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Brésil I re République – Constitution de 1891

1.1 Dictature : le coup d’état de 1964

1.1.2 La doctrine de la Sécurité Nationale et le Plan Condor

Dans l’Ámerique Latine nous venons de passer en revue les différents régimes qui se réclament de la Sécurité Nationale a partir des années 70, sauf au Brésil, où le sens de la doctrine a été dejà implantée depuis très longtemps et où, dès le début de le Cou d’État de 1964, les militaires en ont fait la norme de leur gouvernement. La doctrine, elle-même, est venue ensuite lorsque le nouveau régime dictarorial au Brésil a senti le besoin d’une légitimation, d’une règle et d’une orientation qu’il n’a pas trouvé dans ses traditions nationales une théorie suffisante. Il a eu recours à celle qui ont été enseignés dans les écoles nord-américaines.

Au début du régime, très peu d’officiers avaient bien appris leurs leçons aux États-Unis ou au canal de Panama. Ce furent eux qui surent se frayer un chemin jusqu’aux plus haut niveaux du pouvoir. Une fois au pouvoir, ils sentirent la nécessité de communiquer leur idéologie pour en faire la base d’une nouvelle classe dirigeante.

La doctrine de la Sécurité Nationale sert avant tout à préparer les futurs cadres de la société et de l’État. Elle devrait être l’idéologie d’une nouvelle classe dirigeante que les militaires avaient l’intention de former.

Il y a , donc deux façons de tenir à la sécurité nationale. L'une se réfère à son aspect juridique et l'autre, à la doctrine. Sur l’aspect juridique, le texte du décret-loi 898/64 précise le suivant : « Article 2. La sécurité nationale est la garantie de la réalisation des objectifs nationaux contre les antagonismes, tant internes qu'externes. Art. 3 : La sécurité nationale comprend essentiellement les mesures visant à préserver la sécurité extérieure et intérieure, y compris la prévention et la répression de la guerre psychologique et de la guerre révolutionnaire ou subversive »84.

Ces définitions ont fait l'objet de critiques de la part de Hely Lopes Meirelles, pour qui : « L'art. 3 du décret-loi 898, 1964, utilise le verbe « comprend » de manière inappropriée, alors que le correct serait « admet », parce qu'en fait la sécurité nationale ne « comprend pas les mesures »,

84 Brasil, Decreto Lei 898 de 21 de setembro de 1969. Disponible en ligne : http://www6.senado.gov.br/legislação/ListaNormas.action?numero=898&tipo_norma. Consulté le : 22/06/2017.

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mais seulement « admet », « utilise » ou « adopte » des mesures de prévention et de répression des activités qu'elle vise à contenir ou à restreindre »85.

Le STF s'est aussi exprimé sur le sujet et affirmé que « La sécurité nationale comprend toutes les questions relatives à la défense de l'intégrité du territoire, de l'indépendance, de la survie et de la paix du pays, de ses institutions et de ses valeurs matérielles ou morales contre les menaces extérieures et intérieures, qu'elles soient actuelles et immédiates, ou encore dans un état potentiel proche ou lointain »86.

Dans ce sens, le memê sujet est élucidé ici par le maître Hely Lopes Meirelles : « La sécurité nationale est la situation de garantie, individuelle, sociale et institutionnelle que l'État assure à toute la nation, pour la tranquillité perpétuelle de son peuple, le plein exercice des droits et la réalisation des objectifs nationaux, dans l'ordre juridique actuel. C'est la vigilance permanente et totale de l'État sur son territoire, pour garantir son peuple, son régime politique et ses institutions »87. Comme on peut le constater, il y a une formulation peu claire dans les concepts qui visaient certainement à valider les actes du régime militaire.

Le moment où la doctrine de la sécurité nationale s’affirme est celui où le groupe qui s’identifie à elle, a suffisamment consolidé son pouvoir pour penser à former une nouvelle classe dirigeante. C’est un signe que nous laisse prévoir que le groupe qui est au pouvoir a l’intention d’y demeurer longtemps et de refaire un nouvel État et une nouvelle société.

Selon Joseph Comblin88, la doctrine de la sécurité nationale tourne autour de quatre concepts principaux : la sécurité nationale, les objectifs nationaux, le pouvoir national et la stratégie nationale.

La définition de Sécurité Nationale est au centre de la doctrine, et tous les problèmes que suscite la doctrine sont déjà présents dans ce concept hautement problématique. Il arrive souvent de ne pas trouver de définition sur le sujet dans les manuels américains: elle est toujours présente et jamais expliquée.

