notre étude les sujets ont été considérés persistants s'ils avaient acquis une prescription d’un antidépresseur le 240ième jour après la date de la 1ère

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réclamation ou dans les 45 jours précédents. Au Québec, les prescriptions d’antidépresseur ont habituellement une durée de 30 jours, ce qui permettait une certaine période de grâce. Dans le rapport de l’INESSS (33), les sujets ont été considérés comme persistants s’ils avaient une prescription active le 240ième jour après la date de la 1ère réclamation uniquement. Ainsi, la définition de la persistance selon l’INESSS était plus stricte et donc moins de sujets étaient considérés comme persistants.

Les résultats de notre étude indiquent qu’il n’y a pas d’association entre la persistance des sujets à prendre leur traitement médicamenteux pour la durée recommandée et le niveau de défavorisation matérielle et sociale de l’aire géographique de résidence. Par contre les résultats des études de Nwokeji et al. (103) et Hansen et al. (25) suggèrent une association entre le faible niveau socioéconomique et la non persistance. L’étude de Nwokeji et al. (103) est une étude clinique randomisée réalisée aux États-Unis chez 166 travailleurs ayant un diagnostic de dépression. Ces travailleurs n’avaient pas de couverture santé, mais bénéficiaient toutefois d’une aide (Gold Card program) (103). Dans cette étude (103), être dans le groupe intervention ou dans le groupe contrôle, le niveau de scolarité et l’ethnicité étaient utilisés comme indicateur du statut socioéconomique. La persistance a été mesurée pour une année de traitement. Les sujets de l’étude ont été considérés comme non persistants à un traitement médicamenteux antidépresseur lorsque la date entre deux réclamations excédait 35 jours. Une régression de Cox a été réalisée. Les résultats de l’étude de Nwokeji et al. (103) n’ont pas montré d’association entre la non persistance et le fait d’appartenir au groupe contrôle (ceux ne recevant pas l’aide financière supplémentaire) (RH= 0,78, IC95%= 0,46-1,32) (103). Par contre, les sujets ayant un niveau de scolarité élevé étaient moins susceptible d’être non-persistants que les sujets ayant un niveau de scolarité plus faible (RH= 0,71, IC95%= 0,57-0,88). L’ethnicité était aussi associée à la non-persistance, pour le groupe défavorisé défini comme étant le groupe de sujet d’origine afro-américaine, le rapport de risque était de 1,86 (IC95%= 1,02-3,40) lorsque comparé au groupe de sujets d’origine blanche (103).

L’étude de Hansen et al. (25) est une étude danoise réalisée auprès des mêmes nouveaux utilisateurs d’antidépresseurs que l’étude définie précédemment (76). Dans cette

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étude (25), un sujet était considéré comme non-persistant s’il n’avait pas obtenu de réclamation pour un antidépresseur au cours des 6 mois suivant la première réclamation (25). Dans l’étude de Hansen et al. (25), il y avait une association entre le faible niveau socioéconomique et la non-persistance. En effet, le groupe avec le niveau socioéconomique le plus bas, selon le statut d’emploi, défini comme étant les personnes recevant une pension de vieillesse, était 54 % plus susceptible d’être non-persistant que le groupe de référence défini comme étant les employés de bas niveau (rapport de cotes =1,54 IC 95% =1,11 – 2,13) (25). Aussi, le groupe des personnes sans emploi était 46 % plus susceptible d’être moins persistant que le groupe d’employés de bas niveau (rapport de cotes =1,46 IC 95% =1,06 – 2,01) (25). Les personnes appartenant au quartile supérieur de revenu annuel étaient moins susceptibles d’être non-persistantes (rapport de cotes = 0,69 IC 95% 0,58 – 0,84) par rapport aux personnes appartenant aux quartiles inférieurs (25).

Les auteurs de l’étude de Hansen et al. (25) ont observé une association entre le niveau socioéconomique et la persistance, ce qui n’est pas le cas de notre étude, par contre, Nwokeji et al. (103) ont observé des résultats similaires à la nôtre. Dans l’étude de Hansen

et al. (25) et la nôtre, des différences méthodologiques mais aussi des similitudes peuvent

être relevées. En effet, la population incluse dans cette étude et dans lanôtre était similaire, elle comportait des sujets ayant eu un diagnostic de dépression et n’ayant pas eu d’antécédents de dépression avant la date d’inclusion. Aussi, la définition du statut socioéconomique était similaire. Dans l’étude de Hansen, la mesure de la défavorisation était individuelle mais basée sur des indicateurs semblables à ceux de notre étude. Il y avait également des différences quant à la définition de la persistance, toutefois cela n’explique pas la différence des résultats observés concernant l’association entre le niveau socioéconomique et la persistance. De plus, le système d’assurance médicament danois ressemble au système québécois. Ce système, comme au Québec, est universel et il est entièrement public (121). Ce système offre également des subventions sociales de santé à des groupes de personnes appartenant à certains niveaux socioéconomiques (121). Comme dans l’étude de Hansen et al., ces mêmes groupes de personnes ont les niveaux socioéconomiques les plus bas. Ces subventions aident économiquement ces groupes à

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obtenir les traitements médicamenteux dont ils ont besoin pour leurs conditions de santé (121). Cependant, il est possible que le système de subvention ne soit pas exactement le même que celui du Québec, ce qui explique peut-être la différence entre les deux études concernant les résultats obtenus. De plus, il est possible que l’utilisation d’indicateurs de défavorisation calculés au niveau individuel permettent de détecter des associations qui pourraient être masquées par l’utilisation d’indicateurs géographiques.

