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Chapitre 1 : Les différences de genre dans le contexte scolaire actuel

II. Les conséquences de la meilleure réussite scolaire des filles

Comme nous venons de le voir, beaucoup d’études se sont intéressées aux déterminants de la meilleure réussite scolaire des filles par rapport aux garçons. A l’inverse, peu d’études ont examiné les conséquences d’un contexte scolaire marqué par une supériorité académique des filles sur la manière dont les élèves perçoivent, se comportent ou réussissent à l’école. Les études menées sur le sujet suggèrent pourtant que ce contexte scolaire peut avoir des conséquences sur les élèves et notamment sur les garçons.

II.1. Une question peu étudiée dans la littérature

A l’image du changement constaté dans les préoccupations des chercheur.e.s et des professionnel.le.s de l’éducation (Vantieghem et al., 2014; Weaver-Hightower, 2003), l’affirmation de la meilleure réussite scolaire des filles pourrait avoir provoqué des changements dans les croyances des élèves concernant l’école et la réussite scolaire. Certaines études suggèrent ainsi une évolution des stéréotypes de genre dans le domaine scolaire. Bien qu’ils aient connaissance d’un stéréotype favorable aux hommes en mathématiques, les élèves de CM2 interrogés par Martinot, Bagès et Désert (2012) ne semblent pas appliquer ce stéréotype à une cible plus jeune (enfants et adolescent.e.s). Les élèves rapportent que les gens en général pensent que les filles et les garçons (contrairement aux hommes et aux femmes) réussissent de manière équivalente en mathématiques. De la même manière, d’autres études suggèrent un affaiblissement de l’adhésion des élèves au stéréotype traditionnel, ces derniers considérant les filles comme réussissant aussi bien ou mieux que les garçons en mathématiques (Kurtz-Costes et al., 2014; Martinot & Désert, 2007; Nowicki & Lopata, 2015). En ce qui concerne le français, le stéréotype semble unanimement favorable aux filles. Quelle que soit la cible présentée (hommes et femmes vs. filles et garçons), les filles semblent toujours perçues comme réussissant mieux que les garçons dans le domaine verbal (del Río & Strasser, 2013; Kurtz-Costes et al., 2014; Martinot et al., 2012; Nowicki & Lopata, 2015). D’autres études mettent en évidence l’émergence d’un stéréotype plus général concernant l’école et la réussite scolaire, également favorable aux filles (Hartley & Sutton, 2013; Heyder & Kessels, 2013; Latsch & Hannover, 2014). Hartley et Sutton (2013) ont par exemple montré que des élèves de primaire pensent, et croient que les gens pensent, que les filles sont meilleures que les garçons à l’école. Le contenu de ce stéréotype ne fait pas référence à des matières spécifiques mais à des comportements et attributs (e.g., concentration, volonté d’apprentissage) associés à la réussite scolaire, quel que soit le domaine en question. L’évolution des croyances peut traduire une prise

27 de conscience de la part des élèves de la supériorité académique des filles qui caractérise actuellement le paysage scolaire.

Une seule étude, à notre connaissance, s’est directement intéressée aux conséquences du contexte scolaire actuel sur les performances des élèves et notamment celles des garçons. Il s’agit de l’étude de Latsch et Hannover (2014), qui examine l’impact d’un discours médiatique négatif envers les garçons les désignant comme les « ratés » de l’école sur les performances des élèves. Les résultats de cette étude montrent que les garçons ont de moins bonnes performances en lecture lorsqu’ils sont exposés à ce discours plutôt qu’à un article de presse neutre tandis qu’un effet inverse est observé sur la performance des filles. Le contexte ne semble en revanche avoir aucun impact sur les performances en mathématiques. Les résultats obtenus par Latsch et Hannover (2014) suggèrent donc que la mise en avant de la mauvaise réputation des garçons dans le contexte scolaire peut avoir des conséquences négatives sur leur performance. D’autres études, bien que ne manipulant pas directement la saillance du contexte scolaire actuel, mettent également en évidence un effet négatif de la mauvaise réputation scolaire des garçons sur leurs performances. Se focalisant sur le stéréotype de genre concernant le français, Pansu et al. (2016) montrent un effet de menace du stéréotype sur les performances des garçons qui, lorsqu’ils accordent de l’importance à la lecture, réussissent moins bien à un test si celui-ci est présenté comme une évaluation de leurs capacités en lecture plutôt que comme un jeu. De la même manière, lorsque les filles sont présentées comme meilleures que les garçons à un test comportant à la fois de la lecture, de l’écriture et des mathématiques, ces derniers réussissent moins bien au test que les garçons placés dans une condition de contrôle, où aucune différence de genre n’est mise en avant (Hartley & Sutton, 2013). S’il apparaît que la mauvaise réputation des garçons dans le contexte scolaire peut avoir des conséquences sur leur performance, son apparition semble être en partie liée aux écarts de réussite scolaire observés en faveur des filles. La mauvaise réputation des garçons, portée par des stéréotypes favorables aux filles dans le contexte scolaire, représenterait donc à la fois une des causes mais également une des conséquences de la meilleure réussite scolaire des filles. Malgré le peu de recherches menées à ce sujet, la littérature suggère donc qu’un contexte de supériorité académique des filles pourrait avoir des conséquences sur la façon dont les élèves perçoivent ou réussissent à l’école.

