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6.3 Deux objets flottants

6.3.1 Division du banc entre objets flottants

Des situations où l’on observe une division du groupe entre les deux objets sont quelques fois observées. Un exemple d’une telle division est visible sur la vidéo dans la ressource complémentaire 6.11. Pour les quantifier, nous avons analysé les images de nos vidéos en fonction du nombre d’individus sous chacun des objets. La figure

6.13 montre différentes mesures reportées en fonction de chacune des situations (i,j) où i et j sont respectivement le nombre d’individus sous l’un et l’autre objet (le détail des histogrammes pour toutes les expériences est consultable dans les ressources complémentaires 6.12, 6.13 et 6.14). Les deux histogrammes du haut de la figure montrent la fraction du temps passé dans chacune des situations. Nous observons que les situations où le groupe passe le plus de temps sont celles où tout le groupe se trouve sous un seul des objets flottants, ou en-dehors de ceux-ci. Elles se trouvent en (N,0), (0,N) et (0,0) sur les histogrammes où N est la taille de la population (5 ou 25). Cette observation correspond bien à la dynamique présentée ci-dessus qui consiste à un mouvement groupé du banc d’un objet flottant à l’autre. De plus, lorsque nous regardons l’occurrence des situations indépendamment de la durée de celles-ci (voir les histogrammes du milieu de la figure 6.13), nous remarquons que toutes les situations intermédiaires entre les trois évoquées ci-dessus, c’est-à-dire celles où une partie du groupe se trouve sous un unique objet ((i,0) et (0,j) où i et j sont compris entre 1 et N-1) sont également fréquentes et constituent donc des états transitoires. Effectivement, bien qu’elles soient fréquentes, la durée moyenne des ces situations sont faibles (voir les histogrammes du bas de la figure6.13). D’autre part, d’autres situations où le groupe est divisé sont stables dans le temps. Des durées relativement longues se trouvent sur la diagonale des histogrammes (bas de la figure

6.13) et correspondent à des situations où tout le groupe est partagé entre les deux objets flottants ((i,j) où i+j=N). Dès lors, bien que rarement observées, des divisions du banc peuvent durer aussi longtemps que des situations où tout le groupe est réuni sous un seul objet à la condition qu’aucun individu ne se trouve en-dehors des objets.

6.4 Discussion

L’influence de l’objet flottant sur la dynamique du banc s’observe à plusieurs ni-veaux. L’effet d’attraction de l’objet flottant se remarque à la simple observation de la distribution spatiale des individus. Dans un dispositif expérimental, on observe principalement deux endroits très fréquentés par les poissons : l’objet flottant et le

bord du bassin. Ce constat est aussi établi par Séguret et al. 2016 [Séguret et al., 2016] dans le cadre d’une étude comparative entre deux souches de poisson-zèbre. Les auteurs observent une différence entre l’attractivité des objets flottants et celle du bord du bassin en fonction de la souche expérimentée. De la même manière, pour les différentes souches utilisées dans nos expériences, nous notons une attrac-tion du bord du bassin plus ou moins forte en foncattrac-tion de la souche. Cependant, les deux souches utilisées ici présentent, en l’absence d’objet flottant, la même dy-namique d’alternance entre l’état dydy-namique et statique (même durées moyennes des états). D’autre part, nous constatons que les individus adoptent presque exclu-sivement l’état statique sous les objets flottants. Ce résultat montre l’attractivité de l’objet flottant et corrobore les différentes observations et certaines hypothèses d’association des poissons aux objets [Allouche, 2002].

Bien que, sans objet flottant, les poissons ont également tendance à alterner entre un état statique et un état dynamique, la présence des objets flottants a pour effet d’augmenter la part de l’état statique dans cette dynamique. Nous n’observons pas uniquement une fraction supplémentaire d’états statiques effectués sous l’objet qui s’ajoute à la dynamique mais également une délocalisation des états statiques qui, si les objets n’étaient pas présents, s’effectueraient le long du bord du bassin. La présence des objets flottants n’induit donc pas un simple ajout des effets des objets mais modifie la dynamique globale.

