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6. Discussion 91 

6.1   Discussion des résultats par rapport aux écrits 91

Cette section présente les résultats obtenus en lien avec le but de cette étude qui répondait non seulement à une préoccupation majeure en matière d’administration des soins et des services infirmiers au Québec, mais aussi à une lacune dans les écrits scientifiques. Cette étude est en effet l’une des premières qui décrit l’implication de l’infirmière en contexte hospitalier québécois 1) dans la mise en œuvre du BCM; 2) dans la mise en œuvre du BCM auprès d’une clientèle de cardiologie à travers les différentes phases de transition (admission, transfert, congé); 3) en collaboration avec le médecin et le pharmacien.

6.1.1 Implication de l’infirmière

L’implication des infirmières à l’unité de cardiologie va généralement dans le même sens que ce qui est actuellement documenté dans différents écrits issus de la littérature grise (ISMP, 2011; Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec, 2009). Cependant, cette étude se démarque par une description empirique de l’implication attendue et effective de l’infirmière à travers une étude de cas unique utilisant différentes sources de données. Les résultats mettent en relief quatre (4) catégories soutenant l’implication effective de l’infirmière, soit 1) l’implication propre et distinctive qui réfère aux activités relevant spécifiquement de l’infirmière; 2) la mobilisation nuancée qui renvoie à ce que l’infirmière fait pour amener les autres à contribuer au BCM; 3) le filet de sécurité qui regroupe ce que l’infirmière fait pour maximiser la sécurité du processus et 4) les activités contributives où sont répertoriées des activités périphériques, en collaboration avec le médecin et le pharmacien.

De plus, certains obstacles à la mise en œuvre du BCM sont dégagés. Les pharmaciens souhaitent que l’infirmière soit plus impliquée dans ce processus, mais les infirmières soulèvent un manque de temps pour y arriver, ce qui n’est pas ressorti des écrits consultés sur la mise en œuvre du BCM, la majorité posant plutôt la question sous l’angle du coût des ressources impliquées et non du temps et des qualifications exigées pour prendre en charge différents aspects de mise en œuvre (Karapinar-Çarkit et al., 2012). Cependant, il est documenté que les établissements de santé doivent utiliser les différents professionnels selon les ressources disponibles (ISMP, 2011).

6.1.1.1 Implication attendue et effective de l’infirmière

Cette sous-section vise à regarder spécifiquement les résultats par rapport aux écrits liés aux deux objectifs de la recherche présentée afin de refléter ce qui est attendu de l’infirmière et ce qui est fait, un élément important pour l’efficacité de la barrière de défense qu’est le BCM, comme vu par Reason (2000).

Dans les écrits, il est soulevé que l’infirmière peut participer à l’établissement du MSTP (Gleason et al., 2004). De plus, elle peut participer à établir la liste de médicaments pris par le patient à domicile. Différents écrits appuient l’importance de cette activité en mentionnant que l’infirmière peut le faire en questionnant le patient, la famille et la pharmacie du secteur privé (Varkey et al., 2007; Rozich et al., 2004). Les pharmaciens ont été les seuls acteurs à souhaiter une implication attendue plus grande des infirmières sur ce plan. Ils souhaitent que l’infirmière puisse faire la collecte de données auprès du patient et de sa famille concernant les médicaments pris à la maison. Or les résultats de cette étude démontrent que les infirmières contribuent à l’établissement du MSTP en collectant des données lors de l’évaluation initiale du patient sur un formulaire à part. Le pharmacien ou ses assistants retranscrivent alors l’information collectée par l’infirmière au formulaire de BCM, sans laisser de traces que l’information a été collectée par l’infirmière. Cela occulte ainsi une part de son implication. Cependant, l’infirmière ne complète pas la collecte de données sur les médicaments pris par l’usager à la maison pour établir le MSTP, comme présenté dans certains écrits (Rozich et al., 2004; Schwarz & Wyskiel, 2006; Young, 2008), puisqu’elle s’en tient aux informations requises par la feuille d’admission dont elle est

principalement responsable. On retrouve donc une implication dans l’établissement du MSTP restreinte avec une duplication des attentes de documentation des acteurs impliqués.

