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Deuxième partie : Les instruments juridiques

Chapitre 4 : Les instruments de coopération transfrontalière

A. Entre les seules collectivités publiques infra-étatiques

2. En droit suisse

300. En Suisse, les accords conclus par les cantons avec l’étranger sont régis par la Cst./CH, tandis que ceux passés par les communes ressortent du droit cantonal757 (art. 50 al. 1 Cst./CH) dans les limites du droit fédéral (art. 49 Cst./CH). Si la qualification juridique des premiers accords est explicitement réglée par l’article 56 alinéa 1 Cst./CH, tel n’est pas le cas s’agissant des seconds. En effet, les cantons de Genève et de Vaud encouragent les initiatives des communes en matière de relations

754 FAURE (2014), n° 615 ; LUBAC (2005), n° 374.

755 Arrêt du 21 mars 1983 du Tribunal des conflits (Recueil Lebon, p. 537 - arrêt n° 02256), UAP ; MORAND-DEVILLER (2015), p. 383s.

756 Circulaire relative à la coopération décentralisée des collectivités territoriales françaises et leurs groupements avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements du 20 avril 2001 ad p. 8 ; FAURE (2014), n° 612 ss ; LUBAC (2005), n° 301 ss.

757 Supra n° 48 et 166.

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extérieures (art. 144 al. 2 phr. 2 Cst./GE ; art. 5 al. 2 phr. 2 Cst./VD), sans toutefois leur accorder une compétence dans ce domaine758.

301. A la lettre de l’article 56 alinéa 1 Cst./CH, les accords des cantons avec l’étranger sont des « traités »759 soumis, par définition, au droit international public760. Cette compétence cantonale résulte du droit interne suisse, et non du droit international public761. La situation juridique de tels accords est différente, lorsque le traité international exclut l’application du droit international public au profit du droit national, comme c’est le cas de l’AKCT. Les accords des cantons avec l’étranger ne peuvent alors pas être qualifiés de « traités » internationaux, faute de soumission au droit international public762.

a) Les traités internationaux des cantons

302. Comme nous venons de le signaler, les cantons peuvent, dans leur champ de compétence et à certaines conditions, conclure, selon la lettre de l’article 56 alinéa 1 Cst./CH, « des traités » avec l’étranger (cf. également art. 92, 111 et 144 ss Cst./GE, art. 5, 103 et 121 Cst./VD). La nature juridique de ce type de traité est la même que celle du traité international conclu par l’Etat fédéral763. Le traité international représente un accord soumis au droit international public passé entre deux ou plusieurs sujets de droit international et ayant pour effet la création de droits ou obligations764. Une différence fondamentale, sans effet sur la nature juridique du traité du point de vue suisse, doit néanmoins être ici relevée dans la mesure où il est conclu par le canton et non par la Confédération. Contrairement à cette dernière, le canton n’est pas directement soumis au droit international public car il tire sa compétence de conclure des traités internationaux de l’ordre constitutionnel interne (art. 56 Cst./CH), et non du droit international public765. Il n’est donc pas un sujet du droit international766, mais est habilité par l’Etat fédéral à agir en tant que tel767. Cela a une double conséquence. Sur le plan interne, les traités internationaux conclus par

758 Supra n° 48 et infra n° 307 ss.

759 La possibilité pour conclure des « traités » avec les « Etats étrangers » était déjà prévue à l’art. 9 aCst./CH, sous certaines conditions. Cf. SCHINDLER (1988a), ad art. 9.

760 Infra n° 302 ss.

761 Infra n° 302.

762 Infra n° 306s.

763 Message du Conseil fédéral suisse relatif à une nouvelle constitution fédérale du 20 novembre 1996 (FF 1997 I 1 ss), p. 235 ; ABDERHALDEN / SCHWEIZER (2014), n° 18 ; AUER / MALINVERNI / HOTTELIER (2013), n° 1306 et 1317 ; HÄFELIN / HALLER / KELLER (2012), n° 1130 et 1892 ; PFISTERER (2008), n° 5 et 10 ; PFISTERER (2001), n° 56s ; SCHINDLER (1988b), n° 1 ss.

764 Message du Conseil fédéral suisse relatif à une nouvelle constitution fédérale du 20 novembre 1996 (FF 1997 I 1 ss), ad p. 235 ; AUER / MALINVERNI / HOTTELIER (2013), n° 1306 et 1317 ; HÄFELIN / HALLER / KELLER (2012), n° 1130 et 1892 ; TSCHANNEN (2011), n° 1 p. 600 ; DAILLIER / FORTEAU / PELLET (2009), n° 62 ; PFISTERER (2008), n° 10 ; PFISTERER (2001), n° 56s ; cf. également art. 2 al. 1 let. a de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (CV – RS/CH 0.111), qui définit le traité entre Etats (art. 1 CV) comme « un accord international conclu par écrit entre Etats et régi par le droit international ».

