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Deuxième partie : Le développement de l’élevage en question

II. Les politiques sectorielles d’élevage

1. La consolidation des acquis coloniaux

De 1960 à 1980, les politiques agricoles du gouvernement du Sénégal mettent en place de nouvelles initiatives dans la continuité des interventions coloniales de développement. Durant cette période, ces politiques ont consolidé les acquis de la période coloniale à travers un engagement permanent de l’État dans l’appui au monde rural.

En 1962, la Société d’Exploitation des Ressources Animales du Sénégal (SERAS) est créée.

En 1964 est promulguée la loi 64-46 relative à la création du Domaine national, régissant

104 l’appropriation par les agriculteurs des terres agricoles. Un ensemble de dispositions octroie la terre à toute personne pouvant la mettre en valeur, sachant que seule la culture est considérée comme forme de mise en valeur. Les éleveurs qui ne marquent pas leur territoire par des haies se voient « expropriés » par des agriculteurs à la houe et la hilaire36. Cette loi définit des délimitations territoriales administratives (terroir, communauté rurale) qui sont vides de sens pour les éleveurs car l’espace pastoral ne se retrouve pas dans le maillage de communautés rurales. L’espace pastoral opératoire (des éleveurs eux-mêmes) distingue habituellement des transects de parcours, de faible emprise et des points aux enjeux plus concentrés : points d’eau, voire bourgoutière37 (Thébaud, 2005). Au Ferlo, la notion de houroum antérieure aux aménagements hydraulique identifiait des zones de droits prioritaires (Pouillon, 1990). Les pasteurs perçoivent aussi l’espace comme une étendue sur laquelle ils peuvent conduire leurs troupeaux. Il s'agit, pour eux, de se déplacer avec les animaux pour trouver les ressources fourragères là où elles sont. Cette loi et les programmes de gestion des terroirs concomitants militent donc en faveur de l’agriculture et comportent un risque d’exclusion de l’élevage transhumant (Marty, 1993).

Les années 70 sont marquées par la création des sociétés publiques de développement, dont la mission était d'exécuter les projets de développement agricole. Cette création répond à une logique de stratification zonale, une dizaine de sociétés devant s’implanter dans des régions écologiquement homogènes. Deux sociétés de développement étaient expressément consacrées à l’élevage : la Société de Développement de l’Élevage dans la Zone Sylvo-Pastorale (SODESP) et le Projet de Développement de l’Élevage au Sénégal Oriental (PDESO). Ce furent les premières opérations d’envergure entreprises pour l’élevage dans le cadre d’une politique de « promotion de l’éleveur » qui consistait à moderniser le milieu pastoral par la fixation des éleveurs transhumants, le déstockage des animaux, la spécialisation des productions par zone, etc.

L’expérience de la SODESP mérite d’être détaillée car ce programme était le plus important pour l'élevage extensif et il continue encore aujourd’hui de marquer les esprits des acteurs concernés par les questions d’élevage. Les objectifs visés étaient d’organiser une filière performante basée sur une stratification régionale de la production de la viande. Le Ferlo avait vocation à devenir une zone de « naissage » : les veaux achetés par la société aux éleveurs du Ferlo devaient être élevés dans le ranch de Doli, au sud de la zone pastorale, spécialement conçu à ces fins. La SODESP passa des séries de contrats avec les éleveurs résidents près des

36Matériel rudimentaire de travail de la terre pour la culture

37 Plaine inondable par les fleuves sahéliens comme le Sénégal ou le Niger

105 forages pastoraux. Un premier type de contrat visait les éleveurs naisseurs qui payaient le service d’assistance technique fourni par la société correspondant à un suivi vétérinaire rapproché des animaux(contrat d’assistance pour le développement de l’élevage naisseur : CADEN). Un autre type de contrat liait la SODESP aux éleveurs ré-éleveurs, chez qui étaient placés les animaux issus des naisseurs (un CADER : contrat d’assistance pour le développement du ré-élevage). Ces derniers s’engageaient à vendre à la SODESP des animaux pesant entre 350 et 400 kg, qui étaient ensuite acheminés à la ferme de Keur Massar pour finition, avant d’être livrés à la boucherie.