85 Meirelles, H.L. Poder de polícia e segurança nacional. Revista dos Tribunais 1972, v. 61, no 445, p. 287 – 298. 86 Appel extraordinaire n° 62.739, rejeté le 23.8.1967, dans RDP, vol. 5/223. Disponible en ligne : http://www.stf.jus.br/arquivo/cms/publicacaoPublicacaoInstitucionalMemoriaJurisprud/anexo/AliomarBaleeiro.p df . Consulté le : 22.06/2017.

87 Freitas, V.P. O Poder Judiciário No Regime Militar (1964-1985). Simplíssimo Livros. Edição do Kindle. p. 68. 88 Comblin, J. Le pouvoir militaire en Amerique Latine. 1977.

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Amaral Gurgel89 , dans sa définition, dit le suivant : donne la définition suivante « La Sécurité Nationale est la garantie donnée par l’État pour la conquête ou la défense des Objectifs Nationaux en dépit des antagonismes et des pressions ».

Les Objectifs Nationaux constituent un ensemble assez flou. Les auteurs reconnaissent qu’il y a un seul bien qui constitue l’épine dorsale de la sécurité nationale et est toujours un objectif qui doit être mis en sécurité : c’est la survivance de la Nation.

En général on peut dire que toutes ces listes sont équivalentes. D’un pays à l’autre, les variations qu’elles présentent sont simplement verbales. Pour le Brésil, le général Golbery veut condenser en quelques mots les objectifs nationaux. Il écrit et s’exprime de la façon suivante : « intégration nationale, autodétermination ou souveraineté, bien-être, progrès », ou encore, reprenant ce qu’il estime être l’essence de l’Occident : « science, christianisme, démocratie » 90.

Le pouvoir national est donc l’ensemble de moyens d’action dont peut disposer l’État en vue d’imposer sa volonté ; il fait intervenir la fin et nullement les moyens.

Tels sont les moyens dont dispose la Nation. Reste maintenant à les articuler en un plan organique en vue de la Sécurité Nationale : c’est le rôle de la Stratégie Nationale. Selon, Joseph Comblin, « La Stratégie Nationale est l’art de préparer et d’appliquer le Pouvoir Nationale »91. La doctrine de la Sécurité Nationale assigne à l’État un rôle très clair : il est l’agent de la stratégie nationale, chargé de mettre en œuvre le Pouvoir National en vue des Objectifs Nationaux.

En contrepoint des idées de Comblin, nous avons l’ouvrage d’Alain Rouquié92, L'État militaire en Amérique Latine, publié à l'origine en 1982. Ce livre décrit la militarisation des processus politiques en Amérique latine sur lesquels Roquié relativisera les impacts de la DSN. Contrairement aux perspectives de Comblin, pour lui, les régimes militaires n'avaient pas d'idéologie spécifique. En fait, la DSN serait un outil permettant de voir à quel point ces gouvernements seraient illégitimes, plutôt que d'assurer leur légitimité.

89 Gurgel, J.A.A. Segurança e democracia: uma reflexāo política sobre a doutrina da Escola Superior de Guerra. Rio de Janeiro: Biblioteca do Exército Editora; José Olimpio, 1975.

90 Comblin, J. op. cit. p. 39. 91 Ibidem.

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Les idées contenues dans la Doctrine de sécurité nationale ne formeraient pas un noyau idéologique, ni ne s'y substitueraient, ni même n'auraient cette fonctionnalité. Selon Roquié, pour comprendre les dictatures latino-américaines de la seconde moitié du XXe siècle, on ne peut pas se fier uniquement au modèle adopté par la DSN, mais plutôt à la façon dont elles ont été assemblées structurellement et à la base de la formation des forces armées latino-américaines.

Les caractéristiques du militarisme latino-américain découlent de : un contrôle interne de l'État de plus en plus aux mains des militaires ; un isolement provoqué par la technicisation liée au processus de modernisation ; et enfin, l'absence des conflits internes et politiques, dans la pratique, au sein des forces armées, ce qui a facilité la compréhension du rôle de stabilisation des militaires.

L’État Nouveau ne détruit naturellement pas tout l’ensemble institutionnel antérieur. D’une manière générale, on peut dire que le caractère propre des institutions du système de sécurité nationale est le provisoire. Puisque nous sommes dans une situation transitoire, il est normal que les institutions, ainsi que les lois qui les définissent, soient provisoires.