765 DAILLIER / FORTEAU / PELLET (2009), n° 277.

766 Cf. Sirey (1960), Dictionnaire de la terminologie du droit international, p. 588, propose une définition du sujet du droit international.

767 PFISTERER (2008), n° 5 ; BREITENMOSER (2001), n° 24.

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les cantons appartiennent au droit cantonal et doivent respecter le droit fédéral768. Au niveau international, bien que les traités soient conclus par les cantons et créent des droits et obligations à leur égard769, la Confédération suisse est en principe seule responsable de l’exécution des traités770. Cependant, cette position est relativisée par une partie de la doctrine suisse771 et par la Confédération772. PFISTERER considère en particulier que la responsabilité de la Confédération sur le plan international est subsidiaire à celle des cantons car il conçoit les relations extérieures comme un tout organisé selon une structure fédérale773. Ce raisonnement s’applique également aux engagements internationaux des communes, dont la surveillance incombe aux cantons, et non à la Confédération, de sorte que la responsabilité du canton est également engagée dans ce cas et ce de manière principale par rapport à celle de la Confédération774.

303. Les traités internationaux des cantons peuvent être conclus avec l’Etat central étranger ou avec ses entités infra-étatiques habilitées en vertu du droit interne à passer des accords avec l’étranger775. Cependant, les cantons ne peuvent directement traiter qu’avec les autorités étrangères de rang inférieur776 (art. 56 al. 3 ab initio Cst./CH). Dans ce cas, ils sont tenus d’informer la Confédération avant de conclure le traité777 (art. 56 al. 2 phr. 2 Cst./CH). Le Conseil fédéral peut élever une réclamation contre les conventions des cantons avec l’étranger (art. 186 al. 3 Cst./CH). Les accords que les cantons souhaitent conclure avec les autorités centrales d’un Etat étranger doivent l’être par l’intermédiaire de la Confédération778 (art. 56 al. 3 Cst./CH). A titre d’exemple, l’AKCT a été conclu par le Conseil fédéral au nom des cantons suisses. Les cantons peuvent cependant avoir des contacts informels avec les autorités nationales d’un autre pays779.

304. La procédure d’adoption des traités, conclus par les cantons avec l’étranger et devant être soumis à l’approbation du parlement cantonal780, est régie par la CoParl/GE-VD-autres781 lorsque lesdits traités concernent au moins deux cantons

768 PFISTERER (2008), n° 6 ; SCHINDLER (1988a), n° 7 ; Rapport relatif à la coopération transfrontalière du 22 août 2005 de la Confédération suisse, ad point 1.

769 PFISTERER (2014), n° 13 ; PFISTERER (2008), n° 23.

770 PFISTERER (2014), n° 25s ; AUER / MALINVERNI / HOTTELIER (2013), n° 1321 ; HÄFELIN / HALLER / KELLER (2012), n° 1127 ; PFISTERER (2008), n° 5s et 30 ; SCHINDLER (1988a), n° 7 ; cf. également art. 27 et 46 CV, selon lesquels une violation du droit interne ne peut pas justifier une inexécution du traité international respectivement n’entraîne pas nécessairement sa nullité.

771 PFISTERER (2008), n° 6 ; PFISTERER (2001), n° 5 ; BREITENMOSER (2001), n° 7ss.

772 Rapport relatif à la coopération transfrontalière du 22 août 2005 de la Confédération suisse, ad point 1.

773 PFISTERER (2008), n° 6 ; PFISTERER (2001), n° 5 et 24.

774 PFISTERER (2008), n° 6 et 30 ; cf. également PFISTERER (2014), n° 25s.

775 PFISTERER (2014), n° 18 ; PFISTERER (2008), n° 22 ; SCHINDLER (1988a), n° 6.

776 PFISTERER (2014), n° 37 ; PFISTERER (2008), n° 36 ; SCHINDLER (1988b), n° 11.

777 PFISTERER (2014), n° 27 ss ; PFISTERER (2008), n° 31.

778 PFISTERER (2014), n° 37 ; PFISTERER (2008), n° 37 ss ; Rapport relatif à la coopération transfrontalière du 22 août 2005 de la Confédération suisse, ad point 1.

