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i Retour sur les politiques publiques de l'anguille

La gestion des poissons migrateurs, s’articule entre le niveau national et le niveau des bassins, plus tardivement entre le niveau national et le niveau international. Les premières mesures ont été décidées au niveau national. La législation française organise une protection des espèces migratrices dans la seconde partie du XIXème siècle à partir d’une réglementation de la pêche (Barthélémy, 2003). Deux décrets du 19 et du 24 octobre 1863 instaurent, pour la première fois à l’échelle nationale, l’interdiction de la pêche du saumon et de la truite en période de reproduction. A cette interdiction, est liée une réglementation concernant l’installation de passes à poissons dans les barrages (Thibault, 1992). La loi du 31 mai 1865 incite à la construction de passages et appelle à classer les cours d’eau soumis au régime des échelles à poissons. Durant cette période, seuls le saumon et la truite sont pris en compte la législation.

Les actions entreprises depuis les années 1970 trouvent leur origine aux deux échelons, local et national. La réimplantation du saumon devient l'opération phare (Guerri et Pustelnik, 1998). En 1978, un premier programme de restauration des poissons migrateurs voit le jour, avec le lancement du « Plan Saumon », à l'initiative du Ministère de l'environnement. Il est suivi dans les années 1980 par les programmes « Migrateurs ». L'esturgeon bénéficie d'opérations de protection dès 1980, mais seulement à partir du moment où la population a atteint un seuil critique. Le saumon et l’esturgeon seront pris en compte à l’échelle européenne, le premier en 1983, année de la mise en œuvre d’une convention internationale pour la préservation du saumon atlantique (Pellegrini & Rochard, 2008), le second en 1994, où émerge un projet soutenu par la Commission Européenne visant l'esturgeon européen, porté par EPIDOR et le Cemagref de Bordeaux » (Guerri et Pustelnik, 1998, p14).

À partir de 1992 le contrat de Plan Etat-Région « Retour aux sources » est élaboré au niveau national, il élargit les programmes aux autres poissons migrateurs. Ces programmes étaient coordonnés par le ministère de l'environnement et le CSP, avec la participation continue ou ponctuelle d'acteurs divers (Guerri et Pustelnik, 1998). Les acteurs impliqués se sont ensuite diversifiés, du fait des différents rôles joués par les poissons migrateurs : ressource pour l'activité halieutique mais aussi rôle d'emblème et d'indicateur de la qualité et de la fonctionnalité d'un

cours d'eau, selon Epidor. Dans le même temps, les politiques nationales renforcent la prise en compte des aspects environnementaux dans les procédures de développement et réorganisent les cadres de gestion des milieux aquatiques. Dans le cadre de la loi pêche 1984, des actions réglementaires sur les cours d'eau classés « migrateurs » sont décidées (Guerri et Pustelnik, 1998). Ils sont classés au titre de l'article L432-6 du Code rural. Elle donne obligation de réaliser des dispositifs de franchissement des cours d'eau qui correspondent à des parcours de migration classés, et de mettre en conformité les ouvrages existants dans un délai de cinq ans après la publication de la liste des espèces concernées fixée par arrêté (Boyer et al, 2000). Cette loi va cependant être de peu d'effet, puisque non appliquée dans la mesure où la liste des espèces est loin d'avoir été rédigée pour tous les cours d'eau concernés. En Gironde, cette liste n’a jamais été établie. Pendant ce temps là, l’anguille est indésirable du fait de la prédation qu’elle exerce sur les salmonidés, et est classée nuisible dans les cours d’eau de catégorie 1 en 1969. Elle est déclassée en 1984 comme le remarque cet acteur de bassin : « le ministère de l’Environnement n’a pas choisi de défendre l’anguille, mais le saumon. Donc tout l’argent et toute l’énergie sont passés dans le saumon. L’anguille a été laissée pour compte. (…) et 10% des pêcheurs à la ligne sont des pêcheurs de saumon, des pêcheurs snobs je dirais, et l’administration ne s’est pas occupée de la pêche banale » (Le journal d’Océan, 2002).

Au niveau local, ces programmes viennent progressivement structurer les opérations de restauration des poissons migrateurs (Boyer et al, 2000). Le GRISAM fait le constat que jusqu'à présent, c'est surtout sous la forme de programme de soutien financier développé sur quelques années que l'Etat s'est mobilisé sur cette question des poissons migrateurs (GRISAM, 2010). En 1994, leur gestion se verra notablement modifiée, et organisée par grands bassins fluviaux, laissant des prérogatives accrues au niveau régional. Le décret n°4-157 du 16 février 1994, dit « amphihalin », codifié dans le code de l'environnement par l'article R436-47, institue les comités de gestion des poissons migrateurs (Anonyme, ONEMA). Les COGEPOMI sont chargés de rédiger des plans de gestion des poissons migrateurs par bassin.

