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Droits à l'information

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F. Droits à l'information

Le droit suisse reconnaît aux actionnaires plusieurs droits à l'infonnation qui fonnent un système à trois couches"': la première couche consiste en l'ensemble de l'infonnation que la société et plus particulièrement ses organes exécutifs doivent communiquer aux actionnaires spontanément; la seconde couche recouvre l'ensemble des informations que les actionnaires peuvent à leur initiative demander aux organes exécutifs; la dernière couche comprend les moyens d'action judiciaire donnés aux actionnaires pour obtenir des informations qu'ils ne peuvent obtenir par les autres moyens.

Ce système à trois couches est commun à tous les types de sociétés anonymes. Cependant, l'étendue de ces droits à l'infonnation varie selon la nature des sociétés. Ainsi dans le contexte des groupes de sociétés - et c'est là le seul aspect du droit des groupes de sociétés qui soit réglé par des dispositions spécifiques - le droit suisse prévoit une obligation de mettre à disposition des actionnaires de la société dominante du grouPe des comptes consolidés"'. Par ailleurs, comme nous le verrons plus en détail, les règles du droit boursier viennent étoffer substantiellement quantitative-ment et qualitativequantitative-ment l'information spontanée que les sociétés cotées doivent mettre à disposition des actionnaires'40. Il convient de souligner d'emblée que ces règles ne se contentent pas de renforcer l'infonnation des actionnaires, mais constituent un véritable changement de paradigme:

tandis que le droit des sociétés semble ancré sur la volonté de protéger le secret des affaires, le droit boursier se focalise sur la transparence241

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REYMOND J .. A., op. ci/. note 99, p. 4.

L'expression est de FORSTMOSER P., op. cil. note 30, p. 89.

Art. 663e -663g CO.

Voir ci-dessous.

Voir le but de la Loi sur les bourses qui est de "garantir aux investisseurs transparence et égalité de traitement" (art. l LBVM).

1. L'information spontanée par la société anonyme a) Selon le droit de la société anonyme

Le Code des obligations prévoit que le conseil d'administration doit établir pour chaque exercice annuel un rapport de gestion qui se compose du rapport annuel, des comptes annuels et, lorsque la loi le prescrit, des comptes de groupes'41. Ce rapport de gestion ainsi que le rapport de l'organe de révision qui est chargé de vérifier la conformité à la loi et aux statuts des comptes annuels - mais non du rapport annuel'" - doivent être mis à la disposition des actionnaires au siège de la société 20 jours avant l'assemblée générale ordinaire'" qui doit avoir lieu dans les six mois qui suivent la clôture de l'exercice"'. S'agissant du contenu de ces documents, il se distingue fortement du standard requis par la quatrième directive européenne en matière de droit des sociétés en posant des exigences moins contraignantes"'. Il faut cependant signaler l'existence d'un projet de Loi fédérale sur J'établissement et le contrôle des comptes annuels qui vise à mettre la législation suisse à niveau avec la quatrième directive sans pour autant procéder à une harmonisation complète avec celle-ci.

Les comptes annuels comprennent le bilan, le compte de pertes et profits et l'annexe'" mais pas de tableaux de flux de fmancement.

Contrairement à la quatrième directive européenne, le Code des obligations ne contient que relativement peu d'exigences quant au contenu des comptes annuels se référant souvent "aux principes régissant l'établis-sement régulier des comptes"'" et "aux principes généralement admis dans le commerce"''''''· et ne se fonde pas sur le principe de Ime and fair view lui préférant la notion "d'aperçu aussi sûr que possible du patrimoine et des résultats de la société"'S1. Ainsi, en particulier, le conseil d'administra-tion peut constituer des réserves latentes volontaires pour autant qu'elles soient justifiées pour assurer de manière durable la prospérité de l'entre-prise ou la répartition d'un dividende aussi constant que possible compte

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An. 662 al. J CO.

BôcKuP., op. cil. flolt' 30.00997.

Art. 696 al. 1 CO.

An. 699 al. 2 CO.

Quatrième Directive du Conseil des Communautes Européennes du 25 juillet 1978 coocernant les comptes annuels de cenaines fonnes de sociétés (78/660JCEE), lÜ.C.E. l222 du 14 août 1978 p.l J tel qu'amendé.

Art. 662 al. 2 CO.

Voir l'art. 662a CO.

Voir J'art. 669 al. 1 CO et art. 959 al. 1 CO.

