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Depuis les travaux de Pomeroy (1974) et d‘Azam et al. (1983), la mise en évidence de

l'importance de la boucle microbienne s‘ajoutant au schéma linéaire classique des réseaux

trophiques aquatiques (Figure I-4) a permis de prendre en considération le compartiment

procaryote et l‘ensemble des organismes protistes hétérotrophes dans le flux de la matière organique. Le décryptage de la diversité taxonomique de l‘assemblage picoplanctonique eucaryote (< 5 µm) conduit à reconsidérer cette communauté au sein de laquelle des rôles fonctionnels variés sont identifiés tels que ceux de producteurs primaires, bactérivores, saprophytes, parasites

ou encore mixotrophes (Stockner et Antia, 1986, Riemann et Christoffersen, 1993, Courties et al.,

1994, Li, 1995).

Figure I-4 Schéma simplifié de réseau trophique intégrant la boucle microbienne d‘après Amblard et al. (1995),

extrait de Domaizon (2010).

L‘un des rôles primordiaux du picophytoplancton eucaryote autotrophe est sa

contribution à la production primaire. Raven (1998) estime au mininum à 10% la part de la production primaire des systèmes pélagiques lacustres et marins d‘origine picophytoplanctonique (procaryote et eucaryote). Cette production picoplanctonique peut représenter jusqu‘à 90% de la

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production primaire en milieu marin et de 16 à 70% en milieu lacustre (Li et al., 1983, Stockner,

1988, Stockner et Shortreed, 1989, Raven, 1998). Les picoeucaryotes photosynthétiques constituent une source de biomasse importante dans les milieux oligotrophes et sont parfois les principaux responsables de la production primaire dans ces eaux (bien que celles-ci soient dominées en terme d‘abondance par les picocyanobactéries) (Li, 1995, Bell et Kalff, 2001). A titre d‘exemple, Li (1995) attribue 61% de la biomasse et 68% de la productivité aux seuls picoeucaryotes présents dans les eaux oligotrophes de l‘Atlantique Nord. Globalement, on estime à un tiers la contribution de la communauté picoeucaryote à la biomasse océanique, cette dernière

étant maximale au niveau du maximum de profondeur de chlorophylle (Campbell et al., 1994, Li,

1995). Bell et Kalff (2001) ont observé que la biomasse du picophytoplancton ainsi que sa contribution relative à la biomasse phytoplanctonique totale sont plus élévées en eau douce qu‘en milieu marin. Dans ces milieux, un remplacement progressif de la communauté picoplanctonique procaryote par les picoeucaryotes phtosynthétiques s‘opère lorsque les nutriments augmentent et le pH diminue (Callieri et Stockner, 2002).

L‘importance fonctionnelle des eucaryotes hétérotrophes picoplanctoniques dans les

réseaux microbiens a été démontrée depuis longtemps. Ceci au travers d‘études relatives aux rôles des nanoflagellés (HNF) qui, avec les ciliés, constituent les principaux prédateurs du

bactérioplancton (Sanders et al., 1989, Sherr et Sherr, 1994, Sanders et al., 2000, Sherr et Sherr,

2008) et parmi lesquels une très grande majorité (jusqu‘à 70%) sont constitués en milieu lacustre de cellules dont la taille est comprise entre 2 et 5 μm (Carrias et al., 1998). Dans certains

écosystèmes, les plus fortes activités bactérivores au sein de ces HNF peuvent être

principalement le fait de cellules hétérotrophes de taille inférieure à 5 μm (Sherr et al., 1997,

Thouvenot et al., 1999, Boenigk et Arndt, 2002). Ainsi, une étude portant sur la zone euphotique

d‘un réservoir (barrage de la Sep) a révélé que 12% de la bactérivorie mesurée est exercée par les

flagellés hétérotrophes parmi lesquels 87% (696 cellules.ml-1) présentent une position

systématique incertaine (‟monas like cells‖ et flagellés indéterminés d‘une taille comprise entre

2-5 μm) (Thouvenot et al., 1999). L‘identité de ces protistes picoplanctoniques (uni- ou biflagellés,

sphériques ou ovoïdes) n‘est généralement pas clairement déterminée par les techniques

d‘observations microscopiques classiques (Carrias et al., 1998). Outre un rôle de prédateur du

bactérioplancton, le picoplancton hétérotrophe constitue une ressource nutritive potentielle et

représente ainsi un maillon clé du réseau trophique microbien via leur implication dans les

transferts de matière et d‘énergie vers les niveaux trophiques supérieurs et donc de la productivité

