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3 Les données de la connaissance pour la gestion

La gestion de l’anguille s’appuie pour partie sur les connaissances élaborées. Leur production, leur validation, et leur utilisation relèvent de dispositifs aux différents échelons. Elles sont mobilisées aux différents instants du processus de la gestion : pour évaluer un état des lieux qui justifie ou pas d’une gestion, pour définir un objectif à la gestion, pour mettre en œuvre et pour évaluer les actions mises en place. Nous verrons de quelle manière la production et l’utilisation des connaissances pour la gestion fait intervenir les différents échelons, chacun étant en relation d’interdépendance avec les autres. S’interroger sur les connaissances utilisées pour le plan de gestion revient à s’interroger sur les acteurs sociaux chargés de produire cette connaissance et sur le rôle qu’ils sont amenés à jouer. On verra que définir précisément qui sont les acteurs producteurs de connaissance n’est pas si aisé qu’on pourrait le penser du fait que différentes catégories d’acteurs interviennent aux différents échelons.

Nous entendons dans les discours et observons dans les dispositifs une volonté de distinguer ce qui relève du scientifique, de la connaissance, de l’objectivité, et ce qui relève du politique, de la décision, en suivant tel ou tel intérêt. Les dimensions technico-scientifiques sont distinguées dans l’organisation, avec l’existence de groupes techniques et l’existence de rencontre plénières, plus politiques, mais aussi du fait du moment d’apparition des scientifiques dans la prise de décision.

L’utilisation de connaissances est un élément indispensable de la gestion, qui est utilisé, ou tout au moins discuté à tous les échelons. Les décisions en termes de gestion des pêcheries ou des questions environnementales sont souvent issues de constats scientifiques, le plus souvent d’ordre biologique ou écologique. Nous allons dans ce chapitre observer de quelle manière, et à quel niveau est utilisé le savoir scientifique pour la gestion de l’anguille, le poids qu’il a joué dans les décisions prises. D’une part, on va observer comment est organisée la production de connaissance aux différents échelons, d’autre part nous allons nous questionner sur la manière dont elle intervient dans les discussions liées aux différents enjeux défendus. L’observation des modalités de production des connaissances invite à se questionner sur les acteurs qui en sont les producteurs. Dans quelle mesure se distinguent-ils des acteurs politiques, dans quels circuit de décision sont-ils impliqués ? Ces scientifiques sont amenés à effectuer différentes tâches en lien

avec le PGA.

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Les connaissances, outil de gestion

La connaissance scientifique est devenue le médiateur indispensable entre l’homme et l’environnement (Granjou, 2003). Il est attendu des acteurs de la connaissance scientifique de fournir une expertise, c'est-à-dire des connaissances orientées vers l’action (Delmas, 2011). Les connaissances nécessaires à la gestion de l’anguille sont produites par des spécialistes de la biologie et de l’écologie. Elles portent sur l’évaluation des stocks et les facteurs de mortalité. Différents facteurs sont cités, la pêche, les obstacles à la libre circulation, les parasites, les pollutions, les courants océaniques et le changement climatique. La pêche constitue l’un des facteurs les mieux renseignés.

La production de ces connaissances est organisée aux différents échelons. Au niveau européen et national, les scientifiques sont organisés en groupes de spécialistes. Le CIEM, constitué de scientifiques issus des différents pays membres, intervient au niveau européen. On a vu que les recommandations du CIEM ont joué un rôle important dans la décision de rédiger un règlement européen. « This means that the marine and freshwater ecosystem, fishing, parasites and diseases,and pollution merit special attention for safeguarding eel stocks. The impact of climate dynamics, probably the most significant factor in modulating recruitment, is an issue of global responsibility. Hence, the quota of eel for fisheries and aquaculture should be judged very conservatively.”12 Le CIEM émet différents énoncés en 2005, au regard d’un ensemble large de

facteurs de mortalités sur l’anguille à prendre en compte. Il conclue sur le fait que le choix de quotas pour la production devra être évalué précisément.

Le GRISAM, constitué de quatre organismes scientifiques (IFREMER, IRSTEA, Museum d’histoire naturelle, ONEMA) intervient au niveau national. Il regroupe des experts de différentes institutions sur les poissons migrateurs depuis 1984. Il a été sollicité par le Ministère en charge de l’écologie pour apporter son expertise. Il a été chargé de produire un rapport d’expertise pour la mise en place du plan de gestion, de donner un avis sur sa première version, de proposer une méthode de suivi de l’échappement en anguilles argentées, et d’une manière plus générale, d’analyser les modalités de gestion des poissons migrateurs en France métropolitaine. L’ONEMA, « bras droit » du Ministère en charge de l’écologie, est chargé de centraliser les connaissances concernant l’anguille. Ce représentant de ministère considère que c’est l’organisme le plus apte à compiler les données. L’IFREMER a été partie prenante de la production de données par le biais du programme Indicang. Il est intervenu essentiellement en

milieu estuarien. Cependant, cet organisme a choisi d’abandonner ce secteur bio-géographique pour concentrer ses investigations en milieu océanique.

Au niveau du bassin et au niveau local, différentes structures produisent des données pour la connaissance : les organismes de recherche, les fédérations de pêche, les EPTB, etc. Les associations de migrateurs jouent un rôle majeur dans la production et la valorisation des données, en les centralisant au niveau du bassin. C’est dans cet objectif de produire des données d’évaluation des stocks de poissons migrateurs qu’a été créée l’association MIGADO en 1989. Cette activité de connaissance est définie comme une « mission essentielle » dans le rapport d’expertise des COGEPOMI (Balland & Manfredi, 2006).