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Chapitre 3 : Vision zéro-sum des relations de genre dans le contexte éducatif

IV. Bilan du chapitre 3

Dans le cadre de ce chapitre, nous avons réalisé deux études ayant pour objectif d’examiner l’effet du contexte scolaire sur l’adhésion des élèves aux croyances zéro-sum. Nous nous sommes également appuyés sur les résultats d’une étude princeps, menée en Master Recherche (Sicard & Martinot, 2018), pour tester notre hypothèse selon laquelle les garçons adhèreraient plus fortement aux croyances zéro-sum dans un contexte scolaire menaçant, mettant en avant la réussite des filles, par rapport à des contextes moins menaçants pour leur groupe. Autrement dit, les garçons, lorsqu’ils sont confrontés à la supériorité académique des filles, auraient plus tendance à croire que cette réussite se fait à leurs dépens. Cette hypothèse était basée sur les prédictions du Modèle Instrumental du Conflit Intergroupe (Esses et al., 1998) ainsi que sur les résultats d’études montrant que les membres de groupes de haut statut, en plus d’adhérer plus fortement aux

99 croyances zéro-sum que les membres de groupes de bas statut, sont plus sensibles à l’effet du contexte intergroupe (e.g., Wilkins et al., 2015). Si les résultats de l’étude n°0 étaient conformes avec notre hypothèse, les résultats des études 1 et 2 sont venus nuancer nos conclusions. Dans un premier temps, en accord avec notre hypothèse, nous avons montré que les (garçons) collégiens adhéraient plus fortement aux croyances zéro-sum de genre dans un contexte menaçant de réussite scolaire des filles par rapport à un contexte peu menaçant de réussite des garçons ou une condition de contrôle (étude princeps n°0). Ces effets n’étaient par ailleurs pas dus à la perception d’une compétition entre élèves au niveau interindividuel. Néanmoins, ces résultats ont été remis en cause par ceux de l’étude 1 montrant un effet significatif du contexte uniquement auprès des filles. Plus précisément, les lycéennes avaient plus tendance à considérer les relations de genre à l’école comme un jeu zéro-sum dans un contexte menaçant de réussite des garçons par rapport à des contextes moins menaçants pour leur groupe, tandis que le contexte ne semblait pas avoir d’impact sur les croyances des lycéens. Afin de mieux comprendre ces résultats divergents, nous avons interrogés, dans le cadre de l’étude 2, des étudiant.e.s. Nous avons alors obtenu des résultats encore différents de ceux des deux études précédentes puisqu’à l’université, l’ensemble des étudiant.e.s, filles et garçons, adhèrent plus fortement aux croyances zéro-sum de genre dans un contexte menaçant de réussite de l’exogroupe par rapport à un contexte peu menaçant de réussite de l’endogroupe ou à une condition de contrôle.

Pris dans leur ensemble, les résultats de ces trois études nous amènent à nous interroger sur les relations de genre dans le contexte scolaire. Pourquoi au collège seules les croyances zéro- sum des garçons sont-elles influencées par le contexte scolaire, alors qu’au lycée seules les croyances zéro-sum des filles le sont, et qu’enfin à l’université celles des étudiants et des étudiantes le sont ? En d’autres termes, quel(s) facteur(s) détermine(nt) qu’un groupe de genre va réagir ou non à la mise en avant d’un contexte de réussite de l’exogroupe ? Dans la littérature, quelques modérateurs de l’adhésion à une perspective zéro-sum des relations intergroupes ont été identifiés. Par exemple, l’âge et l’orientation politique influencent la perception des relations de genre dans le sens où les individus « âgés » (35 ans ou plus) ainsi que les conservateurs ont plus tendance à percevoir les relations de genre comme un jeu zéro-sum que, respectivement, les individus plus jeunes (moins de 35 ans) et les libéraux (Bosson et al., 2012; Kehn & Ruthig, 2013). Plusieurs études mettent également en évidence un effet du genre et l’appartenance ethnique. Ainsi, les hommes sont plus susceptibles d’adopter une vision zéro-sum des relations de genre que les femmes (Bosson et al., 2012; Kehn & Ruthig, 2013; Wilkins et al., 2015) tandis que les individus blancs ont plus tendance à percevoir les relations ethniques comme un jeu zéro-sum que les individus noirs (Norton & Sommers, 2011; Wilkins et al., 2015). Plus généralement, il semble donc

