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Chapitre 3 : Vision zéro-sum des relations de genre dans le contexte éducatif

I. Etude princeps n°0 Le collège comme un jeu zéro-sum entre les filles et les garçons : différences de

I.3. Discussion

L’objectif de cette étude était d’examiner l’impact d’un contexte scolaire menaçant, marqué par la supériorité académique de l’exogroupe, sur la perception que les élèves ont des relations de genre à l’école. Les résultats mettent en évidence un effet du contexte sur l’adhésion des garçons, mais pas des filles, aux croyances zéro-sum de genre. Conformément à notre hypothèse, les garçons ont plus tendance à penser que l’école fonctionne comme un jeu à somme nulle entre les filles et les garçons lorsqu’ils sont confrontés à un contexte scolaire menaçant, mettant en avant la réussite scolaire des filles, par rapport à un contexte peu menaçant de réussite de l’endogroupe ou à une condition de contrôle. Lorsqu’ils sont confrontés à la meilleure réussite scolaire des filles, les garçons sont donc plus susceptibles de penser que cette réussite se fait à leurs dépens. La nature du contexte scolaire ne semble en revanche avoir aucun impact significatif sur les croyances des filles. Ces résultats, en plus de valider notre hypothèse, vont dans le sens des résultats obtenus dans de précédentes études portant sur une vision zéro-sum des relations de genre chez l’adulte (Kuchynka et al., 2018; Wilkins et al., 2015). Les analyses complémentaires montrent par ailleurs que ces effets ne reposent pas sur la perception d’une compétition zéro-sum interindividuelle et sont bien liés à une compétition au niveau intergroupe.

Les résultats obtenus sur notre mesure de contrôle des manipulations suggèrent que les élèves ont spontanément tendance à penser que les filles réussissent mieux que les garçons à l’école. En effet, dans la condition de contrôle où aucune information concernant la réussite scolaire

0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 Garçons Filles Adh ési o n au x cro yanc es zé ro -s um

Genre des participant.e.s

Peu menaçant Contrôle Menaçant

65 n’était donnée aux participant.e.s, ces dernier.ère.s évaluaient la réussite scolaire des filles comme supérieure à celle des garçons. En accord avec les études mettant en évidence l’existence d’un stéréotype académique favorable aux filles (Hartley & Sutton, 2013; Heyder & Kessels, 2013; Latsch & Hannover, 2014), celles-ci semblent effectivement bénéficier d’une bonne réputation dans le contexte scolaire. Les résultats de la présente étude montrent néanmoins que la bonne réussite scolaire des filles doit être rendue saillante pour avoir un impact sur la perception que les garçons ont de l’école. En effet, les garçons de la condition de contrôle expriment des croyances similaires à celles des garçons placés dans contexte scolaire peu menaçant. Seul le contexte menaçant rendant saillant la réussite scolaire des filles se distingue des deux autres contextes. Il est important de noter que le contexte menaçant pour le groupe des garçons qui a été induit dans cette étude reflète en réalité le contexte scolaire actuel, dans lequel les filles réussissent généralement mieux que les garçons (e.g., Voyer & Voyer, 2014). On peut donc imaginer, qu’au cours de leur scolarité, les élèves puissent se retrouver confronter à des contextes où ces différences sont rendues saillantes. Les garçons semblent par conséquent particulièrement vulnérables, la nature du contexte scolaire actuel pouvant les amener à penser que la réussite des filles se fait à leurs dépens.

Certaines limites de cette étude doivent être soulignées. Premièrement, notre échantillon est principalement constitué d’élèves scolarisés dans un établissement privé, issus d’un milieu social plutôt favorisé. Cette particularité de notre échantillon s’explique par le fait que notre collaboration avec trois établissements publics différents, dans lesquels les élèves sont généralement issus de milieux sociaux plus variés, a donné lieu à de faibles taux de participation en raison de difficultés à obtenir le consentement parental. Les prochaines études devront donc tenter d’obtenir un échantillon plus diversifié, afin de confirmer la généralisation de ces résultats à l’ensemble des élèves, quel que soit leur statut socio-économique. Deuxièmement, les scores des participant.e.s sur les deux échelles de croyances zéro-sum (interindividuelle et de genre) sont relativement faibles, ce qui pourrait suggérer que les élèves ne perçoivent pas une forte interdépendance négative entre les filles et les garçons (ou entre élèves) dans le domaine scolaire. De la même manière, dans la littérature sur les croyances zéro-sum au niveau intergroupe, les études rapportent généralement des scores en dessous de la moyenne de l’échelle utilisée (Kuchynka et al., 2018; Wilkins et al., 2015). Ces faibles scores pourraient cependant être liés à l’influence de la désirabilité sociale. En effet, une étude menée par Green (2006) montre que les individus se forment une impression moins positive des personnes fortement compétitives par rapport aux personnes faiblement compétitives. Les participant.e.s pourraient ainsi avoir le sentiment que mettre en avant l’existence d’une compétition zéro-sum à l’école, c’est à dire une situation de compétition « pure » où les intérêts des différents protagonistes sont clairement

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définis comme incompatibles, ne seraient pas socialement désirables. Les résultats d’études utilisant des mesures différentes de la vision zéro-sum des relations de groupe vont dans le sens de cette hypothèse (Kehn & Ruthig, 2013; Kuchynka et al., 2018; Norton & Sommers, 2011; Wilkins et al., 2015). En effet, alors que leurs scores d’adhésion aux croyances zéro-sum sont relativement faibles, certains individus associent la diminution de la discrimination envers les femmes à une augmentation de la discrimination envers les hommes, allant jusqu’à rapporter une inversion du schéma discriminatoire dans lequel les hommes seraient actuellement le groupe de genre le plus discriminé (Wilkins et al., 2015).

Cette étude est la première à mettre en évidence les conséquences des écarts de réussite scolaire sur la perception de l’école comme un jeu à somme nulle entre les filles et les garçons. Comme mentionné précédemment, notre opérationnalisation d’un contexte menaçant pour le groupe des garçons reflète en réalité le contexte scolaire actuel dans lequel les filles réussissent généralement mieux que les garçons. Or, comme nous l’avons argumenté dans le chapitre 2, adopter une vision zéro-sum de l’école pourrait avoir des conséquences sur leur scolarité et notamment sur leur réussite scolaire. Les croyances zéro-sum reflétant une approche compétitive de l’école, elles pourraient amener les garçons à se focaliser sur la performance plutôt que sur l’apprentissage afin d’améliorer la compétitivité de l’endogroupe (Lam, Yim, Law, & Cheung, 2004). Ces croyances sont par ailleurs associées, au niveau affectif, à l’anxiété et à la peur, deux facteurs identifiés dans la littérature comme néfastes à la réussite scolaire (e.g., Caraway, Tucker, Reinke, & Hall, 2003). Les croyances zéro-sum, à travers leurs conséquences sur la scolarité, agiraient alors comme un processus de maintien des différences de genre en termes de réussite scolaire. L’étude 1 a pour objectif d’examiner cette idée en incluant notamment une mesure de performance.