L’attractivité des objets flottants a pour effet d’arrêter les individus durant leur déplacement. Cela est visible pour toutes les tailles de population et est conséquent en présence de deux objets flottants. Cette différence entre conditions peut provenir de la courte distance de l’objet par rapport au bord du bassin fixée pour les expé-riences avec deux objets flottants. La combinaison de l’attractivité de l’objet et du bord peut apporter à l’objet un intérêt supplémentaire considérable qui inciterait le banc à presque systématiquement s’arrêter.

Pour des petites et moyennes populations (moins de 10 individus), la durée de l’état statique ne change pas en présence ou absence d’un objet flottant et, lorsqu’il est présent, environ 1/3 des états statiques s’effectue sous l’objet. Celui-ci a donc essentiellement un effet d’arrêt du déplacement du groupe mais pas d’effet sur la durée de vie de l’état statique.

Pour des grandes populations (plus de 10 individus), l’influence de l’objet est d’autant plus conséquente que le nombre d’individus est élevé. D’une part, la fraction d’états statiques effectués sous l’objet flottant augmente jusqu’à atteindre 2/3 des états statiques pour 25 individus. D’autre part, la durée des états statiques est deux fois plus longue sous les objets flottants qu’en-dehors. Pour ces tailles de population, l’objet flottant arrête non seulement le banc mais augmente également fortement la durée de l’état statique.

En présence de deux objets flottants, presque la totalité des états statiques s’ef-fectue sous les objets flottants et les individus alternent entre les deux. Très peu de divisions du banc sous les deux objets flottants sont observées. Cela démontre la forte cohésion du banc qui, même en présence de deux ressources, ne se divise pas. Néanmoins, les rares événements de division exacte du banc sous les deux objets (au-cun individu ne se trouvant à l’extérieur) durent relativement longtemps. La forte cohésion du groupe induit une occurrence très faible de ces événements mais, lorsque ces événements surviennent, ils durent aussi longtemps qu’une agrégation de tout le groupe sous un seul des objets. Néanmoins, cette observation est conditionnée par le fait qu’aucun poisson ne se trouve à l’extérieur des objets flottants. Un individu à proximité d’un objet flottant rejoint rapidement les autres ou inversement peut inciter les autres individus à le rejoindre.

La présence de deux objets flottants diminue fortement la durée de l’état statique pour les grandes populations (25 individus). La durée moyenne de l’état statique est réduite de plus de moitié par rapport à la durée moyenne sans objet flottant. Cette accélération de la dynamique est remarquable et peut s’expliquer par une stratégie d’alternance entre les différents points d’intérêt de l’environnement du banc. Si les individus sont confrontés à un point d’intérêt unique dans leur environnement, ils auront tendance à rester plus longtemps sous celui-ci. Tandis que, si plusieurs points d’intérêt composent leur environnement, ils auront tendance à plus rapidement le quitter pour en visiter un autre possiblement plus avantageux. Également, dans un environnement présentant beaucoup d’objets flottants, le fait de régulièrement passer d’un objet à l’autre permet d’explorer une grande partie de l’environnement tout en bénéficiant des avantages que confèrent les objets flottants aux poissons. Le poisson-zèbre vivant principalement dans des milieux structurés [Spence et al., 2006], des stratégies de ce type attribueraient aux individus un avantage certain. Une autre hypothèse serait liée à un effet d’encombrement. Les individus étant trop nombreux sous l’objet, ils partiraient plus rapidement vers le second. Comme la cohésion du groupe est importante, tous les individus suivent l’initiateur d’un départ.

De manière générale, les objets flottants incitent les poissons à adopter un état statique et les temps de résidence sous l’objet augmentent en fonction de la popu-lation. Cette observation indique à nouveau une inertie plus grande des bancs de grande taille qui présentent une probabilité plus faible de passer d’un état statique vers un état dynamique (cela fut également noté dans l’analyse des initiations man-quées dans la section 4.3 du chapitre 4). Néanmoins, en présence de deux objets flottants, la dynamique est accélérée et les changements d’état sont beaucoup plus fréquents. Ces considérations démontrent une influence prépondérante des objets flottants et de leur nombre sur la dynamique du banc.

Chapitre

7

Discussion

7.1 Résumé des observations principales

Un nombre important d’expériences sur les bancs de poissons a été effectuée dans le cadre de la thèse et permis de mettre en lumière plusieurs caractéristiques des bancs encore peu ou non explorées concernant l’influence du nombre d’individus et des objets flottants sur sa dynamique.