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que les individus membres de groupes de haut statut adhèrent plus fortement à une vision zéro- sum des relations entre leur groupe et un exogroupe pertinent que les membres de groupes de bas statut. Ce constat est en accord avec les prédictions du Modèle Instrumental du Conflit Intergroupe (Esses et al., 1998) selon lequel l’orientation à la dominance sociale (ODS) est un facteur générant du stress lié aux ressources, un des prédicteurs de la perception de compétition intergroupe. Les individus membres de groupes de haut statut ont tendance à avoir des niveaux d’ODS plus élevé que les membres de groupes de bas statut (Pratto et al., 2006). Ils pourraient, de ce fait, être plus susceptibles de penser que certains groupes ont un accès limité aux ressources valorisées. Le statut, outre son influence directe sur la perspective zéro-sum, est également un modérateur de l’effet du contexte sur l’adhésion aux croyances zéro-sum des individus dans le sens où les groupes de haut statut, contrairement aux groupes de bas statut, adhèrent plus fortement aux croyances zéro-sum dans un contexte menaçant pour leur groupe par rapport à des contextes moins menaçants (Kuchynka et al., 2018; Wilkins et al., 2015). Du fait de leur position favorisée, les membres de groupes de haut statut ont effectivement plus à perdre que les membres de groupes de bas statut si des changements devaient se produire dans la société. Par ailleurs, même si les membres de groupes de bas statut se sentent généralement davantage menacés, les membres de groupe de haut statut réagiraient plus fortement à la menace (Stephan et al., 2016).

Le statut des groupes étant le seul médiateur de l’effet du contexte identifié dans la littérature, nous nous questionnons sur le rôle de ce facteur dans l’explication de nos résultats. En effet, les résultats obtenus dans les études n° 0, 1 et 2, bien qu’en apparence contradictoires, pourraient en réalité répondre à une logique : celle d’une instabilité du statut des filles et des garçons dans le contexte scolaire. Si, comme certaines études le laissent entendre, l’adhésion aux croyances zéro-sum des membres de groupes de haut statut est plus sensible que celle des membres de groupes de bas statut à l’influence d’un contexte menaçant pour leur groupe, alors nos résultats suggèrent notamment une inversion du statut des groupes de genre entre le collège et le lycée. Les garçons collégiens adhérant plus fortement aux croyances zéro-sum dans un contexte scolaire menaçant pour leur groupe par rapport à des contextes moins menaçants, ils représenteraient un groupe de haut statut par rapport aux filles dans le contexte du collège. En revanche, les résultats de l’étude 1 montrant un effet similaire du contexte sur les croyances zéro- sum uniquement auprès des lycéennes, les filles se positionneraient comme un groupe de statut au lycée, à l’inverse de ce qui est observé au collège ainsi que dans la société en général. Enfin, l’effet du contexte menaçant sur les croyances zéro-sum de l’ensemble des étudiant.e.s obtenu dans l’étude 2 nous amène à penser que chaque groupe, filles comme garçons, se perçoit comme un groupe de haut statut à l’université. Dans ce cadre spécifique de l’université, cela pourrait

101 traduire du côté des filles une persistance de la croyance en un statut académique supérieur de leur groupe et, du côté des garçons, une anticipation des dynamiques de statut existant à l’échelle de la société. Il est également possible qu’à l’université, chaque groupe évalue son statut en se basant sur des indicateurs différents de la réussite dans la mesure où, si les filles obtiennent globalement de meilleurs résultats que les garçons à l’université, ces derniers sont majoritaires dans les filières d’études perçues comme les plus prestigieuses. Il y aurait ainsi une instabilité du statut des filles et des garçons au cours du cursus académique, supposant des dynamiques de genre différentes de celles existant généralement dans la société. Les filles, du fait de leur meilleure réussite scolaire que les garçons, pourraient avoir acquis un statut académique (ou scolaire) supérieur à celui des garçons au lycée. Le contexte scolaire actuel, marqué par la supériorité académique des filles, pourrait donc avoir modifié la perception que les élèves ont des relations de genre, non pas nécessairement en termes de perspective zéro-sum mais plutôt en ce qui concerne le statut attribué aux deux groupes. Nous avons décidé d’approfondir cette hypothèse dans le chapitre suivant à l’aide de deux études (études 3 et 4) explorant la perception que les élèves et les étudiant.e.s ont du statut académique des groupes de genre.

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Chapitre 4 : Instabilité du statut des filles entre le contexte académique et le contexte