Ce caractère provisoire n’est nullement caché : au contraire, il s’affiche. Les militaires gouvernent sous le couvert d’états d’exceptions et de lois d’exception : Actes Institutionnels ou Actes Constitutionnels dérogeant à une Constitution maintenue en place, état de siège, état d’urgence ou état d’exception. Ces lois d’exception permettent au président de la République d’exercer tous les pouvoirs dont il estime avoir besoin.

Une fois cette dérogation admise, la Constitution n’est plus un obstacle. Par ailleurs, les gouvernements militaires craignent qu’une nouvelle Constitution, aussi autoritaire soit’elle puisse être, ne soit finalement une limite posée à leur pouvoir, ce qui les obligerait à y la déroger de nouveau.

Le plan Condor était un pacte entre les dictatures militaires d'Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Bolivie, Chili, Paraguay, Uruguay) signé en 1975 entre les militaires de ces pays dans le secret. Cette opération visait à renforcer les relations de coopération internationale des dictatures dans leurs méthodes de répression et de persécution des opposants politiques à ces régimes. Cet accord a été conclu le 26 novembre 1975 au Chili, et le nom Condor faisait référence au symbole national des oiseaux du Chili, le condor andin.

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Ces gouvernements ont été organisés et créés par des coups d'État militaires, mettant le contrôle des pays entre les mains des forces armées. La mise en place de ces régimes a reçu le soutien des secteurs les plus conservateurs de la société, utilisant le climat d'instabilité politique de ces nations pour mettre en pratique des projets de pouvoir et des modèles économiques campés par les partisans des coups d'État, qu'il s'agisse de la classe hégémonique nationale ou de puissances étrangères, en l'occurrence les États-Unis, dont la guerre froide a fait resserrer encore plus le lien de domination dans leur sphère d'influence en Amérique latine.

Selon John Dinges, « Le plan Condor ne se limitait bien entendu pas à un simple système d’échange de renseignements. Son aspect le plus novateur tenait sans doute aux étroits rapports personnels qu’il scellait entre les hauts responsables du renseignement, lesquels, jusqu’alors, se considéraient davantage comme des rivaux et des cibles de contre-espionnage que comme des collaborateurs »93.

L'opération Condor a donc été organisée par l'instauration d'une politique de peur et de terreur qui s'est répandue dans les pays appartenant au pacte entre les dictatures « Le système Condor permettait d’étendre considérablement cette capacité opérationnelle, et ce très officiellement. La clause 5g de l’accord Condor préconisait « la présence dans les ambassades de nos pays d’agents du renseignement national […] chargés d’assurer la liaison directe et personnelle, et qui seraient totalement accrédités par les Services. » »94.

Le plan Condor est devenu une organisation transnationale pour l'échange d'informations, d'expériences, de formation et d'assistance mutuelle des organes de répression, de torture et de persécution de leurs opposants. Soutenues par la Doctrine de sécurité nationale et le terrorisme d'État, les dictatures du Cône Sud baseraient tous leurs projets et actions répressives contre les éléments considérés comme « indésirables » sur l'ordre établi, la lutte contre le subversif. Selon l’impression de John Ginges, « Sous la direction géopolitique de Pinochet, l’Amérique Latine amorça ainsi une sorte d’effet domino inversé. L’un après l’autre, tous les pays qui avaient laissé l’ideólogie de gauche prendre pied, tombèrent sous la domination de l’armée et subirent une épuration politique implacable. »95

93 Dinges, J. Les années Condor : comment Pinochet et ses alliés ont propagé le terrorisme d’État pour les trois

continents, La Découverte, 2005, p. 135.

94 Ibidem, p. 135.

95 Dinges, J. Les années Condor : comment Pinochet et ses alliés ont propagé le terrorisme d’État pour les trois

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Dans ce contexte de lute contre le communisme, au Chili, « Pour faire échec à cet ennemi implanté dans tous les pays du monde, Pinochet mit au point un programme clandestin à l’échelle internationale. Pour ce faire, il conclut une alliance secrète avec d’autres gouvernements militaires - l’Uruguay, le Paraguay, la Bolivie, le Brésil e l’Argentine. Le nom d’« opération Condor » - en référence au rapace majestueux qui est l’oiseau national du Chili. L’idée consistait à engager les services de sécurité à unir leurs forces pour traquer les « terroristes » de toutes nationalités, quel que soit leur pays de résidence. »96

Dans la manière dont ils ont été conçus, « Les opérations Condor se limitaient à l’origine aux pays d’Amérique Latine. Chaque pays membre autorisait les services de renseignement des autres pays à intervenir à l’intérieur de ses frontières – pour enlever des exilès, les interroger et les torturer et les ramener dans leur pays d’origine. »97

Les éléments dont nous disposons aujourd’hui prouvent que la CIA connaissait l’existence du plan Condor, parce que depuis longtemps elle plaidait en faveur d’une meilleure coordination entre le militaires de la région, notamment en matière de renseignement et de communications.