86cKLJ P., op. cit. flote 30, nos 791-793.

Art. 662 CO; B6cKU P., op. cil. note 30, nos 817-818.

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tenu des intérêts des actionnaires"', Par définition, ces réserves latentes ne sont pas portées à la connaissance des actionnaires; la seule protection que leur aménage le Code est d'exiger que les réviseurs soient informés dans le détail de la constitution et de la dissolution de ces réserves"'.

Le rapport annuel expose la marche des affaires ainsi que la situation économique et financière de la société; il doit mentionner les augmen-tations de capital (qu'elles soient ordinaires, autorisées ou conditionnelles) et reproduire les attestations de vérification25'. Le Code ne prévoit pas de règles sur la densité qualitative de l'information. contenue dans le rapport annuel, mais la doctrine préconise l'application par analogie du principe de matérialité à ce rapport: ainsi, l'ensemble des informations essentielles à la compréhension de la marche des affaires et de la situation économique et financière doivent être incluses dans le rapport"'. Ce rapport se conçoit donc comme un complément aux comptes annuels en se présentant comme le moyen par lequel les informations qui ne ressortent pas des comptes sont remis aux actionnaires. C'est ici que le conseil d'administration informe les actionnaires des succès et revers dans les affaires entreprises par la société''', C'est aussi ici qu'il doit commenter la situation financière de la société et en particulier l'évolution des liquidités au sens large, des fonds propres et des fonds empruntés (comblant ainsi partiellement l'absence de l'obligation de joindre aux comptes annuels un tableaux des flux de financement)"'.

b) Selon le droit boursier

Si l'information qui doit être spontanément mise à disposition des actionnaires de sociétés privées est relativement peu satisfaisante, le droit boursier suisse exige que les informations à fournir aux investisseurs pren-nent en compte les standards internationaux reconnus et confère ainsi aux actionnaires de sociétés cotées un niveau d'information bien supérieur"',

Ainsi, le règlement de cotation de la Bourse suisse SWX prévoit à titre de condition de maintien de cotation que les sociétés dont les titres

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Art. 669 al. 3 CO. Voir à ce sujet B6CKU p" op. cil. note 30, nos 1125; NEUHAUS M., op. cit.

note 232, ad art. 669 CO, nos 38 55.

Art. 669 al. 4 CO.

Art. 663d al. 1 et 2 CO.

BôcKLl P., op. ciro note 30, no 992.

Les informations peuvent avoir trait aux relations avec les tiers (p.ex:, les fournisseurs ou les clients) ou concerner des questions internes à la sociéte (p.ex. recherche et développement). Voir à ce sujet BÔCKLI P., op. cil. note 30, no 992 qui considère que les informations sur la recherche et développement ne doivent pas impérativement figurer dans le rapport annuel mais peuvent y être mentionnées sur une base volontaire; NEUHAUS M., op. cit. note 232., ad art. 662 CO, no 6.

BOCKU P., op. cit. note 30, no 994; NEUHAUS M., op. dt. note 232, ad art. 662 CO, no 8.

Art. 8 al. 3 LBVM.

sont cotés doivent publier leur rappon de gestion'" ainsi que des rapports intermédiaires couvrant une période de six mois ou moins"· dont les comptes doivent respecter le principe de "true and fair view"'o, et être établis selon les Recommandations pour la Présentation des Comptes suis-ses ou les normes lAS ou US-GAAP'62J'6'.A ce stade, il faut rappeler le projet de Directive concernant les informations relatives au Corporate Governance préparé par la Bourse suisse qui viendra étoffer les renseigne-ments mis à disposition des actionnaires sur les modes de gestion et la rémunération des dirigeants de sociétés cotées"'.

En plus des obligations de publicité périodique réalisée par le reporting, les sociétés cotées sont tenues de procéder à une publicité événementielle qui les astreint à informer le marché des faits susceptibles d'avoir une influence sur les cours qui sont intervenus dans sa sphére d'activité et qui ne sont pas connus du public"'. Cette obligation de publi-cité événementielle doit garantir une information régulière du marché permettant d'assurer l'égalité de traitement entre tous les actionnaires et d'éviter les délits d'initiés"o.