II.2. L’hypothèse d’une influence réciproque

Face au manque de littérature sur le sujet, l’objectif de ce travail de thèse est d’examiner les conséquences pour les élèves, et notamment pour les garçons, d’un contexte scolaire marqué

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par la supériorité académique des filles. De nombreuses études ont montré que la manière dont les élèves perçoivent ou se comportent à l’école influencent leur réussite scolaire. Les différences de genre en termes d’attitude et de comportement dans le contexte de l’école ont ainsi été identifiées comme en partie responsable des écarts de réussite scolaire observés entre les filles et les garçons (e.g., Jackson & Dempster, 2009; Lam et al., 2012; Van Houtte, 2004b). Nous avançons l’hypothèse que ces écarts de réussite peuvent à leur tour influencer le comportement et les attitudes des élèves envers l’école. Ce système d’influences réciproques pourrait alors participer au maintien des différences de réussite scolaire en faveur des filles. Comme mentionné précédemment, les stéréotypes de genre favorables aux filles dans le contexte scolaire pourraient, par exemple, être à la fois une cause et une conséquence de la meilleure réussite des filles. De tels processus d’influences réciproques ont déjà été mis en évidence dans la littérature. Le modèle des effets réciproques (Reciprocal Effects Model, REM) propose par exemple que le concept de soi académique se positionne comme un déterminant mais également une conséquence de la réussite scolaire (Marsh & Martin, 2011). Ainsi, le concept de soi académique influence la réussite scolaire qui, à son tour, a un impact sur le concept de soi. De la même manière, si de nombreuses études ont montré l’effet de l’engagement sur la réussite scolaire (e.g., Fredricks et al., 2004), Poorthuis et al. (2015) ont mis en évidence l’impact des notes sur l’engagement des élèves dans le contexte scolaire. Les résultats de cette étude longitudinale montrent que les notes, à travers les réactions affectives qu’elles suscitent, influencent l’engagement ultérieur des élèves. Plus les élèves ont de bonnes notes, plus il.elle.s rapportent d’affects positifs et moins il.elle.s rapportent d’affects négatifs, ce qui entraine ensuite un engagement plus important à l’école. A l’inverse, les mauvaises notes sont associées à une diminution de l’engagement, en lien avec d’une diminution des affects positifs et une augmentation des affects négatifs. Les notes semblent par ailleurs avoir un effet plus important sur l’engagement subséquent des garçons en raison de leur réactivité affective (négative) plus importante (Poorthuis et al., 2015). Les garçons semblent donc réagir plus négativement que les filles aux notes qu’ils reçoivent alors même qu’ils sont susceptibles d’obtenir de moins bonnes notes que ces dernières (OECD, 2015; Pomerantz et al., 2002; Voyer & Voyer, 2014). Ces résultats suggèrent donc que la supériorité académique des filles, caractérisant le contexte scolaire actuel, pourraient tout particulièrement affecter les garçons.

Sur la base de ces travaux, nous proposons que le contexte scolaire actuel, marqué par la meilleure réussite scolaire des filles pourrait avoir un impact sur la manière dont les élèves perçoivent, se comportent et réussissent à l’école. Contrairement aux études présentées précédemment, notre intérêt ne porte pas sur les conséquences en termes d’engagement ou de concept de soi mais sur les conséquences en matière de perception de l’école et des relations de

29 genre dans le contexte scolaire. Nous développerons dans les prochains chapitres l’idée que la meilleure réussite scolaire des filles pourrait entrainer chez les élèves, et notamment chez les garçons, une vision compétitive des relations de genre à l’école pouvant participer au maintien des écarts de réussite observés.

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