Pronovost et al. (2003) soulèvent que l’infirmière peut participer à l’identification des divergences. Les résultats révèlent que l’identification des divergences médicamenteuses fait aussi partie des attentes internes à l’organisation et des attentes des pharmaciens du milieu à l’étude. Cependant, les résultats démontrent que l’infirmière le fait surtout à la phase de congé sans nécessairement en laisser de traces visibles. L’utilisation du formulaire dédié à l’identification des divergences médicamenteuses gagnerait à être maximisée pour reconnaître l’implication de l’infirmière à cet effet et améliorer le processus de communication entre les acteurs impliqués, comme visé par les recommandations sur l’utilisation du BCM (Anderson, 2007; ISMP 2011). De plus, l’utilisation d’un modèle de BCM hybride papier et informatisé peut complexifier l’implication des infirmières (Alemanie et al., 2010; Van Slusvled et al., 2012).

Il est aussi ressorti des écrits que l’infirmière peut procéder à la réconciliation médicamenteuse pour l’identification de divergences (Rozich et al., 2004). De plus, selon ces mêmes auteurs, l’infirmière peut contacter le prescripteur au besoin pour corriger la situation. Or, à l’unité de cardiologie où s’est déroulée l’étude, il y a une réconciliation médicamenteuse qui se fait entre les prescriptions sur le BCM et la FADM dont l’infirmière se sert pour administrer les médicaments. Les résultats montrent que la réconciliation médicamenteuse effectuée par l’infirmière n’est pas systématiquement faite avec les médicaments pris à domicile par le patient, mais avec les nouvelles prescriptions faites sur le BCM. Comme présenté par Rozich et al. (2004), l’infirmière communique avec le médecin au besoin pour faire changer des prescriptions en lien avec les divergences médicamenteuses, soit par téléphone, soit en laissant une note sur le dessus du dossier du patient ou par le rapport interservice. Cette portion d’implication de l’infirmière n’est pas documentée dans les dossiers patients, ce qui peut expliquer que les pharmaciens semblent percevoir une faible implication des infirmières à ce sujet.

Selon Young (2008), les infirmières doivent comprendre leur rôle dans la mise en œuvre du BCM. Dans les résultats, il en est ressorti, de la part des infirmières, qu’il y avait un manque de compréhension du BCM et de leur implication exacte, et ce, malgré le processus d’implantation effectué. Les infirmières peuvent jouer un rôle actif dans le développement, l’implantation et la mise en œuvre du BCM (Anderson, 2007). Pour ce faire, elles doivent en avoir une meilleure compréhension.

Les infirmières doivent aussi s’assurer que le processus de mise en œuvre du BCM est complété et le faciliter au besoin (Young, 2008). Dans les résultats présentés, il en ressort que l’infirmière a une place de mobilisation en effectuant la coordination de la mise en œuvre par le suivi du formulaire, mais que parfois celle-ci est nuancée. Toutefois, l’infirmière mobilise les autres professionnels vers la résolution de divergences (ex. : mémo, appel, échange) sans en laisser de traces au dossier. Les infirmières de l’unité de cardiologie semblent avoir peu de contrôle quand le BCM n’est pas initié dès le début à l’urgence. Des efforts devraient être faits pour que le processus de mise en œuvre du BCM soit respecté dès le début pour maximiser la contribution des infirmières.