La prise en charge de la gestion des poissons migrateurs est assurée à partir de cette date par les COGEPOMI au niveau des bassins, et pilotée par le Ministère en charge de l’écologie. Mais il n’y a pas de réelle mise en cohérence des actions des différents bassins au niveau national, évaluent Balland et Manfredi en 2006. Ils signalent dans leur rapport d’expertise le manque de dynamisme à ce niveau de gestion. C'est aussi le constat réalisé par le GRISAM : « à une définition relativement précise de l'organisation de la gestion des poissons migrateurs amphihalins au niveau des COGEPOMI, le décret de 1994 n'a pas identifié d'organisation correspondante au niveau national permettant de donner du liant entre les composantes

régionales et les divers types d'acteurs concernés » (GRISAM, 2010, p30). Il n’existe pas au niveau national de comité national des poissons migrateurs, équivalent des COGEPOMI à l’échelon du bassin.

Ces différentes politiques envers les poissons migrateurs émergent à une période où de nouveaux cadres de gestion de l'eau et de l'environnement se mettent en place, notamment du fait du processus de décentralisation en cours. « Les lois du 2 mars 1982 sur la décentralisation, du 6 février 1992 et du 4 février 1995 sur l’aménagement du territoire, ont amorcé le transfert de compétences de gestion de l’échelon national vers les acteurs locaux et ils ont probablement contribué à réorienter les stratégies nationales amorcées par le Ministère de l’Environnement. La loi pêche n°84-512 du 29 juin 1984 et la loi sur l’eau n° 92-3 du 3 janvier 1992 ont renforcé la prise en compte de l’environnement aquatique dans les procédures institutionnelles de gestion. Le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (S.D.A.G.E.) Adour-Garonne, approuvé le 6 août 1996 a confirmé les démarches de gestion intégrée et il a recommandé de développer l’implication collective. Enfin la mise en place des COmités de GEstion des POissons Migrateurs (CO.GE.PO.MI.), par application du décret n°94-157 du 16 février 1994, a renforcé la coordination des actions à l’échelle d’unités hydrographiques fonctionnelles. » (Pustelnik, Guerri, 2000). Le bassin Garonne-Dordogne dispose d'un dispositif règlementaire. Notamment, le contrat « Retour aux sources » va voir des prolongements dans le cadre du SDAGE Adour Garonne, approuvé le 06 août 1996, par la désignation des axes prioritaires pour les poissons migrateurs, les « axes bleus » (Boyer et al, 2000).

Le rapport d'Epidor de 1998 rapporte une prise en compte conjointe de la question des poissons migrateurs au niveau national et au niveau du bassin de la Garonne-Dordogne. Cette décennie est marquée dans ce bassin par « l’apparition des premiers résultats visibles du rétablissement de l'accès aux parties hautes bassin et notamment la prolifération des grandes aloses dans les bassins de la Garonne et de la Dordogne. Les auteurs du rapport précisent aussi que « l'anguille est actuellement l'objet d'une préoccupation croissante de la part des acteurs locaux, face aux indications alarmantes de régression de cette espèce sur tous les bassins européens » (Guerri et Pustelnik, 1998, p14). Malgré l’existence d’un dispositif réglementaire bien pourvu au niveau du bassin, les auteurs constatent cependant une très mauvaise prise en compte de l'anguille.

Depuis leur création, les COGEPOMI sont pilotés par les DIREN, délégations régionales du ministère de l'environnement, puis les DREAL. Ils sont constitués de séances plénières et réunions techniques en groupes techniques. Le fonctionnement des COGEPOMI intègre aussi des acteurs locaux, dans la mesure où les groupes techniques sont pour partie pilotés par des

collectivités locales (les EPTB assurent le secrétariat des groupes Garonne et Dordogne). Au niveau du bassin, des représentants des administrations de la pêche et de l'environnement participent au COGEPOMI. Mais si les COGEPOMI permettent de favoriser la mise en place d'une gestion des poissons migrateurs au niveau du bassin, ils traitent essentiellement de la question de la pêche. Les autres questions sont renvoyées à l'instance de Comité de bassin, « Parlement local de l’eau », chargée de l’élaboration de la politique de gestion de l’eau et de la rédaction du SDAGE.

En 2010, dans le cadre de l'année internationale de la biodiversité le Ministère en charge de l’écologie initie une stratégie nationale sur les poissons amphihalins (STRANAPOMI). Elle est justifiée par le déclin des populations de poissons amphihalins présents sur le territoire français malgré les mesures de conservation mises en œuvre, leur valeur patrimoniale ainsi que leur rôle de témoin de la qualité de l'eau et des milieux (MEDDTL, 2011). Les réflexions sur l’anguille en font partie. Sur le site du Ministère en charge de l’écologie est affirmée la volonté de s'appuyer sur les différentes mesures définies au niveau européen pour mettre en œuvre cette stratégie : Directive cadre sur l'eau, Directive habitat, Règlement européen de l'anguille. Observe-t-on un processus d'intégration des procédures et des politiques publiques vers plus de cohérence ? Il semble que le règlement européen sur l'anguille et sa déclinaison en plan de gestion a redonné un certain dynamisme à une politique nationale en faveur des poissons migrateurs.