779 PFISTERER (2014), n° 14 et 37 ; PFISTERER (2008), n° 25 et 35 ; ZELLWEGER (2008), p. 108s.

780 Supra n° 181.

781 Supra n° 47.

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participant à cette convention intercantonale (art. 7 al. 1 CoParl/GE-VD-autres), tels que les cantons de Genève et de Vaud. De manière générale, le gouvernement cantonal informe, au moins une fois par année, le parlement cantonal sur ses activités en matière de politique extérieure (art. 3 al. 1 CoParl/GE-VD-autres). Le parlement en prend acte après examen de sa Commission des affaires extérieures (art. 3 al. 2 CoParl/GE-VD-autres). En cas de négociation d’un traité avec l’étranger, le projet y relatif est transmis par le gouvernement au parlement à l’issue du processus de négociation (art. 8 al. 1 CoParl/GE-VD-autres). Une Commission interparlementaire instituée par les parlements cantonaux concernés se détermine sur le projet de traité à la majorité des députés présents et transmet sa prise de position aux gouvernements cantonaux (art. 9 al. 1 et al. 3 et art. 10 al. 5 et 6 CoParl/GE-VD-autres). Elle est par la suite, avant la signature du traité, informée du traitement que le gouvernement a fait de sa détermination et peut formuler de nouvelles propositions relatives à sa prise de position (art. 11 al. 1 et al. 2 CoParl/GE-VD-autres). Après la signature du traité par les gouvernements, le traité est soumis à l’approbation de chaque parlement conformément à leur législation cantonale propre782 (art. 13 al. 1 CoParl/GE-VD-autres).

305. Sur le fond, les traités des cantons avec l’étranger subissent trois restrictions.

Premièrement, ils peuvent uniquement concerner un domaine relevant selon le droit interne de la compétence des cantons (art. 56 al. 1 in fine Cst./CH). Deuxièmement, ils ne doivent pas « être contraires au droit et aux intérêts de la Confédération » (art. 56 al. 2 phr. 1 Cst./CH). En particulier, les cantons ne peuvent pas conclure des traités dans des domaines, bien que de leur compétence, faisant déjà l’objet de traités internationaux conclus par la Confédération, car leur compétence en matière extérieure n’est que subsidiaire à celle de la Confédération783. Ils ne doivent pas non plus intervenir dans des domaines relevant de la « grande politique extérieure » de la Suisse784. Troisièmement, les traités cantonaux doivent également respecter le droit des autres cantons (art. 56 al. 2 phr. 1 Cst./CH).

b) Les autres accords des cantons avec l’étranger

306. La qualification juridique des accords des cantons avec l’étranger se pose à nouveau lorsqu’une disposition internationale, telle que l’article 2 Protocole n° 1 ou l’article 4 alinéa 6 AKCT, prévoit qu’ils ne peuvent pas être soumis au droit international public mais qu’ils doivent relever du droit national. Dans ce cas, ils ne peuvent pas être qualifiés de traité ou accord international comme on vient de le voir785, faute d’être soumis au droit international public786. Ils devraient, à notre sens,

782 Supra n° 284 ss. Lorsque la CoParl/GE-VD-autres n’est pas applicable, le canton de Genève prévoit à l’article 230A alinéa 5 LRGC/GE l’implication du parlement cantonal, par le biais de sa commission des affaires communales, régionales et internationales, dans le processus de négociation mené par le Conseil d’Etat.

783 Message du Conseil fédéral suisse relatif à une nouvelle constitution fédérale du 20 novembre 1996 (FF 1997 I 1 ss), ad p. 234 ; PFISTERER (2014), n° 20s ; AUER / MALINVERNI / HOTTELIER (2013), n° 1317 ; HÄFELIN / HALLER / KELLER (2012), n° 1132s ; PFISTERER (2008), n° 26 ; MAHON (2003b), n° 3.

784 PFISTERER (2014), n° 22 ss ; PFISTERER (2008), n° 28.

785 Supra n° 302 ss.

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être qualifiés de contrat de droit administratif dans la mesure où ils sont conclus entre des collectivités publiques et qu’ils portent sur l’exécution d’une tâche publique, telle que la planification territoriale. Si, par contre, leur objet relève du droit privé, ils constituent des contrats de droit privé787. Quant aux conditions de forme et de fond, ces accords avec l’étranger demeurent soumis aux mêmes conditions que nous venons d’évoquer ci-dessus788.

c) Les accords des communes avec l’étranger

307. Les communes peuvent également passer des accords avec l’étranger, en particulier les communes voisines789, dans la mesure où le droit cantonal les y autorise790. Tel n’est pas le cas dans les cantons de Genève et de Vaud, où la compétence de collaborer avec l’étranger est cantonale. Toutefois, cette situation juridique n’empêche pas les communes suisses de collaborer avec des communes étrangères. Il existe notamment dans le canton de Genève des collaborations intercommunales transfrontalières entre certaines communes genevoises et leurs communes voisines françaises791.

