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Discussion de l’étude exploratoire

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 183-188)

fétichisme dans le contexte de la consommation contemporaine

Section 3. Discussion de l’étude exploratoire

Dans cette section, nous discuterons les éléments empiriques que nous avons fait émerger à travers l’étude qualitative exploratoire que nous avons menée. Nous mettrons en perspective les résultats de l’étude au regard des littératures sur la signification des possessions, la pensée magique et le fétichisme.

3.1. Le fétichisme comme processus dynamique de cultivation des significations

Les phénomènes fétichistes décrits dans le cadre de cette étude apparaissent tous comme des processus relationnels d’investissement de significations dans des possessions. Nous avons observé des relations profondes aux objets se construisant avec le temps et présentant en toile de fond des objectifs liés aux aspirations des consommateurs, dans l’acception de Czikszentmihalyi et Rochberg-Halton (1981) : nouer des liens familiaux solides, améliorer ses performances sportives, artistiques ou intellectuelles, protéger ses proches, etc. Les fétiches sont des possessions

« cultivées » où des significations sont investies en vue de soutenir les aspirations de leur possesseur. Ce phénomène de cultivation des significations magiques et du processus fétichiste qui en découle s’observe dans des cas variés, pour différents types d’objets et de profils de consommateurs. La dimension pathologique du fétichisme (i.e. un rapport de dépendance à l’objet ; Belk, 1991, 1995, 2001 ; Belk, Wallendorf et Heisley, 1988) ne se retrouve que très rarement dans nos données, et ce, à un degré relativement faible. De plus, selon nos données, la cultivation des significations magiques ayant trait au fétichisme ne semble pas nécessairement dépendre d’un processus de contagion ou de magie imitative comme l’étude de Fernandez et Lastovicka (2011) semble le suggérer. Notre étude met plutôt en évidence la créativité des consommateurs, capables de transformer n’importe quel type d’objet en fétiche, ainsi que le caractère fluide et volatile du fétichisme.

Nos données soulignent bien le caractère dynamique des significations attribuées aux possessions fétiches. Dans les cas présentés dans notre étude, les significations magiques attribuées aux possessions relèvent soit d’une expérience personnelle marquante du répondant avec un objet (ce qui correspond à une signification privée ; Richins, 1994a), soit d’un processus de socialisation (au

sein de la famille tout particulièrement ; c’est-à-dire une signification publique ; Richins, 1994a).

Que les sources initiales des significations soient privées ou publiques, le sens attribué au fétiche constitue une signification privée dans la mesure où il n’existe que pour son possesseur et n’est pas partagé avec les membres de ses groupes d’appartenance. On peut supputer néanmoins que le sens attribué à un objet familial important (tel que la croix orthodoxe d’Elisabeth, transmise de génération en génération) puisse être partagé par toute la lignée de ses possesseurs et présenter une dimension publique puissante. Cependant, la malléabilité des significations implique une réappropriation d’ordre privé du sens de la part du possesseur individuel du fétiche (McCracken, 1986). Dans certains cas que nous avons étudiés, le sens est généré de manière idiosyncrasique par le biais de l’expérience individuelle et demeure privé (c’est le cas de la plupart des fétiches, dont ceux de Kelly, d’Adèle, d’Anne ou de Philippe par exemple). Dans les cas des fétiches dont le sens découle d’une socialisation (familiale notamment), les significations montrent une dynamique différente : initialement publiques, elles sont assimilées par l’individu et se constituent en significations privées. Bien que nos données ne l’indiquent pas, il est envisageable que dans le contexte d’un héritage familial ces significations privées reprennent une dimension publique par socialisation quand l’objet est transmis une nouvelle fois à un descendant.

Les significations montrent également un caractère dynamique dans la mesure où elles apparaissent à un moment donné dans l’esprit du possesseur et qu’elles y évoluent jusqu’à éventuellement disparaître. Conformément aux observations de la proto-ethnologie, l’attention de l’individu se dirige vers un objet par « caprice » (par l’expérience qu’il en fait, la fascination pour sa forme particulière par exemple ; De Brosses, 1760) et l’instrumentalise dans le but d’acquérir un pouvoir jusqu’à ce que l’objet ne soit plus considéré comme efficace. Cette caractéristique du fétiche contraste avec celles des porte-bonheur qui sont généralement des objets socialement déterminés (e.g. patte de lapin, trèfle à 4 feuilles, etc.) et censés revêtir une efficacité constante, quel que soit le contexte (e.g. Delacroix et Guillard, 2012). Le cas de Kelly est révélateur de ce phénomène : lors d’une expérience victorieuse dans un tournoi de golf, elle a associé son t-shirt à sa capacité à se dépasser et à gagner, pour finalement vivre d’autres expériences qui l’ont convaincue d’abandonner son fétiche.

