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 Discussion

5.1 
 Discussion
des
résultats

Cette étude s’est intéressée aux relations entre les déficits d’inhibition, les souvenirs autobiographiques involontaires, et les symptômes de reviviscences de l’ESPT.

Les analyses corrélationnelles ont montré un lien négatif entre la fréquence des souvenirs involontaires et l’indice d’erreur dans une tâche de résistance à l’interférence proactive. De plus, des liens forts ont été trouvés entre la fréquence et l’intensité des souvenirs involontaires et les symptômes de l’ESPT, dont les symptômes de reviviscences. Ces derniers n’ont pas montré de corrélation avec les indices de contrôle cognitif.

Afin de clarifier les relations entre ces différentes variables, des régressions hiérarchiques multiples ont été réalisées en fonction de trois hypothèses.

La première hypothèse stipule que de faibles capacités d’inhibition, telles que l’inhibition de réponse dominante ou la capacité à résister à l’interférence proactive, augmentent la fréquence des souvenirs autobiographiques involontaires dans une population tout venant. Les résultats obtenus suite à une régression hiérarchique multiple indiquent que la fréquence du souvenir involontaire est facilitée lorsque l’indice d’erreur à la RNT est faible, ce qui est contraire à notre hypothèse et aux propositions généralement rencontrées dans la littérature (Verwoerd, de Jong & Wessel, 2008 ; Verwoerd & Wessel, 2006). Le fait d’être une femme, d’avoir effectué peu d’années d’études suite à la scolarité obligatoire, et de vivre des souvenirs involontaires négatifs augmente les chances que ceux-ci se déclenchent fréquemment.

Plusieurs interprétations concernant ces résultats sont envisageables. Premièrement, le fait que peu d’erreurs à la RNT entraînent plus de souvenirs involontaires peut être dû à une question de contrôle et de connaissance de soi-même. En effet, il est envisageable que les individus qui ont tendance à analyser fortement leurs réactions internes se souviennent avec plus de précision de la nature du souvenir involontaire vécu au cours de la semaine dernière, rapporté dans l’IMQ. Ces derniers pourraient être dotés de capacités d’auto-centration sur soi-même importantes, et cette habileté à porter attention sélectivement sur certains éléments, tout en inhibant ceux qui ne sont pas pertinents pour la tâche en cours pourrait se traduire par de bonnes performances dans la tâche informatisée mesurant la capacité de résistance à l’interférence proactive. C’est pourquoi peu d’erreurs effectués à la RNT prédiraient une plus grande fréquence de souvenirs involontaires rapportés.

Une autre interprétation possible est associée à la théorie des processus ironiques du contrôle mental de Wegner (1994). Selon cette théorie, le fait d’engager beaucoup de ressources dans le but d’inhiber une information en mémoire à long terme serait susceptible de subir un « effet rebond » et d’apparaître contre son gré en conscience. Si nous appliquons cette théorie aux résultats de notre étude, il est possible que les individus ayant bien développé la capacité générale à inhiber une information mais subissant néanmoins « l’effet rebond » de celle-ci soit traduite dans nos régressions par le taux bas d’erreurs en RNT, facilitant le déclenchement des souvenirs involontaires. Toutefois, il est nécessaire de rester prudent envers cette interprétation, étant donné que selon Wegner (1994), cet « effet rebond » se rencontrerait plus spécifiquement dans des cas de souvenirs intrusifs non désirés, plutôt que dans le cadre de souvenirs autobiographiques involontaires non particulièrement préoccupants. La proposition

d’un continuum de stress entre les souvenirs involontaires quotidiens et les souvenirs intrusifs suite à un événement stressant permettrait peut-être de rendre plus acceptable l’interprétation de nos résultats selon la théorie de Wegner (1994) (Berntsen, 1996 ; Horowitz, 1975).

Une dernière interprétation envisageable fait référence à une étude qui a rapporté que le fait de jouer au jeu « Tetris » après le visionnement d’un film à caractère traumatique réduirait la fréquence de souvenirs intrusifs mesurés une semaine après (Holmes, James, Coode-Bate &

Deeprose, 2009). En effet, cette tâche qui implique des traitements spatio-visuels, entrerait en compétition avec les images perceptives du traumatisme contenant des éléments spatio-visuels. Cette proposition est en lien avec les travaux de Ehlers et Clark (2000) et Brewin et al.

