• Aucun résultat trouvé

Un droit au renouvellement fondé sur le principe de la bonne

On pourrait se demander si le devoir général du respect des règles de la bonne foi puisse, en tant que tel, servir de base à un droit au renouvellement. Afin de répondre à cette question, il convient d’opérer une distinction préalable fondée sur les différentes conséquences pratiques découlant de l’art. 2 CC537. Une catégorisation globale et exhaustive est certes délicate, mais il apparaît que les principes déduits de l’art. 2 CC, notamment en relation avec le droit des

535 Cf. supra ¶ 660.

536 Cf. aussi HILTY/PURTSCHERT, CO 2020, art. 144, N 10 : «Wird die Vermutung nicht widerlegt und mutiert der befristete Dauervertrag folglich zu einem unbefristeten, untersteht er fortan der Regelung nach Abs. 1 von Art. 144 OR 2020. Insbesondere greifen dann die Bestimmungen zur ordentlichen Kündigung » (nous soulignons).

537 Sur l’art. 2 CC en général, cf. CR-CC-I-CHAPPUIS C., art. 2 ; BK-HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, art. 2 CC ; HONSELL, BaKomm ZGB I, art. 2 ; ZK-BAUMANN, art. 2 CC ; MORIN, Les articles 2 et 4 CC: deux règles dans l'esprit du Code civil, in RDS II 2007 203-236.

719

720

721

722

obligations, ont en principe deux finalités différentes qui s’excluent mutuellement. La premièrefinalité est celle de créer, modifier ou concrétiser un rapport juridique. La deuxième, en revanche, sanctionne le non respect des devoirs découlant de la bonne foi dans une logique d’indemnisation.

Parmi les outils qui créent, modifient ou concrétisent un rapport juridique, on peut mentionner :

— le principe de la confiance, outil d’interprétation servant à déterminer les manifestations de volonté et les contrats538;

— le comblement d’une lacune dans le contrat avec la recherche de la volonté hypothétique des parties539;

— l’interdiction de l’abus de droit, notamment en cas de contrats successif540;

— la clausula rebus sic stantibus541.

Les principes suivants conduisent à une indemnisation due au non respect d’un devoir déduit du principe de la bonne foi :

— la responsabilité précontractuelle ou pour culpa in contrahendo542 (le non respect des devoirs précontractuels dans des pourparlers peut conduire au paiement de dommages-intérêts543) ;

— la responsabilité fondée sur la confiance544.

Le renouvellement est un accord. La question de savoir s’il existe un droit au renouvellement fondé sur le principe de la bonne foi est liée à la première catégorie d’outils mentionnée ci-dessus.

Il est possible de parler d’un droit au renouvellement fondé sur le principe de la confiance. Un contrat devra être renouvelé dans la mesure où, après une interprétation selon le principe de la confiance, il est établi que les parties sont convenues d’une prolongation du rapport contractuel préexistant.

S’agissant du principe de la volonté hypothétique pour le comblement d’une lacune, il semble délicat d’admettre qu’une partie puisse disposer d’un véritable droit au renouvellement sur cette base. Une analyse en termes

538 CR-CC-I-CHAPPUIS C., art. 2, N 14 ; BK-HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, art. 2 CC, N 98-103 ; HONSELL, BaKomm ZGB I, art. 2, N 13 ; ZK-BAUMANN, art. 2 CC, N 83.

539 CR-CC-I-CHAPPUIS C., art. 2, N 17 ; BK-HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, art. 2 CC, N 122-126 ; HONSELL, BaKomm ZGB I, art. 2, N 15.

540 Cf par exemple ATF 129 III 618, c. 6.2.

541 CR-CC-I-CHAPPUIS C., art. 2, N 56 ; BK-HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, art. 2 CC, N 225-249 ; HONSELL, BaKomm ZGB I, art. 2, N 19 ; ZK-BAUMANN, art. 2 CC, N 443-480.

542 CR-CC-I-CHAPPUIS C., art. 2, N 20 ; BK-HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, art. 2 CC, N 160-167 ; HONSELL, BaKomm ZGB I, art. 2, N 17 ; ZK-BAUMANN, art. 2 CC, N 105 et seq.

543 Cf. infra ¶¶ 904 et seq.

544 CR-CC-I-CHAPPUIS C., art. 2, N 59 ; BK-HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, art. 2 CC, N 175-194 ; HONSELL, BaKomm ZGB I, art. 2, N 18 ; ZK-BAUMANN, art. 2 CC, N 109-143.

723

724

725

726

727

généraux ne nous paraît pas opportune. L’interdiction de l’abus de droit dans le cadre de contrats successifs est un principe susceptible de modifier un rapport juridique étant donné que le juge peut faire abstraction du morcellement d’une relation juridique et considérer le tout comme un seul contrat. En revanche, il ne donne pas en tant que tel un « droit » au renouvellement. Il intervient uniquement afin de corriger un usage abusif des contrats de durée déterminée.

Le principe de la clausula rebus sic stantibus peut conduire à une modification d’un rapport juridique suite à des changements inattendus et radicaux portant atteinte à des conditions-cadre du contrat, lesquels changements aboutissent à une disproportion entre prestation et contre-prestation545. Nous n’avons pas trouvé de précédents dans lesquels une partie aurait demandé le renouvellement d’un contrat sur la base de ce principe. Il semble cependant délicat d’exclure d’emblée que le renouvellement d’un contrat puisse être imposé si toutes les conditions d’application de la clausula rebus sic stantibus sont réunies. En définitive, tout type d’adaptation du contrat pourrait a priori entrer en ligne de compte. Cette adaptation pourrait consister en une prolongation du contrat en vigueur. Savoir si un renouvellement peut être accordé sur la base de ce principe est une question qui devra être examinée en fonction des circonstances concrètes du cas d’espèce.

