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La diversité des lieux est un élément structurant entre Boulal, Tatki et Colonnat. et Colonnat

Troisième partie : Adaptation ou Invention de nouvelles formes professionnelles ?

Chapitre 5: L'évolution des pratiques d'élevage dans le Ferlo

2. La diversité des lieux est un élément structurant entre Boulal, Tatki et Colonnat. et Colonnat

Les trois sites de nos enquêtes sont représentatifs de la diversité du Ferlo, en termes de systèmes d'élevage. Notre travail a porté sur les éleveurs résidents au Ferlo, y compris les transhumants, dont les activités d’élevage sont parfois combinées à d'autres activités locales selon les opportunités géographiques (voir carte n°3, 5, 6). Nous n’avons pas étudié en revanche les migrations temporaires ou permanentes motivées par la diversification des activités à distance. Tatki est représentatif du système d'élevage du nord du Ferlo où l'activité locale est totalement pastorale avec d'importants troupeaux de bovins et de petits ruminants.

Boulal, dans le Ferlo Sud, à proximité des zones de cultures wolofs du Djolof et de grands marchés comme celui de Darha ou de Touba, est caractérisé par un élevage combiné à une petite agriculture de mil/d’arachide et à de petites transhumances. Colonnat est représentatif des systèmes d'élevage de la vallée du Fleuve, combinés à la riziculture et à l'existence de marché du lait.

Le choix de ces trois sites est motivé par leurs localisation contrastées par rapport à des infrastructures structurantes comme la route goudronnée, le marché ou des aménagements hydro-agricoles et à des conditions climatiques particulières. Une hypothèse était que ces effets de sites jouent sur les opportunités des éleveurs à mobiliser les différentes ressources dont dispose chaque territoire. La présentation de ces sites met en relief leurs caractéristiques socio-économiques et les ressources pastorales. Nous montrons aussi comment l'élevage s'y déroule et comment il y côtoie d'autres activités.

Le site de Boulal dans le Ferlo Sud

165 Carte 3 : Localisation de Boula dans le Ferlo

PPZS 2011

La communauté rurale de Boulal dépend de la région administrative de Louga, au centre du Sénégal qui englobe une bonne partie de la zone éco géographique du Ferlo. La communauté rurale compte 268 campements (recensement du PPZS, 2004). La configuration spatiale est typique du Ferlo, avec une petite agglomération regroupant les services administratifs (école, services techniques vétérinaires et forestiers, centre de santé) et des petits commerces, le forage, lieu d’abreuvement des animaux. Les alentours du forage constituent de ce fait un espace de rencontre où se tient le marché hebdomadaire.

Contrairement à la plupart des forages pastoraux, Boulal est relativement désenclavé, il est situé (carte 3) sur la route nationale entre Dahra (20 km à l’est), le plus grand marché de bétail du Sénégal et Touba (à 80 km au sud Ouest), ville sainte de la confrérie mouride, communauté rurale la plus urbanisée et la plus peuplée du pays. La ville de Touba est ce qu’il convient d’appeler un marché ouvert de produits d’élevage (viande et lait), mais est aussi dotée d'une vaste zone rurale de culture d'arachides et de céréales, principalement le mil. Les marabouts50, influents ont des liens avec les éleveurs des alentours de Dahra, à travers le

50 Le marabout est un homme (rarement une femme), se réclamant de la religion musulmane et considéré comme un sage voire un saint qui détient le savoir et la spiritualité lui permettant d’être vénéré. Au Sénégal, il existe des confréries religieuses dont les principaux guides ont laissé l’héritage à leur descendance, et qui fait que le statut de marabout est accordé aujourd’hui à tous les hommes descendants de ses familles religieuses. Peut également être appelé marabout toute personne (homme) ayant acquis des connaissances religieuse et mystiques sans pour autant être descendant de khalifes des principales confréries. Les marabouts de Touba sont les descendants de Cheikh Amadou Bamba, fondateur du mouridisme, l’une des quatre confréries représentées au Sénégal. Ils

Boulal

166 confiage de bétail, consistant à faire garder du bétail à un éleveur dans le cadre d'un contrat souvent oral, ou à travers des rapports commerciaux réguliers. Les fêtes religieuses comme le Magal51 sont des opportunités certaines pour les éleveurs de Boulal d’échanges commerciaux.

Au cours de cette cérémonie du Magal, les familles de la ville de Touba reçoivent des milliers d'hôtes (pèlerins) et achètent beaucoup d'animaux (bovins, ovins et caprins) pour célébrer la fête. L'une des caractéristiques de cette cérémonie est l'abondance de la nourriture en viande, les familles hôtesses rivalisant entre elles pour incarner celle qui dépense le plus pour le Magal : pour elles c'est une façon de montrer leur attachement au guide religieux et d’accroître leur capital symbolique par la conversion de leur capital économique (Bourdieu, 1980). Certains éleveurs de Boulal préparent le Magal en constituant une offre de bétail à cette occasion. La représentation administrative officielle de Touba, (statutairement une communauté rurale) sous-estime fortement le poids démographique et le rôle économique réels de cette ville en train de devenir un pôle sous-régional.