Ces règles d'information boursière s'inscrivent dans le cadre d'un système réglementaire de droit public visant à protéger les investisseurs en leur garantissant transparence et égalité de traitement. Il faut par conséquent considérer que les sociétés qui ne les respectent pas et causent de ce fait un dommage aux investisseurs se rendent coupables d'actes illicites dont elles doivent répondre à l'égard des investisseurs lésés"'. La

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Art. 64 du Règlement de cotation.

Art. 65 du Règlement de cotation.

Art. 66 du Règlement de cotation.

An. 67 et 70 al. 1 du Règlement de cotation et le Communiqué No. 2012000 du 18 décembre 2000:

Rcconnaissance de Donnes comptables étrangères selon l'an. 70 du Règlement de cotation de rInstance d'admission de la Bourse suisse.

Des règles plus strictes SOnt applicables aux jeunes sociétes cotées au nouveau marché qW doivent presenter des rappccts trimestriels et se fonder sur les Dormes comptables lAS ou US..(;AAP (voir l'art. 20 du. R~glement complémentaire de cotation de valeurs au SWX New Market).

Voir à ce sujet ci-dessus I.A.

Art. 72 du. Règlement ~ colatioo. Voir à ce sujd la brochure NOieS uplicatt'l'f!S concernont la publicitê évênemenrielle, Zwi<:h: novembre 1996 (disponibles SlIT internet http://www.swx.comt admission).

Notes explicatives concernant /a puMât; mnementieJ/e, Zurich: novembre 19%, p.16;

BRUNNER Cht., Liabi/jty of Publicly Held CorporatiolUjâr a Violation of a Dury to DUc/ose.. jn

Panicular "Ad Hoc Publicity", Berne Scaempfli 1998, p. :5:5; TAUFER M., "Al1gemeine Bc:mtrbm-gen über die Ad-hoc-Publizitiitvorscbrift nach Artikel 72 des Kotierunasrqiemect der Scbweizer Bôrse (SWX)", Pm tique juridique actuelle 2000, p. 1120,p. 1122.

Elles peuvent être recherchées sur la base de ('action en responsabilité acquiJéeone (art. 41 CO).

BRVNNER Chr., op. ciro flore266, pp. 121 85. DE BEER A. "Faimess und TnnspaKnZ durch Ad-hoc-Publizitiit", L'expert comptable suisse 1998, p.36. Certains auteut! ont comidéré que le fondement de la responsabilité élait plutôt la responsabilité du rait de la confiance. WIEGAND W.,

"Ad hoc-Publizitit und Schadenersatz", in: MARGEUSeH CI.-A.lWlNlELER Chr. (ëds.), Freiheir und Ordnuflg im Kapitalmarktrecht: Festgabe Für JEAN-PAUL CHAPPUIS, Zurich: Scbulthess 1998, p. 141, pp. 162-163; VON FISCHER M., Die Ad-hoc-Publizitiit nach lm. 72 Kolierungsreglement,

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société et, partant, des actionnaires (voire même des créanciers) agissant par la voie de l'action en réparation du dommage dit indirect''' peuvent cependant dans ce cas se retourner contre les membres du conseil d'administration chargé sur le plan organisationnel de veiller au respect de ces normes.

2. L'information sur demande a) lnvestor relations

Dans l'esprit du Code des obligations, les actionnaires sont supposés exercer leurs droits sociaux lors de l'assemblée générale. Il en va particulièrement ainsi du droit aux renseignements pour des soucis liés notamment à \' égalité de traitement entre les actionnaires. Autrement dit,"\e droit aux renseignements ne peut être exercé que lors de l'assemblêe générale ou, plus précisément, le conseil d'administration n'est tenu de donner suite à une demande de renseignements que lors de l'assemblée générale. Ainsi, en dehors de l'assemblêe générale, le conseil d'administra-tion ne peut être contraint à communiquer avec des investisseurs ou des actionnaires existants.

Cela étant, il faut se demander si, en dehors des assemblées, le conseil est en droit de communiquer avec les actionnaires de la société ou, en d'autres termes, si et dans quelle mesure la pratique des investor relations qui a poussé de nombreuses sociétés publiques à entretenir des relations avec certains investisseurs institutionnels actifs est licite. S'agissant des sociétés cotées, la première limite claire est fixée par les obligations de publicité événementielle et l'interdiction des opérations d'initiés applicab-les aux sociétés cotées"'. Le principe d'égalité de traitement qui s'applique à toutes les sociétés anonymes qu'elles soient cotées ou non constitue une deuxième limite dont les contours sont plus controversés'70. Selon ce principe, les organes de gestion de la société anonyme sont tenus de traiter de la même manière les actionnaires qui se trouvent dans la même situation. Dès lors, la controverse tourne autour de la question de savoir si, en matière d'information, il existe des différences entre certains

action-'63 '69

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thèse Berne: Staempfli 1999, pp. 164ss; TAUFER M., op. cit. note 266, pp. 1129ss. Contra toute responsabilité DAENDŒR D., in: KSK, ad art. 4 LBVM:, nos 16·19 sauf dans les cas de faux ou misleading renseignements.

