• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Le champ juridique

C. Les acteurs

49. L’adoption du Règlement CE 1082/2006 et celle du Protocole n° 3 ont induit un changement important. Ces actes attribuent à l’Etat un nouveau rôle, celui de partenaire à part entière dans les nouvelles structures transfrontalières. Cette nouveauté normative influence la présentation des instruments juridiques de coopération transfrontalière abordée dans la deuxième partie144. Celle-ci distingue les

134 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst./CH - RS/CH 101).

135 Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst./GE - RS/GE A 2 00).

136 Constitution du Canton de Vaud du 14 avril 2003 (Cst./VD - RS/VD 101.01).

137 Infra n° 282 et 292 ss.

138 Convention relative à la participation des parlements cantonaux dans le cadre de l'élaboration, de la ratification, de l'exécution et de la modification des conventions intercantonales et des traités des cantons avec l'étranger du 5 mars 2010 (CoParl/GE-VD-autres - RS/GE B 1 04 - RS/VD 111.21).

139 Loi relative aux organismes de coopération transfrontalière du 14 novembre 2008 (LOCT/GE - RS/GE A 1 12).

140 Rapport n° PL 10095-A du 7 janvier 2008 de la commission des affaires communales, régionales et internationales du Grand Conseil genevois sur le projet de loi concernant les organismes de coopération transfrontalière ; Mémorial du Grand Conseil genevois, séance n° 5 du 14 novembre 2008 - PL 10095-A, premier débat.

141 Infra n° 291 ss.

142 Loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 (LAC/GE - RS/GE B 6 05).

143 Loi sur les communes du 28 février 1956 (LC/VD - RS/VD 175.11).

144 Infra n° 292 ss.

Première partie : Le contexte juridique

instruments juridiques conclus entre les seules collectivités publiques infra-étatiques et ceux passés entre ces dernières et les Etats.

50. A l’origine, les acteurs du droit de la coopération transfrontalière sont les collectivités publiques infra-étatiques. En effet, les relations par-delà la frontière sont du ressort exclusif de l’Etat central en raison de sa personnalité juridique internationale et de son monopole en matière de relations extérieures145, sous réserve des particularités des Etats fédéraux146. Cela n’empêche pas le développement d’une collaboration transfrontalière informelle entre les autorités locales proches des frontières147. L’existence juridique de ce phénomène a été admise en 1980 par les Etats dans la Convention de Madrid. Ceux-ci l’encouragent dans certaines limites sans toutefois l’imposer (art. 1, 3 et 4 Convention de Madrid ; cf. aussi art. 10 al. 3 Charte de l’autonomie locale)148. La reconnaissance d’un droit des collectivités publiques infra-étatiques à collaborer avec les collectivités publiques infra-étatiques d’autres Etats est consacré à l’article 1 alinéa 1 Protocole n° 1, entré en vigueur en décembre 1998.Il s’agit de la première avancée majeure du droit de la coopération transfrontalière149.

51. Suite à l’adoption de la Convention de Madrid, plusieurs traités inter-étatiques ont été conclus de manière bi- ou multilatérale entre les Etats pour régir les relations transfrontalières infra-étatiques de manière plus localisée et précise150. La France est très active dans ce domaine ; elle conclut des traités internationaux en matière de coopération transfrontalière avec la quasi-totalité de ses voisins151. L’AKCT est celui applicable aux relations de ses collectivités territoriales avec les autorités publiques infra-étatiques luxembourgeoises, allemandes et suisses (art. 1 et art. 2 AKCT). La France élabore également un droit interne de la coopération transfrontalière encadrant l’activité de ses collectivités territoriales dans ce domaine (art. L1115-1 ss CGCT/FR)152. L’Etat, acteur originel des relations internationales de voisinage, devient le régulateur des relations transfrontalières153 des collectivités publiques infra-étatiques en adoptant des traités internationaux et pour le cas français une législation spéciale interne154.