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hétérotrophes (de taille nanoplanctonique, et par analogie, potentiellement les flagellés

picoplanctoniques) peuvent synthétiser de novo certains composés de haute qualité nutritive pour

les niveaux trophiques supérieurs que constitue le zooplancton brouteur (rotifères et cladocères) (Bec et al., 2003, Bec et al., 2006). Ces protistes peuvent constituer de ce fait une source

importante de composés essentiels pour la croissance du métazooplancton via la synthèse de

stérols et d‘acides gras polyinsaturés (Desvilettes et Bec, 2009, Gleason et al., 2009). Par ailleurs,

ces microorganismes peuvent intervenir dans le processus de minéralisation de la matière

organique (Stockner et Antia, 1986, Caron et al., 1999a), car certains hétérotrophes sont

notamment capables d‘utiliser, par osmotrophie, la matière organique dissoute de haut poids

moléculaire (Sherr, 1988, Tranvik et al., 1993). Il a notamment été montré que ces protistes

flagellés hétérotrophes (HF) peuvent contribuer significativement à la régénération de l‘azote et du phosphore dans les écosystèmes aquatiques quand ces derniers sont limitant dans le milieu (Eccleston-Parry et Leadbeater, 1995). Ces protistes peuvent ainsi diminuer le degré de compétition entre bactéries et phytoplancton pour les substances nutritives inorganiques, représentant ainsi un support bottom-up (facteurs ascendants) essentiel pour les producteurs

primaires (Sime-Ngando et al., 2011). Ces protistes occupent ainsi une place centrale dans les

réseaux trophiques aquatiques de par leur rôle régulateur des peuplements bactériens (Bloem et

al., 1989, Gonzalez et al., 1990, Sherr et Sherr, 1994), mais également de par leur implication dans

le recyclage des éléments nutritifs (Andersen et al., 1986). Ils constituent de plus une ressource

trophique importante pour le macrozooplancton (Weisse, 1991).

Aux rôles trophiques classiques, photoautotrophe ou hétérotrophe stricte, s‘ajoutent de

nombreux comportements mixotrophes (Jones, 1994, Stickney et al., 2000). Divers types

d‘organismes mixotrophes peuvent être répertoriés, certains utilisant la mixotrophie de manière obligatoire, d‘autres de manière facultative. On distingue généralement deux modèles de

mixotrophie. D‘une part, les mixotrophes principalement autotrophes utilisant l‘osmotrophie

ou la phagotrophie seulement pour obtenir des composés rares ou en conditions de ressources limitantes (faible luminosité, faible disponibilité en éléments nutritifs dissous,…) (Caron et al.,

1993, Holen et Boraas, 1995). D‘autre part, les mixotrophes principalement hétérotrophes

essentiellement phagotrophes qui sont susceptibles de s‘orienter vers la phototrophie afin, par exemple, de suppléer à un manque de nourriture (faible abondance de proies) et dont certains utilisent la séquestration de chloroplastes issus d‘algues ingérées à ces fins (kleptoplastie reconnue

chez de nombreux genres de dinoflagellés et ciliés) (Stoecker, 1999, Gast et al., 2007, Esteban et

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de la mixotrophie dans le fonctionnement global et la productivité des systèmes planctoniques

(Havskum et Riemann, 1996, Bouvier et al., 1997, Cleven et Weisse, 2001). Les microorganismes

connus pour leur capacité de mixotrophie sont généralement de taille supérieure à 5 μm (dinoflagellés par exemple), mais le compartiment picoplanctonique peut également contenir des

espèces mixotrophes, tels que les genres Ochromonas et Poterioochromonas (Chysophyceae) connus

pour leur capacité à alterner la phagotrophie et la phototrophie en fonction des conditions

environnementales (Bennett et al., 1990, Holen, 1999, Katechakis et Stibor, 2006). Ainsi, selon

Zubkov et Tarran en 2008, 40 à 95% de la bactérivorie exercée en été dans la zone euphotique de l‘Atlantique Nord seraient le fruit de petites algues picoplanctoniques (< 5 µm). Ces résultats suggèrent ainsi que le picoplancton photosynthétique que l‘on pensait tributaire des substances nutritives inorganiques dissoutes pour générer leur biomasse peut obtenir une part non négligeable de cette dernière par leur activité phagotrophe. En système oligotrophe ou en période d‘appauvrissement du milieu en phosphore (ex : dans l‘épilimnion lacustre en période de stratification estivale), la mixotrophie offre ainsi un avantage compétitif non négligeable aux

microalgues photosynthétiques (Stickney et al., 2000, Domaizon et al., 2003, Troost et al., 2005,

Kamjunke et al., 2007). Ainsi, de nombreuses études ont confirmé le rôle notable de certains

mixotrophes tels que les Chrysophyceae, Chlorophyceae ou Haptophyceae, dans l‘ingestion de bactéries en réponse à des faibles concentrations en phosphore du milieu (Olrik, 1998, Hitchman

et Jones, 2000, Tittel et al., 2009, Kamjunke et Tittel, 2009).