96 Ibidem, p. 136. 97 Ibidem, p. 136.

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Figure 3 – L’analyse des Documents du gouvernement des États-Unis trouvés aux archives virtuels « Brown Digital Repository » sur la dictature militaire au Brésil (page1)

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Figure 4 – L’analyse des Documents du gouvernement des États-Unis trouvés aux archives virtuels « Brown Digital Repository » sur la dictature militaire au Brésil (page2)

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L’ambassadeur US Lincon Gordon n’hésita pas à saluer la chute de Goulart comme « une grande victoire pour le monde libre … sans laquelle l’Occident aurait pu perdre l’ensemble des Républiques sud-américaines »98.

Dans la chaîne des bâtisseurs de l'opération Condor, il n'y a pas d'échappatoire pour l'ambassadeur Manoel Pio Corrêa, diplomate de carrière, anticommuniste, qui a poursuivi des diplomates plus libéraux comme Antonio Houaiss et Vinicius de Moraes, et qui a également été un grand collaborateur du coup d'État de 1964.

En 1966, il est envoyé par le gouvernement militaire du maréchal Castelo Branco comme ambassadeur en Uruguay, où il met en place le premier Ciex, avec pour objectif de surveiller les actions des Brésiliens à l'étranger. En Uruguay, il s'est chargé de cette tâche, notamment en surveillant le président João Goulart et Leonel Brizola, parmi d'autres exilés dans ce pays. Cette expérience lui a valu le poste de secrétaire général d'Itamaraty dans l'administration du Chancelier Juracy Magalhães. Depuis l'Uruguay, il a établi le Ciex dans plusieurs ambassades brésiliennes, sous la protection du général Golbery do Couto e Silva, créateur du Système National d’information (SNI). C'était un organe ultra-secret, camouflé en conseiller en documentation de politique étrangère, mais décisif dans la mise en place et le fonctionnement de l'opération Condor dans le Cône Sud.

Pio Corrêa est cité par l'agent de la CIA Philip Agee99 qui a révelé que Pio, en plus d'être un diplomate brésilien, était également un agent de la CIA.

Plus de 8 000 rapports sur des personnes à l'étranger pendant la dictature militaire se trouvent dans les archives secrètes de la « CIA brésilienne ». Parmi les personnes surveillées, 64 exilés ont été tués ou ont disparu.

Ces événements ont préparé le coup d'État militaire de 1964 et peu après, dans les années 1970, la collaboration du Brésil à la structuration de la soi-disant « Opération Condor »,conçue aux États-Unis et idéalisée par Henry Kissinger dans le gouvernement de Richard Nixon. Parmi les pays du Cône Sud, il est d'abord établi au Brésil, notamment en raison de la collaboration de longue date entre l'armée et d'autres organismes des deux pays, d'où sont nées d'importantes

98 Message de Gordon à Dean Rusk, du 2 avril 1964, cité par Phyllis R. Parker, Brazil and the Quiet Intervention, 1964, Austin, 1979, p. 82-83.

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actions visant à implanter et à maintenir les autres dictatures sur le continent latino-américain. Les documents déclassés reçus par la Commission nationale de la vérité sont très éclairants sur la coopération nord-américaine avec les dictatures du Cône Sud.

À cette fin, les États-Unis ont fourni la structure nécessaire aux pays du cône sud, grâce au financement et à l'assistance technique de la CIA, qui a servi d'intermédiaire dans les réunions avec les escadrons de la mort au Brésil et en Uruguay, et avec l'Alliance anticommuniste argentine (Triple A), en Argentine, entre autres. Les États-Unis ont également envoyé des agents en formation, comme Dan Mitrione, qui est venu au Brésil en 1960 et y est resté jusqu'en 1967, à Belo Horizonte, où il a enseigné des « techniques de torture » brutales, formant de nombreux disciples - on estime à plus de mille le nombre d'agents, rien qu'au Brésil100.

1.2 Le rôle des Actes Institutionnels dans le recul des Libertés Fondamentales pendant