145 WISMER (2007), p. 87 et 91s ; LEJEUNE (2007), p. 110 ; MALO (2007), p. 134 ; LABAYLE (2007), p. 171 ; LEVRAT

(2006c), p. 211s ; LEVRAT (2005b), p. 261 ss ; cf. infra n° 272 ss pour la France et n° 277 ss pour la Suisse.

146 DAILLIER / FORTEAU / PELLET (2009), n° 277 ; LEJEUNE (2007), p. 105 ss ; cf. infra n° 277 ss et en particulier n° 300 ss pour la Suisse.

147 MALO (2007), p. 133.

148 Rapport explicatif de la Convention de Madrid, n° 15 ; LEVRAT (2006c), p. 212 ; LEVRAT (2005a), p. 23.

149 Rapport explicatif du Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (cité : Rapport explicatif du Protocole n° 1), n° 5 et 10 ; LEVRAT (2005a), p. 28.

150 FERNÁNDEZ DE CASADEVANTE ROMANI (2007), p. 15s ; LEVRAT (2005a), p. 35.

151 WISMER (2006), p. 53 ; COMTE / LEVRAT (2006a), p. 21. Cf. également LEVRAT (2005a), p. 24, qui signale qu’au moment de la signature de la Convention de Madrid, la France a subordonné l’application de ce traité à la conclusion d’accords interétatiques, cette réserve ayant été levée le 26 janvier 1994.

152 COMTE / LEVRAT (2006a), p. 22 ; TAMBOU (2006), p. 315 ; GAUTIER (2005), p. 62 n° 24 ; cf. infra n° 274 ss et en particulier n° 296 ss.

153 L’objet de la coopération entre les entités infra-étatiques est élargi aux relations interterritoriales avec l’adoption du Protocole n° 2, cf. supra n° 27.

154 WISMER (2007), p. 87s.

Chapitre 2 : Le champ juridique

52. Vu le rôle de régulateur de l’Etat et l’objet de ces différentes réglementations, le droit de la coopération transfrontalière est généralement considéré comme le droit des collectivités publiques infra-étatiques, à l’exclusion des Etats155. C’est pour cela que la doctrine156 relève un certain paradoxe dans le Règlement CE 1082/2006 et dans le Protocole n° 3, qui redéfinissent le rôle de l’Etat en l’intégrant comme membre aux structures transfrontalières. L’Etat ne se limite plus à régler les relations entre les collectivités publiques infra-étatiques, mais il devient acteur de la coopération transfrontalière. Au regard de ces deux réglementations, l’Etat et les collectivités publiques infra-étatiques sont des co-acteurs de la coopération transfrontalière157. Le droit de la coopération transfrontalière connaît ainsi une seconde évolution importante dans la mesure où il étend le cercle de ses titulaires aux Etats, en sus des collectivités publiques infra-étatiques158.

53. Avant cette dernière avancée normative, la participation de l’Etat aux projets de coopération transfrontalière était, sous une forme plus nuancée et sans exigence de modification législative préalable, préconisée en 2006 par COMTE et LEVRAT159. Placés dans l’optique du concept politologique de « multi-level governance »160, ces auteurs proposent une nouvelle méthode pour aborder l’analyse juridique des projets de coopération transfrontalière. Cette approche distingue pour chaque projet la dimension stratégique et la dimension opérationnelle161. La première définit le programme général du projet et revêt un caractère politique prépondérant, tandis que la seconde, de nature essentiellement technique, renferme les différentes opérations concrètes permettant la réalisation effective du projet162. Observateurs de la pratique, ces auteurs constatent que les projets transfrontaliers ne se limitent plus à la réalisation ponctuelle de tâches précises telles que la collecte d’ordures ou la construction d’une galerie d’eaux usées. Ils portent également sur des domaines exigeant une vision politique et une mise en œuvre s’étendant sur la durée et susceptible de changements, tels que l’aménagement du territoire ou la protection de l’environnement163. Face à ce développement de la pratique, la solution de ces auteurs consiste à faire participer l’Etat, à côté des collectivités publiques infra-étatiques, dans le volet stratégique du projet transfrontalier et à laisser ces dernières seules responsables de sa concrétisation164.

