• Aucun résultat trouvé

II- ENJEUX D’UNE REPRÉSENTATION DE LA DISPARITION

2.3. LE DOUBLE INCARNÉ

INCARNÉ

Une forme plus manifeste du double : la réplique28. Nous entendrons ici par

réplique un double matérialisé, ni reflet, ni ombre, ni écho, la réplique sera envisagée comme forme effective doué d’une vie propre et autonome. A la différence des exemples antérieurs la réplique n’est pas un double de proximité qui inscrit, du moins quand il n’est pas altéré, l’objet dans le réel. Il est en lui-même et pour lui-même réel.

Dans Metropolis29 (1927) Fritz Lang met en scène Hel, un androïde qui usurpe

l’identité de Maria (l’héroïne) pour semer trouble et discorde, symbolisant par la même la disparition de l’humain, sa mécanisation dans un monde dominer par l’industrie. Asservissement des uns pour le bien-être des autres, Métropolis est une société coupée en deux, entre monde d’en haut (les dominants) et monde d’en bas (les dominés). Dans le premier tout n’est que légèreté, opulence et nature luxuriante, dans le second des ombres d’hommes se déplacent mécaniquement

28 Le choix du terme vise à éviter la confusion sous-tendu par le terme de simulacre tel que nous l’avons jusqu’ici employé : c’est-à-dire comme fiction se substituant à son référent.

29 Fritz Lang, Métropolis, 1927, UFA (Universum-Film AG)

II. ENJEUX D’UNE REPRÉSENTATION

DE LA DISPARITION

dans des catacombes de métal et d’acier. Si l’inventeur Rotwang donne les traits de Maria à sa création c’est en premier lieu pour étouffer la révolte qui gronde parmi la masse des ouvriers. L’androïde joue alors le rôle d’un double monstre vecteur de mort et agent de la disparition. Si Hel est dotée d’une matérialité, d’une vie autonome, elle est totalement dénuée d’humanité, de sentiment, proférant un discours de haine et de violence. Elle est un double asymétrique de Maria et représente les valeurs exacerbées de la classe dominante. Dans l’apparence d’une ouvrière, la froideur mécanique d’une logique objective joue la disparition de l’humain.

L’Etrange cas de Docteur Jekyll et Mister Hyde de Stevenson explore quant à lui une forme dérivée de la réplique. Le double s’incarne dans Metropolis (phogrammes)

réalisé par Fritz Lang

1927, avec Brigitte Helm, Alfred Abel, Gustav Fröhlich, Universum Film (UFA)

la chair même de son référent donnant à voir sa face cachée dans une jouissance pure et destructive :

Hyde, la créature de Jekyll, ne fait qu’obéir aux exigences démesurées du principe de plaisir, ou de la pure jouissance qui, elle, est sans principe. Hyde n’a pas de secret, il est tout entier dans ce qu’il est, dans ce qu’il fait. Son être n’est pas divisé. Il est ce que Freud eût appelé un caractère pulsionnel. Satisfaction immédiate, pas de prétendue sublimation, nulle temporalisation : Hyde Fonce. 30

Pour le psychanalyste Jean-Baptiste Pontalis si l’entreprise de Hyde est foncièrement destructrice c’est parce que la pulsion l’est par essence car « elle a pour cible un objet et est indifférente au sujet »31. Et c’est peut-être en cela

que ce double incarné donne à voir, d’une façon diamétralement opposé à Hel, une représentation de la disparition de l’humain. A trop être humain il en devient inhumain.

A l’inhumain par défaut que représente Hel, ou celui par excès de Mr. Hyde, Frankestein offre une troisième voie au double monstre. Le docteur Frankenstein et sa créature, dans l’inconscient, se confondent. Un double composé de cadavres hétéroclites. Du vivant sculpté dans la chair des morts, mais qui, du savant ou de sa créature meurtrière, est le plus monstrueux ? Pour Pontalis c’est là la leçon de Frankenstein : « la frontière entre l’humain et l’inhumain n’est pas seulement fragile, incertaine : elle n’existe pas. »32 Car Victor Frankenstein cherche à découvrir

le principe de vie. Une quête qui vise en fait à vaincre la mort et par là même à nier le décès de sa propre mère. Fabriquer du vivant avec du mort : « étrange détour pour redonner vie à la mère morte »33. Une tentative prométhéenne pour combler

l’absence qui n’aboutit en définitive qu’à un double monstre acteur de disparition. L’entreprise démiurgique s’achève en une créature démoniaque :

Ah ! Aucun mortel ne pourrait supporter la vue de ce visage horrible. Une momie à qui le mouvement a été rendu ne saurait être aussi hideuse. Je l’avais contemplé avant qu’il fût achevé ; il était laid, sans doute ; mais quand ses muscles et ses articulations purent se mouvoir, cela devint une chose telle que Dante lui-même n’aurait pu la concevoir. 34

30 JB Pontalis, Traversée des ombres, coll. Nrf, Ed. Gallimard, Mayenne, 2003, p.113 31 JB Pontalis, Idem. p.119

32 JB. Pontalis, Ibid., p.106 33 JB Pontalis, Ibid. p.108

34 Mary Shelley, Frankenstein, Chapitre V, http://fr.wikisource.org/wiki/Frankenstein_%281831%29/ Chapitre_V

L’irreprésentable de la face de la créature rejoue la transgression de son créateur car si la laideur de ce patchwork de chair est véritable, elle devient insoutenable à l’instant où elle prend vie. Plus que cela en se consacrant tout entier à son expérience, en se transformant en profanateur de sépulture, en se distanciant dans l’oubli des vivants jusqu’à la mise à mal de son propre corps, en somme en se consacrant aux morts, Frankenstein devient lui-même un mort : « il dépérit, lui qui n’a plus qu’un désir, insuffler la chaleur vitale »35. Un vivant mort créant un mort

vivant, comme deux jumeaux œuvrant l’un l’autre leurs disparitions.

De nos Elvis à ces évocations de la disparition un lien se tisse. Une figure lancinante revient, hantant les pages de notre réflexion : le double indéniablement s’inscrit comme point de passage mais c’est un double altéré, malmené : que ce soit le sosie (comme reflet déformé), l’ombre soufflée (comme ombre sans corps), le corps statufié (comme écho incarné) ou la réplique avortée toujours la disparition se lie à la dissemblance et à cet écart d’un double monstre.