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3.2. Le fétichisme comme processus cognitif multi-dimensionnel

Les données que nous avons collectées et analysées mettent en lumière plusieurs étapes du processus cognitif constitutif du fétichisme (Ellen, 1988). Ellen propose que le fétichisme consiste en un processus cognitif séquentiel en quatre étapes : la concrétisation, la confusion du signifiant et du signifié, l’animation et l’ambiguïté du contrôle. Il pose que ces étapes peuvent se chevaucher mais relèvent d’une séquence logique. Selon nos données, les quatre étapes du processus cognitif proposé par Ellen présentent une dynamique bien plus complexe. Nous préférons plutôt parler de dimensions du fétichisme que d’étapes, car l’étude ne montre pas que le processus de développement du fétichisme soit véritablement séquentiel. Comme le suggère Ellen (1988), l’animation et l’ambiguïté du contrôle pourraient néanmoins constituer un second volet du processus dans la mesure où ces dimensions n’apparaissent jamais seules, contrairement à la concrétisation (la concrétisation et la confusion peuvent apparaître simultanément selon nos données). Si le processus cognitif du fétichisme montre une sorte de « logique » comme le propose Ellen, nos données montrent que le processus ne passe pas systématiquement par toutes les étapes, une à une. Par exemple, la dimension de l’animation est particulièrement rare, elle n’apparaît qu’une seule fois dans les processus fétichistes que nous avons étudiés. Les quatre dimensions cognitives du fétichisme suggérées par Ellen (1988) apparaissent donc dans nos données de manière plus ou moins saillante et s’avèrent pertinentes dans le cadre de l’étude de la consommation contemporaine.

Nos résultats s’inscrivent dans l’approche de Silva (2013) selon laquelle le processus cognitif du fétichisme apparaît comme plus complexe et moins linéaire que celui proposé par Ellen (1988).

Néanmoins, l’approche de Silva met l’accent sur l’animation des entités réifiées comme composante essentielle du fétichisme. Cet aspect du fétichisme n’apparaît pas clairement dans nos données. Il est possible que ce contraste soit en partie lié aux différences culturelles existant entre les populations étudiées. Silva a en effet entrepris son terrain en Zambie où les croyances surnaturelles sont encore prégnantes et socialement admises, en particulier en ce qui concerne le culte des ancêtres (Silva, 2013). Dans le contexte de la société de consommation contemporaine, bien que les croyances magiques persistent, elles ne sont pas nécessairement assumées et déclarées

(Campbell, 1996). Nous pouvons supposer que ce facteur important a induit la rareté des phénomènes liés à l’animation des objets à travers nos données.

3.3. L’ancrage du fétichisme dans les contextes aspirationnels du consommateur

Selon nos données, les significations privées attachées aux fétiches se déploient uniquement dans des contextes bien définis, liés aux aspirations de leurs possesseurs. Cela signifie que le pouvoir d’un fétiche ne pourra émerger que dans un contexte précis uniquement, c’est-à-dire que ses significations magiques sont circonscrites à un certain périmètre au-delà duquel elles s’effacent. La volatilité des significations magiques du fétiche contraste avec les relations profondes et durables qui caractérisent l’objet sacré (e.g. Belk, Wallendorf et Sherry, 1989) . 23

Selon les données de notre étude, cette volatilité des significations magiques semble également s’observer dans le cas des attentes transformationnelles. L’étude séminale de Richins (2011) ne traite pas la persistance de ce type de croyances magiques dans la mesure où elle est focalisée sur la perception du produit précédant l’acquisition. Richins conçoit les attentes transformationnelles comme relevant d’une aspiration à la transformation (e.g. perdre du poids, s’embellir par le maquillage, etc.) et à une vie meilleure, c’est-à-dire d’un contexte aspirationnel personnel. Richins suggère néanmoins dans sa recherche que les attentes puissent toujours exister après l’acte d’achat, une fois le produit éprouvé. Notre étude montre que ces attentes s’intègrent et évoluent bien dans un cadre aspirationnel défini. Ces croyances d’ordre magique peuvent se montrer durables (comme le montre le cas de Caroline et de sa montre fétiche par exemple) ou volatiles lorsque l’objet ne semble pas remplir sa fonction transformatrice (comme le suggère le cas de Kelly et de son t-shirt fétiche).

Enfin, la littérature relative au fétichisme postule que le processus d’émergence du rapport fétichiste à l’objet trouve son origine dans la crainte (e.g. De Brosses, 1760 ; Frazer, 1890 ; Hegel, 1831 ; Hume, 1757), dans une expérience personnelle (De Brosses, 1760 ; Freud, 1927) ou dans le besoin de contrôler certains évènements (e.g. Bergson, 1932 [2006] ; De Brosses, 1760 ; Frazer, 1890 ;

Comme discuté dans le chapitre 1, section 3, les concepts de sacré et de fétichisme se chevauchent. Dans les faits, un objet

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être à la fois sacré et fétiche (e.g. un bijou précieux, hérité des ascendants, permettant de se sentir plus fort ou meilleur face à certaines épreuves lorsqu’il est porté)

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Hegel, 1831 ; Hume, 1757 ; Malinowski, 1935 ; Saint-James, Handelman et Taylor, 2011 ; Silva, 2013). Nos données n’ont pas fait émerger de nouveaux antécédents du fétichisme, malgré un contexte d’étude relevant de la consommation contemporaine. Les données ne suggèrent par exemple pas que le fétichisme puisse découler d’une tendance spirituelle, matérialiste ou à adhérer aux croyances paranormales. Nos résultats supposent que l’étude des phénomènes fétichistes devrait plutôt être conduite par l’analyse du contexte aspirationnel dressé par le consommateur, des enjeux qu’il recouvre et du système d’objets qui lui est associé.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 183-188)