L’implication des infirmières dans la mise en œuvre du BCM peut se traduire dans l’accompagnement des patients lors des transitions médicamenteuses (Young, 2008; OIIQ, 2010). Cela s’explique également par un élément du cadre de référence à l’étude dans la théorie de la transition de Meleis qui souligne que l’infirmière a un rôle d’accompagnement du passage d’un état stable à un autre et que les transitions médicamenteuses en font partie (Meleis, 2010). Dans cette étude, nous remarquons qu’effectivement, les pharmaciens et les médecins en collaboration avec les infirmières effectuent de l’enseignement lors des changements de médicaments. Toutefois, l’infirmière le fait de façon propre et distinctive lors de l’administration des médicaments, puisqu’elle en est responsable aux points de transition et lors des administrations de médicaments subséquentes.

Finalement, il est mentionné par Tucker (2004) que l’infirmière peut intercepter des erreurs effectuées par le médecin ou le pharmacien qui n’auraient pas été détectées avant le

processus d’administration. Cela est aussi corroboré dans les résultats à la catégorie mobilisation nuancée lors de la communication des divergences médicamenteuses, car il arrive que les infirmières identifient des divergences lors de l’administration des médicaments ou lors de contacts avec les patients. Or, encore là, cela ne se traduit pas dans les dossiers patients, puisque souvent cette étape est effectuée directement avec le pharmacien ou le médecin présent à l’unité ou à l’aide d’une note sur le dessus du dossier.

6.1.2 Implication auprès d’une clientèle adulte de cardiologie

Au Québec, on retrouve des écrits sur l’implication de l’infirmière dans la mise en œuvre du BCM auprès de la clientèle pédiatrique ou provenant de la littérature grise (Alemanni et al., 2010; Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec, 2009). Aucun écrit décrivant l’implication de l’infirmière auprès d’une clientèle de cardiologie n’a été recensé dans le cadre de cette étude, laquelle vise à décrire l’implication de l’infirmière à l’admission, au transfert et au congé sur une unité de cardiologie québécoise, ce qui est une première en contexte hospitalier québécois. De plus, selon l’Organisation mondiale de la santé (2015), les maladies cardiovasculaires font partie des maladies chroniques, et la gestion de celles-ci est maximisée par la collaboration interprofessionnelle.

6.1.3 Implication de l’infirmière en collaboration avec le pharmacien et le

médecin

Certains écrits se centrent uniquement sur la contribution du pharmacien ou du médecin (Liang, 2008 ; Karnon et al., 2009; Varkey et al., 2007). Cette étude prend soin de considérer trois des principaux acteurs devant être impliqués dans la mise en œuvre du BCM, ce qui permet non seulement de voir l’implication de l’infirmière en lien avec celle des autres professionnels, mais aussi de tenir compte du regard des autres professionnels sur l’implication de l’infirmière.

6.2 Discussion des résultats par rapport aux écrits théoriques

Cette étude se démarque également par l’utilisation d’un cadre de référence qui intègre le modèle de Reason (2000) et le modèle de la transition de Meleis (2010).

L’utilisation du modèle de Reason (2000) s’applique bien dans le contexte de la recherche portant sur la mise en œuvre du BCM. Reason nous permet de situer le BCM comme une barrière de sécurité et de voir comment l’infirmière peut y contribuer en permettant ainsi de diminuer les évènements indésirables potentiels. L’approche système présentée dans le modèle de Reason (2000) permet de voir qu’il est important de bien établir les procédures de soins, car une mauvaise procédure pourrait mener à des erreurs. Cette étude permet de dresser un portrait de l’implication de l’infirmière dans la mise en œuvre du BCM et pourra contribuer au développement des procédures organisationnelles pouvant s’y rattacher.

De plus, l’utilisation du modèle de Meleis (2010) a permis de constater que l’infirmière utilise une approche centrée sur l’accompagnement du patient lors des transitions, ce qui se traduit particulièrement par de l’enseignement sur l’administration des médicaments. Le fait d’avoir considéré l’implication de l’infirmière en lien avec celle des médecins et des pharmaciens permet aussi de reconnaître en quoi l’accompagnement offert par l’infirmière se distingue de celui de ses collègues.