Outre les rôles trophiques phototrophes, phagotrophes ou mixotrophes reconnus que

peuvent exercer le picoplancton eucaryote, s‘ajoute également le parasitisme accompli par

certains groupes constituant cette communauté aquatique. En effet, les parasites eucaryotes sont caractérisés par des cycles de vie complexes et certains stades de développement peuvent se retrouver dans la fraction picoplanctonique, comme c‘est le cas pour les zoospores de chytrides (2-5 μm) capables de parasiter diverses microalgues (diatomées, Dinoflagellida, Chlorophyta, Chrysophyta) en systèmes lacustres et marins (Ibelings et al., 2004). La stratégie parasitaire est considérée par de nombreux auteurs comme la plus répandue dans le règne animal ( Arias

González et Morand, 2006, Lafferty et al., 2006), pouvant être considérée d‘importance égale à la

prédation dans le fonctionnement des écosystèmes aquatiques (Gachon et al., 2010). Du fait de

leurs cycles de vie relativement complexes, les parasites eucaryotes sont susceptibles d‘infecter des hôtes appartenant à différents niveaux trophiques (Marcogliese et Cone, 1997). Longtemps négligés dans la plupart des modèles de fonctionnement des réseaux trophiques aquatiques (

Arias González et Morand, 2006, Lafferty et al., 2006, Lafferty et al., 2008), leur introduction dans

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alimentaires, efficacité des transferts augmentée,…) et quantitatifs (moins d‘imprécision) sur le

fonctionnement de l‘écosystème aquatique ( Arias González et Morand, 2006, Niquil et al., 2011).

A titre d‘exemple, l‘infection d‘une espèce phytoplanctonique donnée peut favoriser le développement d‘une autre, le parasite devient ainsi un facteur important contrôlant les

successions saisonnières (Kagami et al., 2004, Kagami et al., 2011). Une infection peut également

prévenir, retarder voir supprimer la prolifération de groupes algaux, appartenant principalement

aux groupes des Dinophyceae, Bacillariophyta(diatomées) et Cyanobacteria (Ibelings et al., 2004,

Park et al., 2004). Jusqu‘alors, la prise en compte du rôle du parasitisme dans la dynamique des

blooms algaux n‘a été abordée principalement qu‘en eaux marines et côtières (Chambouvet et al.,

2008 , Guillou et al., 2008). En l‘occurrence, de nombreuses études se sont portées sur des

dinoflagellés familiers des zones littorales appartenant au genre Amoebophrya capables d‘infecter

d‘autres dinoflagellés. Entre autre, Akashiwo sanguinea et Gymnodinium instriatum sont, parmi les

espèces phytoplanctoniques parasitées par Amoebophrya, des espèces capables de véritables marées

rouges plus ou moins toxiques (Park et al., 2002). D‘autre part, Chambouvet et al. (2008) ont récemment révélé un développement synchrone hôte-parasite dans un estuaire côtier, montrant des successions de ces parasitoïdes dinoflagellés corrélées au développement rapide de quatre

espèces majeures de populations phytoplanctoniques dinoflagellées (Heterocapsa rotundata,

Scrippsiella trochoidea, Alexandrium minutum et Heterocapsa triquetra). Se pose également la question du devenir des lysats cellulaires lors des infections parasitaires. En effet, ces derniers représentent des sources en nutriments azotés et phosphorés notables pour les organismes phytoplanctoniques présents. Ainsi, le parasitisme permettrait une recirculation rapide et massive de la matière organique et des nutriments minéraux lors des épisodes épidémiques en permettant une stimulation de la production bactérienne comme ceci a été suggéré dans le cadre de la lyse virale (Weinbauer et Hofle, 1998). Enfin, de récentes études ont permis la mise en évidence du rôle nutritif qu‘occupent également ces parasites. En effet, les zoospores de Chytrides, stades fongiques infectieux, sont susceptibles de constituer un apport de matière pour des cladocères

brouteurs appartenant notamment au genre Daphnia, définissant ainsi une nouvelle boucle

trophique dans les écosystèmes aquatiques, la Mycoloop(Kagami et al., 2004). Le même examen a

été fait quelques temps auparavant lors des travaux menés par Johansson (2002) portant sur la

baisse de l‘infection par Amoebophrya sp. d‘Akashiwo sanguinea en présence de Strobilidium. Ce cilié

choréotriche a la capacité de se nourrir de dinospores, stade infectieux du parasite.