D’autre part la proximité avec le Centre de Recherche Zootechnique (CRZ) de Dahra, dépendant de l'Institut Sénégalais de Recherche Agricole (ISRA), offre aux éleveurs un accès aux informations sur les programmes de recherche et de développement de l’élevage. Depuis 2007, ce laboratoire abrite le Centre National d’Amélioration Génétique sur des races exotiques d’origine européenne (Holstein) et brésilienne (Nélor). Ce laboratoire fait partie du dispositif de la NISDEL présenté dans le chapitre 3.

bénéficient d’une grande influence et de pouvoir avérés sur leurs fidèles qui leur confèrent une importance économique, sociale et politique incontestée. Touba est administrativement une communauté rurale et est la cité religieuse du Mouridisme. Son extension et son urbanisation lui donnent les caractéristiques d’une ville qui côtoie démographiquement Dakar et constitue un véritable marché de tous les produits alimentaires comme non alimentaires. Sa proximité avec la région du Ferlo polarise des bourgades pastorales autour de son important marché de consommation.

51 La commémoration du départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba est un évènement annuel religieux qui se déroule à Touba, un moment important de prière pour les mourides. A cette occasion des centaines de milliers de personnes venant de tout le Sénégal et de l’étranger se retrouvent à Touba. En 2010, certains avançaient le chiffre de 3 millions de pèlerins.

167 Carte 4 : Matérialisation de la proximité du Centre de Recherche Zootechnique de Dahra par rapport à Boulal

Dans la localité de Boulal, les éleveurs parlent de « élewasse » pour nommer ce centre, déformation de « élevage », qui signifie, pour eux, le lieu de promotion d’un type d’élevage moderne basé sur la stabulation52 et l’intensification de la production. Certains n’ont jamais mis les pieds dans ce centre, d’autres plus curieux s’y intéressent et le visitent à chaque fois

52 La stabulation est une technique qui consiste à garder les animaux dans un enclos. En stabulation libre les animaux ne sont pas attachés mais gardés ensemble en enclos ; en stabulation en stalle chaque animal a sa loge.

168 que l’occasion se présente. L’introduction de la race guzérat53 au Ferlo, zébu de race indienne exportée au Brésil, s’est faite à partir de là, et la forte dynamique de métissage que nous avons observée dans les troupeaux des éleveurs de Boulal est certainement liée à la proximité du centre. Les programmes en cours dans ce centre impliquent des éleveurs de la zone de Dahra, de la même manière que les autres procédures d’insémination et les campagnes de sensibilisation antérieures les ont assez souvent mobilisés. En effet, Dahra est une ville pastorale du Ferlo, ceinturée par un ensemble de communautés rurales où la majorité de la population est éleveur, ce qui en fait une zone d'essai de techniques d'élevage. C’est un carrefour pour le commerce de bétail, ce qui la rend incontournable dans les interventions de développement de l'élevage. Une pratique marchande est apparue à propos de l’insémination de vaches, chez un éleveur wolof à Dahra, qui a investi dans un taureau Nélor. Pour la somme de 30 000 fcfa, une vache peut être « stabulée » chez cet opérateur privé puis fécondée avec l’appui d’un vétérinaire rémunéré par une partie du montant versé par l’éleveur. Certains éleveurs de Boulal affirment être au courant de cette pratique mais attendent de voir des résultats sûrs avant de s’y engager. Ainsi, au moment où l'État peine à imposer l'amélioration génétique, les éleveurs se laissent tenter par cette pratique lorsqu’elle est initiée par quelqu’un qui leur est proche. Les éleveurs ne sont donc pas rétifs à l'amélioration génétique de la race zébu, mais à l'insémination artificielle telle que proposée par l'État, qui cible parfois des races laitières qui n'intéressent pas les éleveurs comme la Holstein. Cet acteur privé propose, lui des zébus exotiques, races à viande, par une monte naturelle.

A coté des avantages liés à la position géographique de Boulal, l’avancée des terres cultivées est une contrainte à l’élevage dans la région, qui pèse sur tous les éleveurs de la région sud du Ferlo, même si les ressources et les stratégies développées diffèrent d’une exploitation à une autre. La mobilité du gros bétail est limitée autour des forages, avec des conflits entre éleveurs et agriculteurs qui s’accentuent (Touré, 1997). La transhumance de polinaaji54 est systématique. « On ne peut pas ne pas le faire, les vaches s’en vont toutes seules, on a l’impression qu’elles arrivent à sentir l’odeur de l’herbe fraiche à des centaines de kilomètres, dès qu’il commence à pleuvoir ailleurs elles partent d’elles-mêmes » (éleveur 3 Boulal). Ce déplacement posse une partie de la famille, en général les jeunes encore sous la tutelle de leurs parents, à partir avec les bovins. Il débute le plus souvent au mois de juin, les

53 le nom proviendrait de Goudjerate une région située à la frontière de l’Inde et du Pakistan.

54 Petite transhumance des bovins signifiant « aller à la rencontre des pluies » qui a lieu en fin de saison sèche, lorsque les premières pluies commencent à tomber dans les régions plus méridionales.

169 distances parcourues pouvant être relativement grandes, jusqu'à 100 km, en fonction de la progression de l’hivernage, car celui-ci arrive avec le front intertropical55 du sud vers le nord du Sénégal.

Le site de Tatki (Ferlo Nord)