L’un des objectifs de la SODESP était d’organiser une filière moderne de viande. Dans les zones de naissage, l’idéal était de transformer la structure des troupeaux traditionnels en structure de troupeaux de type naisseur. Par exemple, les animaux improductifs devraient être réformés et envoyés dans les zones de ré-élevages (Doli) puis acheminés trois ans plus tard à Keur Massar dans la banlieue de Dakar pour y être engraissés (NDione, 1993).

Des études ont tenté de mesurer l’impact des actions de la SODESP (Ndione, ibid ; Ly, 1989).

Le constat est que cette expérience n’a pas atteint ses objectifs d'inscrire les éleveurs du Ferlo dans une logique spécialisée de production de viande à travers une filière modernisée.

Cependant la SODESP a été créée à un moment où les éleveurs, en proie à une rude sécheresse, n’avaient d’autre choix que d’accepter l’appui d’une société qui leur assurait une certaine survie par l’octroi d’aliments de bétail à crédit. Elle a contribué à la résistance des systèmes traditionnels aux perturbations écologiques et à la protection des éleveurs. Entre 1975 et 1981, le nombre d’éleveurs encadrés est passé de 17 à 793 (Ly, ibid.). Cette période faste est vite passée quand « les éleveurs se sont rendus compte que leurs troupeaux étaient écrémés des meilleurs taurillons qu’ils avaient élevés dans la phase la plus délicate pour ensuite les confier à la société pour des kilos faciles et plus rémunérateurs pour elle » (Dia, 2005 : 30).

Pour Ly (1989), diverses raisons expliquent les résultats mitigés. Le choix de satisfaire les demandes urbaines en produits d’élevage par une augmentation de la production commercialisée exigeait une mutation des producteurs traditionnels en « commercial ranchers ». Ce choix devrait impérativement passer par des transferts de technologies transformant les élevages traditionnels de subsistance en élevages modernes et une transformation des éleveurs eux-mêmes. Ces techniques ont concerné l’exploitation des ressources naturelles par des méthodes dites de gestion rationnelle. Ainsi, « il y eut des schémas d’intervention dirigistes faisant abstraction des contraintes et processus de prises de

106 décision des producteurs dits traditionnels. (…) Des erreurs de conception limitèrent les interventions aux animaux et à l’environnement sans y inclure les populations d’éleveurs » (Ly, 1989). Les stratégies de ces éleveurs face aux subventions et aux incitations à commercialiser allaient à l’encontre des objectifs visés par « ces interventions qui étaient jugées aptes à induire des transformations sociales et un nouveau comportement économique » (Ly, ibid.). Ainsi, les réactions des éleveurs qui manifestent un désintérêt vis-à-vis de cette intervention surprennent les intervenants et empêchent d’atteindre le succès escompté. « L’ingénierie sociale » alors mise en œuvre, qui consiste en la réalisation d’études censées comprendre les réalités pastorales pour pouvoir faire passer des innovations, n’a pu jouer le rôle espéré. Ly explique les échecs par une mauvaise intégration des interactions agriculture – élevage, qui résultait d’un choix unilatéral centré sur une production maximale de bétail et de viande, au détriment de résultats plus globaux. La dernière raison évoquée par l’auteur est le peu d’intérêt porté au développement de l’élevage des petits ruminants, malgré les rotations rapides que ce type d'élevage permet. En effet, les ovins et caprins sont des espèces à cycle court, donc se reproduisent plus rapidement et leur commercialisation plus simple facilite la récupération du capital investi.

La crise climatique des années 70 instaure une situation alimentaire catastrophique dans le monde paysan, la sécheresse de 70-73 décimant des troupeaux entiers. La baisse continue des prix des matières premières et la crise de l’endettement international justifient pour les programmes d’Ajustement Structurel une politique de redressement des indicateurs macro économiques à partir du début des années 80.

Des opérations de sauvegarde du bétail (OSB) sont mises en œuvre pour parer aux conséquences de la sécheresse à travers la fourniture aux éleveurs d’aliments de bétail en plus de services sanitaires. Elles durent jusqu’au milieu des années 80.