Bonne foi et équité. Dans certains cas, une partie pourrait essayer de faire appel au principe de la bonne foi comme outil afin d’équilibrer les intérêts économiques des parties. En pratique, cette question se pose plus particulièrement dans le cadre des contrats de licence, de franchise ou de distribution. Souvent, lorsqu’à l’échéance du contrat, le licencié, le franchisé ou le distributeur n’ont pas pu amortir leurs coûts, ils tenteront d’obtenir une prolongation du contrat afin de rentabiliser leur activité. Le problème est encore plus prononcé lorsque la durée du contrat était d’emblée trop courte546. Dans d’autres cas, la durée d’un contrat peut être limitée pour des considérations tenant au droit de la concurrence. En France, par exemple, l’Autorité de la concurrence a émis un avis relatif à la distribution alimentaire dans lequel elle a considéré que des clauses de durée de plus de cinq ans soulèvent «de légitimes préoccupations de concurrence»547. Un franchisé pourrait faire valoir qu’une durée de cinq ans n’est pas suffisante afin d’amortir les

545 BK-HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, art. 2 CC, N 239.

546 Comme le soulève un auteur à juste titre, «[…] les parties sont supposées élaborer leur modèle commercial (y compris leurs investissements), en fonction de la durée du contrat et prendre en compte l’éventualité d’un non-renouvellement de celui-ci » ; DE WERRA, Contrat de franchise, N 15.2, in MARCHAND/CHAPPUIS/HIRSCH (éds.), Recueil de contrats commerciaux, Modèles en français et en anglais commentés selon le droit suisse, Bâle 2013.

547 Avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire, N 132 et seq., N 135.

728

729

730

investissements et que, donc, le contrat doit être renouvelé pour une nouvelle période de cinq ans.

A notre sens, il n’existe pas de véritable « droit au renouvellement » fondé sur l’art. 2 CC. L’art. 2 al. 1 CC suppose une obligation préexistante légale ou conventionnelle ; une obligation autonome ne sera admise que dans des cas exceptionnels548. Lorsqu’un donneur de licence ne souhaite pas renouveler le contrat arrivé à terme (et ses déclaration et son comportement n’ont pas provoqué des attentes légitimes à l’endroit de son cocontractant), on voit mal comment le preneur de licence puisse invoquer la bonne foi pour exiger le renouvellement du contrat. Tout contrat de durée déterminé prend fin par l’expiration tu terme convenu. Le fait pour une partie de ne pas vouloir renouveler un contrat n’équivaut pas à l’exercice d’un droit. Aussi, on ne saurait parler d’une sorte d’obligation générale de renouveler un contrat. Si une telle obligation existe, elle doit alors figurer soit dans la loi, soit dans le contrat.

En réalité, la bonne foi est souvent évoquée pour corriger l’économie du contrat, le but étant d’introduire un élément d’équité. Il est admis que la bonne foi introduit dans l’application du droit la référence à des valeurs très générales, comme les bonnes mœurs, l’équité, les droits de la personnalité549. Cependant, on ne saurait admettre un droit au renouvellement basé sur la bonne foi uniquement parce que le contrat, à son échéance, n’a pas satisfait une partie sur le plan économique. S’il existait un tel droit à l’équité économique, la sécurité du droit en serait affaiblie. Un contrat de durée déterminée prend en principe fin par la simple échéance du terme. Une partie doit pouvoir se fier à ce grand principe, à moins de n’avoir adopté un comportement qui, selon une interprétation objective, pouvait et devait être compris par son cocontractant comme une offre, que celui-ci aurait accepté, de renouveler le contrat.

Si une partie a signé un contrat dont il savait ou devait savoir que la durée était trop courte, il serait très délicat d’admettre un droit au renouvellement fondé sur un élément d’équité économique. La question de l’amortissement des investissements doit être anticipée dans le contrat, lequel pourrait inclure un mécanisme qui permet au franchisé, en cas de non renouvellement, d’obtenir le remboursement des investissements non amortis. La question de savoir si une partie a « droit » à un renouvellement dépend en première ligne du contrat (pacta sunt servanda), lequel peut contenir une option de renouvellement550en faveur du franchisé ou un renouvellement automatique soumis à certaines conditions551. En l’absence de telles clauses, la reconduction du contrat est

548 ATF 124 III 297, c. 5.c ; 108 II 305, c. 2.b.

549 ATF 113 II 209, c. 4.a.

550 Cf. supra ¶ 32.

551 Cf. supra ¶ 30.

731

732

733

soumise à un accord. Chaque partie est en principe libre de donner ou ne pas donner cet accord.

Tout contrat comporte des risques économiques. Le rôle du droit des obligations n’est pas de changer ce que les parties ont convenu en toute liberté, mais de veiller à ce que les contrats soient respectés. Une personne signant un contrat de durée déterminée doit légitimement pouvoir s’attendre qu’elle ne sera plus tenue d’exécuter ce contrat après l’échéance, à moins d’être convenue avec son cocontractant d’un renouvellement, si besoin est à l’aide des outils d’interprétation.

734

Solutions contractuelles

Dans cette troisième partie de l’étude, nous approfondirons trois sujets principaux : la règlementation du renouvellement par les parties (cf. infra ¶¶

736 et seq.), les clauses pathologiques (cf. infra ¶¶ 774 et seq.) et le traitement réservé aux clauses de renouvellement par le droit européen (cf. infra¶¶ 806et seq.).

735

Chapitre 1 : La règlementation du

renouvellement par les parties