308. La qualification de la nature juridique des engagements communaux a évolué792. Dans un premier temps, la doctrine suisse considérait que les engagements des communes avec l’étranger ne relevaient pas du droit international public793 ; ils entraient dans la catégorie des contrats de droit privé, voire des contrats de droit administratif en fonction des circonstances794. Aujourd’hui, il est admis que ces actes sont juridiquement contraignants sur le plan international, même s’ils sont classés, dans la hiérarchie interne des normes, dans le rang correspondant aux actes communaux, et non aux traités internationaux795. Malgré leurs effets juridiques au niveau international, il nous paraît difficile de les qualifier, sous l’angle juridique, de

786 Supra n° 59 ss.

787 TSCHANNEN / ZIMMERLI / MÜLLER (2014), n° 2 ss p. 344 ss ; DUBEY / ZUFFEREY (2014), n° 1070 ss, en particulier n° 1083 ss ; MOOR / POLTIER (2011), p. 422 et 428 ss ; TANQUEREL (2011a), n° 970 ss ; HÄFELIN / MÜLLER / UHLMANN (2016), n° 1286 ss ; SCHINDLER (1988b), n° 16.

788 Supra n° 302 ss.

789 PFISTERER (2014), n° 16s ; PFISTERER (2008), n° 20.

790 Supra n° 291.

791 Rapport n° 221 du Conseil d'Etat de 1994, ch. IV : En 1992, est créée la commission consultative intercommunale et transfrontalière (abrégée CCIT) entre trois communes françaises (Saint-Genis-Pouilly, Prévessin-Moëns et Ferney-Voltaire) et trois communes suisses (Satigny, Meyrin et Grand-Saconnex). Elle favorise la concertation pour régler des problèmes de voisinage et pour formuler des « avis transfrontaliers ». Ceux-ci sont ensuite transmis aux autorités concernées des deux côtés de la frontières et aux organismes transfrontaliers compétents. Rapport n° 243 du Conseil d'Etat de 1995, ch. 4.1.2 : La CCIT précitée émet en 1994 deux avis transfrontaliers demandant aux autorités concernées de réaliser des traversées des villages de Meyrin et du Grand-Saconnex afin d’améliorer la sécurité et la fluidité du trafic régional. En novembre 1994, une seconde CCIT voit le jour entre les communes françaises et suisses suivantes : Ambilly, Etrembières, Gaillard, Jussy, Juvigny, Presinge, Puplinge, Saint-Cergues, Thônex, Veyrier et Ville-la-Grand. Au niveau intercommunal, il existe aussi des relations inter-cités, notamment en matière culturelle entre la Ville de Genève et Annemasse respectivement Ferney Voltaire.

792 ZELLWEGER (2008), p. 106.

793 SCHINDLER (1988b), n° 15.

794 SCHINDLER (1988b), n° 16.

795 PFISTERER (2008), n° 6.

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traité international, à l’instar des accords passés par les cantons avec l’étranger, en l’absence d’une habilitation expresse par le droit cantonal, notamment genevois et vaudois796, dans ce domaine en leur faveur. Pour cette même raison, la qualification de contrat, de droit privé ou de droit administratif suivant les circonstances et l’objet du contrat, nous semble être la plus adéquate pour déterminer la nature juridique des engagements communaux avec l’étranger, pour autant que les communes agissent dans leur champ de compétence défini par chaque droit cantonal et qu’elles soient autorisées à passer un accord avec l’étranger. Si ces conditions ne sont pas remplies, il est douteux que les accords des communes avec l’étranger puissent déployer des effets juridiques vis-à-vis des communes suisses.

309. Quant à la procédure d’adoption et des conditions matérielles, les engagements des communes avec l’étranger doivent respecter le droit supérieur, cantonal, fédéral et international (art. 5 al. 4 et art. 49 al. 1 Cst./CH)797. Les conditions particulières relatives aux traités internationaux conclus par les cantons avec l’étranger peuvent leur être appliquées par analogie, en particulier la règle de l’article 56 alinéa 3 Cst./CH, en vertu de la primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst./CH), sous réserve des compétences cantonales (art. 3 Cst./CH).