155 LEJEUNE (2005a), p. 10 ; LEJEUNE (2006), p. 121 ; LEVRAT (2006c), p. 214s ; LEVRAT (2006e), p. 168 ; FERNÁNDEZ DE CASADEVANTE ROMANI (2007), p. 4.

156 LEVRAT (2006e), p. 168 ss ; COMTE / LEVRAT (2006a), p. 30s ; FERNÁNDEZ DE CASADEVANTE ROMANI (2006), p. 110s ; WISMER (2007), p. 99.

157 COMTE (2006c), p. 200s ; LEVRAT (2006c), p. 220s ; COMTE / LEVRAT (2006d), p. 355 ; COMTE (2007), p. 79 ; WISMER (2007), p. 90 et 95 ; LABAYLE (2007), p. 174.

158 COMTE (2006e), p. 188 ; COMTE / LEVRAT (2006a), p. 31 ; LEVRAT (2006c), p. 232.

159 COMTE / LEVRAT (2006a), p. 31 ; COMTE / LEVRAT (2006d), p. 353 et 355.

160 COMTE / LEVRAT (2006a), p. 30.

161 COMTE / LEVRAT (2006a), p. 15 et 28 ss.

162 COMTE / LEVRAT (2006b), p. 180.

163 COMTE / LEVRAT (2006a), p. 25s ; COMTE / LEVRAT (2006b), p. 179 qui renvoie aux expériences concrètes exposées aux pages 35 ss du même ouvrage ; LEVRAT (2006c), p. 216s ; COMTE (2006c), p. 185s et 196 ss.

164 COMTE / LEVRAT (2006a), p. 30 ; LEVRAT (2006c), p. 209s et 220 ; COMTE (2006c), p. 196 ss, 201 et 207.

Première partie : Le contexte juridique

54. La réalisation effective de ces « stratégies transfrontalières », considérées par ces auteurs comme de « véritables politiques transfrontalières »165, ne requiert pas, d’après COMTE, un fondement juridique à condition qu’elles soient à la fois légitimes et réalisables d’un point de vue technique et financier notamment166. La légitimité résulterait d’une double démarche interne et externe entre les acteurs du projet transfrontalier. La première consisterait en une coordination informelle et volontaire entre les acteurs d’un même Etat, qui peut s’inscrire dans des instruments juridiques internes existants tels que le schéma de cohérence territoriale en France167. La seconde se baserait sur le consensus interne et se limiterait à négocier le projet avec l’interlocuteur étranger dans la perspective de créer pour chaque partie des avantages réciproques et équivalents168. Sous l’angle juridique, LEVRAT observe que la solution de l’AKCT appliquant le droit national d’une partie à un accord transfrontalier « n’apporte qu’une apparence, trompeuse, de sécurité juridique », faute de pouvoir assurer une égalité entre les Etats parties à l’accord169. Il propose de soumettre les « stratégies transfrontalières » à l’ordre juridique international, voire à l’ordre juridique de l’Union européenne, car il s’agit d’un ordre juridique neutre vis-à-vis de chaque Etat partie au projet transfrontalier170. L’élaboration et les éventuelles questions de validité ou d’interprétation relèveraient du droit international public, tandis que le statut de ces stratégies serait fixé dans le droit interne171. De plus, le droit international public étant relativement souple, il permet aux Etats de faire participer à l’élaboration, voire à l’adoption, du traité international les collectivités publiques infra-étatiques172. LEVRAT suggère aussi, en s’appuyant sur le principe de subsidiarité, que les « stratégies transfrontalières » comportent non seulement les options politiques du projet transfrontalier, mais également les règles juridiques régissant sa mise en œuvre173 afin de gagner « en précision et en effectivité »174. Cette approche a notamment été suivie par ZELLWEGER dans son étude sur les transports collectifs de personnes dans l’agglomération franco-genevoise175.