Toutefois, l‘étude de la diversité du parasitisme eucaryote s‘exerçant sur le plancton n‘a

été entreprise que très récemment. Les travaux menés en milieux lacustres par Lefranc et al.

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d‘eucaryotes potentiellement parasites au sein de cette fraction de taille. Dans le cas présent, ces microorganismes appartiennent principalement aux phyla des Chytridiomycètes (ou Chytrides) et des Perkinsozoa. A l‘inverse de leur homologues fongiques dont l‘ultrastructure, la physiologie et le rôle parasitaire ont fait depuis longtemps l‘objet de nombreuses études menées en milieux

d‘eau douce (e.g. Goldstein,1960, Canter et Lund,1969, Ibelings et al., 2004), les Perkinsides

constituent un exemple de groupe eucaryote encore inconnu jusqu‘alors de ces mêmes systèmes mais pour lesquels un mode de vie parasitaire, partagé par l‘ensemble des organismes le constituant, est supposé (Moreira et López-García, 2002). De même, comme énoncé dans la section précédente (cf. § II-3.2), un recueil des connaissances actuelles à leur propos a été entrepris au cours de ce travail de doctorat par l‘écriture d‘une synthèse bibliographique faisant suite à ce chapitre introductif (Article I).

Enfin, le saprophytisme est également une stratégie trophique exercée par les groupes

eucaryotes détectables dans la fraction picoplanctonique. En effet, parmi les groupes eucaryotes

constituant le règne des Champignons vrais (‟true-fungi‖), les Ascomycètes, Zygomycètes et

Basidiomycètes (regroupés sous le terme d‘Hyphomycètes) englobent tous les champignons filamenteux et levures (hyphes réduits à des cellules isolées) capables de minéraliser les matières organiques dissoute et particulaire (MOD et MOP), et particulièrement la matière organique

récalcitrante (Jobard et al., 2010). La dispersion de ces Hyphomycètes est réalisée par les conidies,

propagules asexuées (forme ovoïde dépourvue de flagelle) dont la présence a été détectée par des

études moléculaires portées sur la fraction picoplanctonique lacustre (Lefèvre et al., 2007, Lefèvre

et al., 2008). L'acquisition des ressources est facilitée par ces saprophytes grâce à leurs capacités à produire diverses enzymes extracellulaires hydrolytiques qui dégradent des molécules complexes comme la lignine, la cellulose, les pectines et autres polymères (Abdel-Raheem et Ali, 2004,

Mansfield, 2005, Gulis et al., 2006). De plus, en raison de leur organisation hyphale, ces

Champignons vrais sont plus efficaces que des bactéries dans la colonisation et la destruction de

grandes particules organiques (Raghukumar, 2004, Jobard et al., 2010). Cependant, la frontière

entre saprophytisme et parasitisme peut être parfois ambigu. Par exemple, Alster et Zohary (2007) ont récemment observé qu‘au sein d‘un bloom algal lacustre de dinoflagellés, le chytride

Phlyctochytrium sp. infecte surtout les cellules affaiblies (stressées) ou sénescentes. Ces auteurs concluent alors à deux modes de nutrition potentielle de ce chytride : le saprophytisme ou le parasitisme facultatif.

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A la lumière de ce rapide inventaire, au vu des diversités phylogénétiques rencontrées en milieu lacustre (cf §II-2) et des divers rôles fonctionnels potentiels répertoriés ici (producteurs primaires, bactérivores, parasites, décomposeurs de la matière organique…), il devient indispensable de considérer ces organismes à une échelle taxonomique plus fine afin de mieux comprendre leur rôle et fonction dans les ces écosystèmes d’eau douce.

V. CAS DE PARASITISME EUCARYOTE AQUATIQUE, LES PERKINSOZOA : ETAT

DES LIEUX DES CONNAISSANCES ACTUELLES SUR CES PROTISTES