(1996), qui supposent un traitement des informations traumatisantes sous forme perceptive et sensorielle, plutôt qu’une élaboration contextuelle de celles-ci. Dans ce cadre, nous pouvons suggérer que cet effet s’est rencontré dans notre étude, un fort investissement cognitif dans les tâches informatisées à contenu spatio-visuel ayant influencé la fréquence des souvenirs involontaires rapportés par la suite.

Les résultats obtenus dans le cadre de cette première hypothèse ont également révélé les influences significatives de certaines variables contrôles sur la fréquence des souvenirs involontaires. Ainsi, le risque de vivre un plus grand nombre de souvenirs involontaires est plus élevé pour les femmes. Ces résultats convergent avec des études qui ont proposé que les femmes aient plus facilement accès aux événements émotionnels, et aient plus de facilité à décrire verbalement les événements personnellement vécus (Bauer et al., 2003, Rubin &

Bernsten, 2009). Le nombre d’années d’études suite à la scolarité obligatoire s’est révélé être protecteur dans la tendance à vivre des souvenirs involontaires. Selon Jurden (1995), il est probable que le nombre d’année d’études reflète une mesure de la mémoire de travail. Par conséquent, nous pouvons imaginer retrouver les mêmes résultats que Brewin et Beatson (2002) et Brewin et Smart (2005), qui exposent que de fortes capacités de mémoire de travail facilitent la suppression des pensées intrusives. Finalement, nos résultats indiquent que la valence du souvenir involontaire sous forme positive est susceptible d’engendrer plus de souvenirs involontaires. Ce résultat est en lien avec la littérature actuelle, qui rapporte une occurrence de souvenirs involontaires légèrement plus grande pour les souvenirs à caractère positif, à l’image de ce qui est également observé avec les souvenirs autobiographiques en général (Bywaters, et al., 2004 ; Bernsten, 1996 ; Rubin & Berntsen, 2009). Cette observation soutient la vision d’un système mnésique unique pour les souvenirs autobiographiques involontaires et volontaires proposé par Rubin et al., (2008), avec des mécanismes communs

entre ces deux types de récupération, tels que par exemple une tendance légère à rapporter plus fréquemment des souvenirs positifs.

En résumé, nous n’avons pas obtenu les résultats escomptés permettant de confirmer l’hypothèse selon laquelle de faibles capacités d’inhibition engendrent une plus grande fréquence de souvenirs autobiographiques involontaires. Ni l’inhibition de réponse dominante mesurée par la SART, ni la distractibilité évaluée par le questionnaire CFQ ne sont en lien avec la fréquence des souvenirs involontaires. Par ailleurs, seul l’indice d’erreur à la RNT prédit significativement la variance de la fréquence des souvenirs involontaires. Cependant, ce lien est négatif, ce qui implique que de faibles capacités à résister à une interférence proactive engendre moins de souvenirs involontaires, ce qui est contraire à notre hypothèse.

La deuxième hypothèse de cette étude suggère qu’une fréquence élevée de souvenirs autobiographiques involontaires négatifs contribuent à une sévérité élevée de symptômes de reviviscences d’ESPT, suite à un événement stressant. Notre première analyse de régression rapporte que ni la fréquence, ni l’intensité et ni la valence des souvenirs involontaires rapportés ne permettent de prédire significativement la sévérité des symptômes de reviviscences. De plus, nous avons constaté, comme le signalent également les corrélations, que les symptômes d’ESPT sont fortement liés aux indices relatifs à la symptomatologie dépressive et anxieuse. Selon nous, ce résultat est normal, en lien avec la comorbidité fréquemment rencontrée entre ces différents symptômes (David et al., 2008 ; Eysenck et al., 2006). C’est pourquoi une deuxième analyse de régression a été effectuée, mais cette fois-ci sans les indices de la BDI et de la STAIT comme variables contrôle. Les résultats obtenus dans cette deuxième régression hiérarchique multiple indiquent qu’une fréquence élevée de souvenirs involontaires ainsi qu’une valence négative de ceux-ci engendrent plus de symptômes de reviviscences, suite à un événement stressant. Ces résultats sont en accord avec notre hypothèse, stipulant que la tendance à vivre fréquemment des souvenirs involontaires négatifs implique une plus grande sévérité des symptômes de reviviscences. Tout en gardant à l’esprit que ces deux variables relatives au souvenir involontaire ne prédisent pas significativement la sévérité des symptômes de reviviscences lorsque les indices de dépression et d’anxiété sont contrôlés, ces observations donnent néanmoins lieu à un certain nombre de réflexions au sujet d’éventuels mécanismes communs sous-jacents à ces deux types d’intrusions. Certains auteurs ont proposé que les souvenirs autobiographiques involontaires et les souvenirs intrusifs, souvent appelés « flash-back », partagent les mêmes caractéristiques de récupération, à savoir une récupération sous forme incontrôlée, associative