La comparaison entre notre étude et celle de Nwokeji et al. (103), est plus difficile car il s’agit d’une étude randomisée contrôlée et que notre étude est une étude observationnelle. Toutefois, les populations sélectionnées sont similaires en ce qui concerne le diagnostic et l’exposition aux antidépresseurs. Les deux études sont différentes du point de vue du système d’assurance médicament, malgré le fait que les sujets du groupe intervention dans l’étude de Nwokeji et al. recevaient une aide économique. L’étude de Nwokeji et al. n’a pas montré de différence entre les deux groupes de l’étude en ce qui concerne la persistance, ce qui a été également observé dans notre étude. Les différences dans les résultats obtenus dans les études précédentes et la nôtre reflète peut-être le fait que la persistance au traitement médicamenteux antidépresseur est influencée par plusieurs facteurs et ne dépend pas seulement de l’aspect économique ou matériel.

L’observance

Parmi les sujets persistants (n=35 357), 74% (n=26 315) étaient observants de leur traitement médicamenteux, c’est-à-dire qu’ils avaient en leur possession un médicament pour au moins 80% des 240 jours suivant la première réclamation. L’étude de Robinson et

al. menée aux États-Unis a mesuré l’observance chez 60 386 individus souffrants de

dépression et étant des nouveaux utilisateurs d’antidépresseurs (28). L’observance était définie comme ayant un nombre minimum de jours de prescription active pour la phase d’attaque et pour la phase d’entretien. Le nombre minimum de jours pour la phase d’attaque était de 84 jours sur 114, environ 70% de la totalité de la durée de la phase et 180 jours sur 214 pour la phase d’entretien ce qui représente environ 84% de la totalité de la durée de la phase (28). Dans cette étude les proportions étaient inférieures à celles obtenues

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dans notre étude. En effet, la proportion de personnes qui étaient observantes dans la phase d’attaque était de 64,8% et pour la phase d’entretien la proportion de personnes observantes était de 44,3% (28). La proportion de sujets observants dans cette étude inférieure à la nôtre s’explique peut peut-être par le fait qu’une proportion de sujets plus élevée recevaient un antidépresseur tricyclique (21%). En effet, dans notre étude la proportion d’exposition à un antidépresseur de 1ère intention était de 88%. Ceci signifie que la proportion d’exposition à un antidépresseur tricyclique est  à 12%. Il est connu dans la littérature que l’arrêt du traitement ou la non-adhésion est plus élevé chez les personnes exposées à un antidépresseur tricycliques par rapport aux autres antidépresseurs (114). Cela est du à une plus faible tolérance et un nombre d’effets indésirables plus important comme cela est démontré dans une méta-analyse (114).

Robinson et al. (28) ont étudié l’association entre le niveau socioéconomique et l’observance en utilisant le mode de paiement du salaire. Par contre, les résultats sont très difficiles à interpréter car les auteurs ne précisent pas quelles sont les modalités de salaire correspondant à un niveau socioéconomique faible ou élevé. Les auteurs ont observé une association statistiquement significative entre l’observance et le mode de paiement par « salaire fixe » vs par « salaire horaire » dans chacune des phases du traitement (pour la phase d’attaque le rapport de cotes=1,54, IC95%=1,47-1,62 et pour la phase d’entretien le rapport de cotes=1,58, IC95%=1,51-1,66).

Les résultats de notre étude suggèrent que l’usage du traitement médicamenteux antidépresseur par les patients, que ce soit la persistance ou l’observance, ne semble pas être influencé par le niveau de défavorisation de l’aire géographique de résidence. Les résultats d’autres études (26,118) suggèrent toutefois que le niveau socioéconomique peut influencer l’usage du traitement par les patients. Cette différence de résultats peut s’expliquer par des différences entre les systèmes d’assurance médicament rendant l’accès au traitement médicamenteux ou au suivi médical plus ou moins facile. Il faut également garder en tête que les données dont nous disposions ne nous permettent pas de connaître la durée totale du traitement antidépresseur prévue par le médecin prescripteur. La persistance

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reflète par conséquent à la fois le comportement du patient par rapport à l’usage du traitement et celui du prescripteur.

5.3. Forces et limites de l'étude