Les techniques d’analyse de vidéo développées ici ont permis une étude du mou-vement du banc sous et autour d’objets flottants (avec une caméra de résolution suffisante). Notre méthode de suivi inclut une détection automatique des individus sous les objets et une reconstruction adéquate des trajectoires durant les événements d’occlusion (superposition de plusieurs individus).

De nombreuses configurations du banc sont décrites dans la littérature [Pitcher, 1983, Pitcher and Wyche, 1983]. Cependant, peu de celles-ci sont considérées dans les travaux portant sur la dynamique du banc [Tunstrøm et al., 2013,Salierno et al., 2008, Miller and Gerlai, 2012]. L’analyse précise des mesures liées au banc (aligne-ment, vitesse... ) présentée ici a conduit à une méthodologie de discrimination des différentes configurations du banc adaptée à une étude de sa dynamique. La distribu-tion de l’alignement du groupe, bien qu’elle présente plusieurs pics, est souvent uti-lisée dans la littérature pour distinguer uniquement deux configurations [Miller and Gerlai, 2012, Jolles et al., 2017]. Une étude approfondie de ces pics et l’observation rigoureuse des vidéos a permis de distinguer de multiples configurations. Certaines de celles-ci ne font l’objet que de peu d’attention dans la littérature. Premièrement, la dispersion éclair, toujours référencée en tant que tactique d’anti-prédation [ Pit-cher and Wyche, 1983, Partridge, 1982], fut discriminée et observée plusieurs fois dans nos expériences (voir figure 4.10b) bien qu’aucun déclencheur apparent n’ait pu être mis en évidence. Cela indique que cette configuration peut apparaître de manière spontanée sans prédateur. Deuxièmement, des initiations manquées sont

très souvent observées (environ dix par minute, voir figure 4.9b). Cette configura-tion transitoire particulière (certains individus se retournent et font face au reste du banc) est très peu référencée dans la littérature [Lecheval et al., 2018] bien qu’elle constitue une part importante de la dynamique (plus de la moitié du temps pour les grandes populations lorsque le banc est en mouvement, voir figure 4.8a).

Les deux configurations du banc les plus observées sont le banc aligné et l’essaim qui constituent généralement les deux principales configurations étudiées ; l’une étant ordonnée et dynamique, et l’autre étant désordonnée et statique [Miller and Gerlai, 2012, Jolles et al., 2017]. Nous avons réparti toutes les configurations discriminées entre deux états distincts : l’état statique et l’état dynamique.

Une alternance entre les deux états a été observée durant nos expériences. Plu-sieurs facteurs ont présenté des influences sur la durée de vie de ces états : le nombre d’individus, le nombre d’objets flottants dans l’environnement et le temps. Les du-rées de vie des états sont d’autant plus longues que le banc est de grande taille et la durée de vie de l’état statique augmente au cours du temps pour toutes les tailles de population. Celle de l’état dynamique, quant à elle, diminue au cours du temps de manière telle que la fréquence de changements d’état reste constante. Également, une diminution de la vitesse du banc durant l’état dynamique a été observée pour toutes les populations.

Sans objet flottant, les individus ont tendance à adopter des zones de référence où ils s’arrêtent préférentiellement. Les individus choisissent une ou deux zones de référence durant un expérience. C’est aussi le cas en présence d’un objet flottant sinon qu’ils ont tendance à s’arrêter sous celui-ci.

La présence d’un objet flottant diminue la durée de l’état dynamique lorsque les poissons passent à proximité et favorise une transition vers l’état statique sous celui-ci. L’objet présente une influence différente sur l’état statique en fonction de la population. Alors que la durée de vie de l’état statique est accrue pour les grandes populations (plus de 10 individus), l’objet ne montre pas cet effet pour les petites populations.

En présence de deux objets flottants, la durée de vie de l’état statique est lar-gement diminuée (pour les grandes populations), indiquant une influence du second objet sur le départ du banc se trouvant sous le premier. Également, des divisions du banc entre les deux objets sont rarement observées mais leurs durées sont aussi longues qu’un arrêt de tout le banc sous un seul objet.

Finalement, durant la plupart des expériences, les bancs nagent dans une di-rection préférentielle (tournent dans le sens horaire ou anti-horaire) bien que de nombreux changements de direction et arrêts des bancs soient observés pour toutes les conditions expérimentales.