suite à un indice (externe ou interne à la personne), et qui surprendrait la personne, induisant ainsi une réaction émotionnelle (Rubin et al., 2008). Bien entendu, cette réponse émotionnelle dépendrait du stress occasionné par l’événement rappelé (Horowitz, 1975). Cette perspective met en lumière l’idée d’un continuum de stress provoqué par l’intrusion mnésique, où les souvenirs autobiographiques involontaires quotidiens non préoccupants se trouveraient à un extrême, et les souvenirs intrusifs suite à un traumatisme amenant à un stress pathologique seraient à l’autre extrême. Nous pouvons alors imaginer qu’un individu qui vit souvent des souvenirs involontaires quotidiens négatifs soit vulnérable et susceptible, suite à un événement très stressant, de développer des symptômes de reviviscences. Dans ce cadre, des processus sous-jacents communs amenant au déclenchement d’intrusions mnésiques peuvent être envisagés. Nous avons déjà étudié la question du lien entre les souvenirs involontaires et les déficits d’inhibition (1ère hypothèse). Or, il se trouve que plusieurs études ont également rencontré un lien entre les souvenirs intrusifs, rencontrés suite à un événement traumatisant, et la capacité d’inhibition, cette dernière pouvant donc représenter un bon candidat de mécanisme commun sous-jacents lorsque l’on envisage les intrusions mnésiques sur un continuum de stress (Conway & Pleydell-Pearce, 2000 ; Verweord et al., 2008 ; Wessel et al., 2008).

En résumé, les résultats obtenus dans le cadre de notre deuxième hypothèse ont révélé que les symptômes de reviviscences de l’ESPT sont prédits par la fréquence et la valence négative du souvenir autobiographique rapporté, mais cette influence s’estompe lorsque les indices relatifs à la dépression et à l’anxiété sont contrôlés.

La troisième hypothèse de notre étude stipule que les difficultés d’inhibition, et plus spécifiquement de la capacité à résister à une interférence proactive, peuvent directement engendrer une plus grande sévérité des symptômes de reviviscences (Verwoerd et al., 2008 ; Wessel et al., 2008). Inversement, les symptômes de reviviscences, épuisant les capacités d’inhibition, pourraient engendrer une diminution des capacités de contrôle cognitif (Conway

& Pleydell-Pearce, 2000).

L’analyse des résultats obtenus par nos régressions ne permet pas de confirmer l’influence significative des capacités d’inhibition de réponse dominante, de la résistance à l’interférence proactive et de la distractibilité, sur la sévérité des symptômes de reviviscences. Le seul indice qui semble prédire significativement les symptômes de reviviscences s’avère être la variable contrôle de la dépression. Cette observation est en accord avec la littérature, laquelle indique que de faibles capacités d’inhibition ainsi qu’une fréquence élevée d’intrusions cognitives

sont tous les deux associés à de hauts niveaux de dépression (Ellis, 1990, 1991 ; Verwoerd et al., 2008).

Concernant le lien inverse, à savoir l’éventuelle influence directe des symptômes de reviviscences sur les capacités d’inhibition, nous n’obtenons pas de résultats significatifs. Le seul modèle de régression significatif que nous ayons trouvé a lieu lorsque l’indice de distractibilité est considéré comme variable dépendante. Cependant, aucune des variables d’intérêt à l’intérieur de celui-ci n’est significative. En conséquence, hormis une influence très légère de la variable contrôle, la STAIT, sur la distractibilité, nous n’avons pas trouvé de résultats positifs allant dans le sens de notre hypothèse, proposant une influence directe des symptômes de l’ESPT sur les indices de contrôle cognitif.

Le manque de résultats significatifs obtenus dans le contexte de notre 3ème hypothèse surprend en raison des nombreuses études indiquant un lien entre les capacités d’inhibition et les souvenirs intrusifs (Conway & Pleydell-Pearce, 2000 ; Verwoerd & Wessel, 2007 ; Verwoerd et al., 2008). Peut-être que notre ces résultats peu concluants proviennent de certaines limites dans notre étude.

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