Voir à ce sujet ci-dessous IV.A.2.

BÔCKLI P., op. cit. note 30, nos 1660g et 1660f; HOFSTEITER K., "Die Gleichbehandlung der Aktionire in bÔnlenkotierte Gesellschaften", Revue suisse de droit des affaires 1996, p.222, p.231.

BÔCKLI P .• op. cit. note 30, nos 1660f; HOFSTEITER K., op. cit. note 269, pp. 230 S5.

naires qui justifieraient un traitement différencié. Selon une partie de la doctrine, il est possible de distinguer entre les actionnaires détenant une participation importante dont la relation avec la société s'inscrit sur le long terme et les "petits" actionnaires dont la perspective d'investissement est moins certaine"'. Selon d'autres auteurs, il conviendrait de distinguer entre les actionnaires "actifs" qui demandent des renseignements et les autres qui n'en demanderaient pas172A notre sens aucun de ces critères ne saurait justifier un traitement différencié. En effet, indépendamment de

l'impor-tance de leur investissement, tous les actionnaires ont un intérêt égal à obtenir les informations communiquées par la société pour pouvoir exercer leurs droits et notamment le droit d'aliéner leur titre. L'intérêt que peut avoir une société à avoir des relations privilégiées avec tel ou tel actionnaire important ne justifie pas non plus une dérogation au principe d'égalité de traitement. Ce principe exige, d'une part, que si le conseil d'administration accepte d'entretenir un dialogue en dehors des assemblées générales avec un actionnaire déterminé, il doit être disposé à le faire avec un autre et, d'autre part, que si le conseil d'administration donne des informations supplémentaires à un actionnaire déterminé, il doit les com-muniquer aux autres actionnaires pour autant que ces informations soient susceptibles d'avoir un effet sur la valeur des actions (même si cet effet n'atteint pas le seuil de matérialité de l'obligation de publicité événemen-tielle). Ce n'est que si les membres du conseil d'administration estiment de bonne foi que les informations communiquées ne présentent aucun intérêt pour les autres actionnaires qu'ils peuvent se passer d'informer ces derniers. En tout état de cause, le conseil d'administration ne saurait garder la primeur de certaines informations à des actionnaires particuliers273

Ces réflexions peuvent par ailleurs être étendues aux informations communiquées aux autres acteurs des marchés de capitaux, tel qu'en particulier les analystes financiers, car si la société bénéficie sans nul doute du rôle de ces acteurs, il paraît difficilement soutenable de refuser aux actionnaires l'accès à des informations mises à la disposition de tiers"'.

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FORSTMOSEI'. P., op. ci'. noIe 30. p. 107; HOFSTElTER K., op. cil. mIe 269. pp. 228 $S.

B6cKU P., op. cil. note 30, nos 1660f. et FORSTMOSER P., op. cil. tlore 30. p. 107 considèrent que J' qalilé de traitement est respectée si la societé est di.sposêc à remettre les infonnations sur demande. HOfSTETTER K. (op. cil. nOIe 269, p. 230) considere que, pour des raisons pl1l.tiques et notamment compte tmu de la disponibilité des membres du conseil d'administration et de la direction, ces Organes sont légitimés à constituer un cercle restreint d'interlocuteurs.

Dans ce sens NOBEL P., op. cit. note /59, § JO, no 40.

BOcKLI P., op. cit. note 30, nos 1660f; il est vrai que le problème est moins aigu dans ce cas car les journaliste" les agences de rating et les analystes financiers vont généralement servir de courroie de transmission entre la société .et le public en général (dans ce sens NOBEL P., op. cil note 159,

§ 10, no 40; ). Voir également tes positions de RApp J.M. et PETER H., dans "Les débats ayant suivi }' exposé du Professeur Henry Peter", in La socîërë anonyme dans ses roppoNs avec ses action-naires, Lausanne: CEDIDAC 2001, p. 143.

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