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CHAPITRE II : PEDAGOGIE RELATIONNELLE DU LANGAGE

IV. EEnjeux relationnels

Une approche rééducative orientée PRL est attentive à ce qui se joue subjectivement dans le temps et l’espace de la rencontre avec l’autre.

Même si le travail fait appel à des supports techniques, que l’on appellera médiateurs, il porte aussi et avant toute chose sur la relation établie entre le patient et son thérapeute du langage. Ainsi, en PRL, on considère que technique et relation sont interdépendantes : « l’objet » n’est pas séparable du « rapport à l’objet ». Dans cette optique, le travail d’orthophoniste vise essentiellement à transformer le rapport à l’objet, autrement dit dans notre cas, le rapport que l’enfant entretient avec le langage.

Pour cela, il faudra tenir compte des enjeux relationnels de la rencontre avec l’autre : le transfert et le contre-transfert, autrement dit, tout ce qui entre en jeu entre le thérapeute et son patient au- delà des médiateurs utilisés.

1. Notion de transfert

Au sens littéral du terme, le transfert désigne le déplacement d’un bien ou d’une personne. En psychanalyse, le transfert correspond à une traduction de l’allemand «übertragung ». Freud, en 1903, introduit ce concept dans son livre « Interprétation des rêves ». Cette notion est alors décrite comme un transfert d’intensité entre une représentation inconsciente, et une représentation

aux apparences banales qui sert de véhicule à la première.

De manière plus explicite, le transfert correspond au report de sentiments que le patient a éprouvé dans son passé, sur la personne du thérapeute. Ces sentiments ne sont pas adaptés à la situation thérapeutique réelle, mais sont bien déterminés par des conflits inconscients de la petite enfance. L’orthophoniste joue donc dans le psychisme du patient le rôle d’un autre, et cela est essentiel à comprendre pour envisager la position thérapeutique.

S’il s’agit de sentiments positifs, on parle de transfert positif. Si les sentiments sont négatifs, on parle alors de transfert négatif.

Laplanche et Pontalis définissent le transfert comme étant « le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établie avec eux et éminemment dans le cadre de la relation analytique. Il s’agit là d’une répétition de prototypes infantiles vécue avec un sentiment d’actualité marqué ».17

Comprendre cette notion de transfert est essentielle si l’on veut s’intéresser à la relation thérapeutique qui existe entre une orthophoniste et un enfant. L’existence du transfert dépasse le cadre de la cure psychanalytique. Il s’exerce en fait dans toute situation d’entretien thérapeutique individuel. Ainsi, il a sa place et son existence dans la thérapie du langage entre l’orthophoniste et son patient.

Il s’agira pour le travail orthophonique de prendre conscience de sa réalité afin d’en tenir compte et de travailler avec lui.

2. NNotion de contre - transfert

Si la situation thérapeutique active chez le patient des processus inconscients, le thérapeute lui aussi est aux prises de ses propres éprouvés.

Nous l’avons vu, par le transfert, l’orthophoniste est amené à être investi comme un autre. Selon les sentiments que le patient projette, le thérapeute réagira à son tour par des ressentis positifs ou négatifs. On parle alors de contre-transfert.

Selon R. Chemama et B. Vandermersch, le contre transfert désigne « l’ensemble des réactions affectives conscientes ou inconscientes de l’analyste envers son patient ».18

17LAPLANCHE Jean et PONTALIS Jean-Baptiste, Le vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF, 1967.

523 pages. Collection Quadrige. Page 492.

18CHEMAMA Roland et VANDERMERSCH Bernard, Dictionnaire de la psychanalyse. Paris : Larousse,

La dimension relationnelle agit donc à la fois du côté du patient mais aussi du côté de l’orthophoniste en réactivant des processus inconscients archaïques. Le contre-transfert est l’affaire du thérapeute.

En découvrant cette notion de contre-transfert, Freud l’envisage et la juge négativement comme étant une entrave au travail analytique. Ces phénomènes psychiques qui « s’implantent » dans l’inconscient de l’analyste sont en effet décrits comme étant un obstacle, une difficulté qu’il convient de maitriser.

Un de ses contemporains, Sandor Ferenczi (1873-1933), psychanalyste, va quelques années plus tard, insister sur le contre-transfert en l’envisageant différemment. Pour la première fois, cette notion n’est plus vécue comme un inconvénient, ni même comme un danger, mais comme un outil technique indispensable au processus analytique.

De même, Sandor Ferenczi développa l’idée selon laquelle il est souvent plus confortable pour le thérapeute de penser certains patients « incurables » ou mal adressés plutôt que de reconnaître que l’on fait fausse route ou que l’on devrait s’y prendre autrement. Une fois encore, c’est le contre- transfert du thérapeute qui est en jeu.

Ce contre-transfert est à considérer. On peut citer Paula Heimann, psychiatre et psychanalyste (1899-1982). Grâce à elle, on a commencé à prendre en compte cet aspect du vécu de l’analyste. Selon elle, le contre-transfert représente un indice de l’avancement de son patient dans sa thérapie, il renseigne d’une certaine façon sur les processus inconscients du patient. Par le contre- transfert le patient nous fait vivre comment il vit lui-même les choses. On peut étendre cela à l’orthophonie avec l’idée que ce que l’enfant fait vivre au thérapeute a un rapport avec ce qu’il vit lui-même.

La prise en compte du contre-transfert a été un point essentiel de l ‘évolution de la dynamique PRL. A l’époque, C. Chassagny n’en parlait que de façon implicite et pourtant c’est véritablement ce concept qui était à l’œuvre dans sa clinique et ses réflexions.

3. EEtre à la bonne distance

Pour être concis, disons que le transfert est le fait de l’enfant et que le contre-transfert est le fait de l’orthophoniste. Les deux personnes alors en contact s’influencent l’une l’autre. Mais le

détériorer la relation. La nécessité d’en prendre conscience est essentielle pour se trouver à la bonne distance, ni trop près, ni trop loin.

3.1. RRisques d’un transfert négatif

Un transfert négatif de l ‘enfant sur l’orthophoniste induit des mouvements agressifs envers lui. L’enfant semble apparemment le rejeter, le tester, l’agresser sans cesse.

Que ce soit verbalement, physiquement ou autre, le patient renvoie une image négative à l’orthophoniste, il lui montre visiblement qu’il ne veut pas le voir et qu’il n’apprécie pas sa présence.

L’erreur consisterait alors à accepter ce que l’enfant essaie de lui faire croire de lui- même, en pensant que ça correspond vraiment à ce qu’il est : un mauvais orthophoniste. Dans ce cas, le thérapeute pense qu’il n’est pas à la hauteur avec cet enfant, qu’il ne peut pas l’aider, qu’il doit passer la main, etc…

Or, il ne faut pas considérer cette agressivité manifeste, dirigée vers notre propre personne. L’enfant par son transfert nous fait jouer le rôle d’un autre. Arrêter les séances à ce moment-là serait empêcher l’enfant d’évoluer dans ses conflits psychiques, et le même scénario recommencerait avec un autre thérapeute.

Comprendre l’attitude de l’enfant comme un transfert négatif par lequel il essaie d’impliquer le thérapeute en lui faisant jouer le rôle d’un autre est essentiel. Le considérer comme tel permet à l’orthophoniste de garder sa place, et d’aider cet enfant à trouver une issue favorable à ce conflit apparemment irrésolu.

3.2. Risques d’un transfert trop positif

A l’inverse, en cas de transfert trop positif, l’orthophoniste prend le risque de se laisser manipuler dans son contre-transfert, en recevant des flatteries et un attachement affectif important. Ce transfert de sentiments positifs est souvent amplifié par les familles de l’enfant qui trouvent elles aussi le thérapeute formidable : « oh ce qu’il vous adore, il nous parle tout le temps de vous, c’est

Du côté de l’orthophoniste, le contre-transfert se manifeste alors par des réactions liées à des phénomènes identificatoires. Celui-ci est déclenché par des facteurs qui entrent en résonnance avec la personnalité de l’orthophoniste et sa propre histoire (même prénom, mêmes traits du visage, même parcours de vie qu’une personne de sa propre famille…).

Il convient pour le thérapeute de se tenir en alerte et d’être vigilant. Ces réactions empêchent le patient d’occuper sa vraie place car la distance à l’autre ne convient pas. Le collage ne permet pas de se différencier en tant que sujet autonome et singulier.

En prendre conscience c’est permettre alors un changement de relation patient-thérapeute. Cette relation ne doit plus être une substitution inconsciente de la part du thérapeute mais véritablement la reconnaissance de la personne propre de l’enfant. Cela lui permettra de trouver sa propre place. Il est souvent difficile pour un thérapeute de prendre conscience de son propre contre-transfert, surtout quand celui-ci est positif. L’existence de groupes cliniques dans lesquels les praticiens discutent ensemble de leur travail avec leurs patients, se révèle être une aide précieuse pour repérer et mettre à jour leurs propres attitudes.

4. DDifférencier orthophoniste PRL et psychologue

La P.R.L introduit dans la rééducation des troubles du langage, une dimension psychothérapeutique, une réflexion sur l’enfant et ses enjeux psychologiques. Comme nous l’avons vu, elle prend souvent appuie sur des concepts empruntés à la psychanalyse qui permettent en fait d’en éclairer la pratique.

Bouleversant la conception classique d’une rééducation orthophonique selon laquelle le praticien est en toute puissance sur l’enfant, indiquant méthodiquement ce que ce dernier doit entreprendre pour réussir, la PRL déconcerte, déstabilise au point que beaucoup la rejettent, reprochant à l’orthophoniste PRL de ne pas être à sa place, de faire de la psychologie sauvage ou encore de sortir de son champ de compétence.

Il est vrai qu’orthophoniste et psychothérapeute se situent tous deux dans le domaine du soin. En revanche, même si les concepts psychanalytiques trouvent leur place au sein de la pratique PRL, il est essentiel de la différencier de la cure analytique. Il convient d’éclaircir ce point avant de poursuivre.

En PRL, l’enfant est abordé dans sa dynamique psychique mais les buts poursuivis ne consistent pas à comprendre ni résoudre un mal-être moral, même si la thérapie du langage peut y contribuer. L’orthophoniste PRL cherche à faire émerger la parole propre de l’enfant dans un langage communément partagé. Pour cela, il va créer un espace relationnel dans lequel l’enfant se sente pleinement entendu et reconnu. Ce dernier sera écouté dans ce qu’il dit, ce qu’il tait, ce qu’il manifeste, ce qu’il est, afin de nouer une confiance totale avec son thérapeute du langage par lequel il sait qu’il ne sera pas jugé. La relation devient alors une base sur laquelle la progression de l’enfant va prendre appui.

A l’inverse d’un psychothérapeute qui chercherait à comprendre les raisons inconscientes qui ont mené l’enfant à utiliser un mot plutôt qu’un autre, l’orthophoniste PRL ne se situe pas dans le « pourquoi », il cherche simplement à libérer l’enfant de sa propre parole, faisant naître en lui sa confiance en son élaboration verbale puis écrite. L’orthophoniste PRL ne se livre jamais à des interprétations psychanalytiques, c’est généralement l’enfant qui est amené à verbaliser ce qu’il a voulu exprimer (dans un dessin par exemple). Ainsi, on tente de cheminer avec lui sans jamais faire d’interprétation verbalisée.

De plus, la question du transfert est traitée différemment en orthophonie qu’en psychothérapie. Certes, dans les deux cas il y a une relation d’inconscient à inconscient, mais cela se vit autrement en PRL. Schématiquement, on peut dire qu’un psychothérapeute travaille en séance sur le transfert qui s’établit entre lui et son patient. L’orthophoniste PRL en revanche, travaillera avec le transfert, s’attachant simplement à en connaître et à en reconnaître l’existence, à en avoir conscience.

Pour conclure, si l’amélioration de l’état psychologique est permise par la PRL, elle n’en est pas un but en soi.