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III. L’objet d’étude « cinéma » dans la sémiologie de Christian Metz

III.3. Discours filmique Discours imagé

Suite à cet ajustement nécessaire face à une approche structuraliste jugée trop intransigeante, Metz s’engage donc à établir le principe de pertinence de l’étude des mécanismes de signification du cinéma. À travers des observations d’intervenants aussi variés que Roberto Rossellini, André Bazin, Edgar Morin, Bela Balazs et Alexandre Arnoux, Metz avance qu’il ne croit pas que les théories de montage souverain d’Eisenstein puissent être une source transposable d’hypothèses convenables pour l’étude de l’objet cinéma en tant qu’objet de signification. Les lacunes qu’il voit dans la théorisation de Eisenstein sont les mêmes que pour l’approche structuraliste dure : « le montage-roi est jusqu’à un certain point solidaire d’une forme d’esprit propre à « l’homme structural » (Metz 1964, p.57). Toutefois, les théories dites phénoménologiques, quant à elles, ne semblent pas plus appropriées. Ces approches qui considèrent « qu’une séquence de cinéma, comme un spectacle de la vie, porte son sens en elle-même, le signifiant n’y [étant] que malaisément distinct du signifié […] » (Ibid, p.60), c’est pour Metz celle de Cohen-Séat, par exemple, dans le rapport

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qu’il établit entre le fait filmique et le fait cinématographique, mais c’est aussi celle d’André Bazin et Étienne Souriau. Ces approches se doivent toutefois d’être modérées : « le cinéma n’est tout de même pas la vie, c’est un spectacle composé » (Ibid, p.61). Ainsi, en ce qui a trait au point de vue qui l’intéresse, c’est-à-dire la spécificité signifiante du cinéma en lui même, les points de vue théoriques sont jusque-là trop polarisés : d’un côté il y a le camp du montage souverain qui affectionne une approche structurale dure avec la ciné-langue ; de l’autre, il y a le camp phénoménologique qui affectionne une approche où le cinéma est infiniment différent du langage verbal, où il a sa subjectivité propre. Pour Metz, il s’agit de s’inspirer de ces théories, de travailler à travers eux plutôt que de transposer leurs hypothèses : il faut trouver une convergence de faits dans ces écrits, une médiane, une donnée constante.

C’est alors que Metz émet son hypothèse : ce qui est spécifique au cinéma c’est un discours imagé qui s’articule à l’intérieur d’un discours filmique.

En tant que message concret, il est manifeste que le discours filmique rassemble non pas un seul langage cinématographique mais bien une articulation de différents langages, c’est-à-dire différents systèmes de significations : certains correspondent pleinement au langage naturel (= élément verbal de la parole), d’autres sont des langages figurés (= musique, image, bruit). Pour bien comprendre le film en sa totalité, il faut donc l’approcher en tant qu’il est langage souple et non en tant qu’il est une langue. Il est discours filmique en tant qu’il est composition de différents signifiants, en tant qu’il est composition de différents systèmes langagiers, naturels et figurés, et donc en tant qu’il est art : c’est parce qu’il est composé de différents langages qu’il est un langage :

« […] À partir du moment où des substituts des choses, plus mobiles et plus maniables que les choses elles-mêmes, et en quelque sorte plus proches de la pensée, sont délibérément organisés en une continuité discursive, il y a fait de langage, par-delà toutes les différences que l’on voudra avec le langage verbal » (Metz cité dans Aumont et al. 1983, p.131).

Ces différents systèmes langagiers du film peuvent d’ailleurs se retrouver dans d’autres arts, sauf en ce qui concerne le système langagier spécifique au cinéma.

C’est d’ailleurs ce dernier système langagier qui intéresse la sémiologie : elle veut aller au sein de ce langage souple pour découvrir l’objet de signification qui n’existait pas avant le cinéma.

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Cet objet de signification, c’est le discours imagé, « cette sorte de courant d’induction [qui relie] quoi qu’on en fasse les images entre elles, comme s’il était au-dessus des forces de l’esprit humain (celui du spectateur comme celui du cinéaste) de refuser un « fil » dès lors que deux images se succèdent. » (Metz 1964, p.63). C’est ce que Metz appellera plus tard, dans la publication de sa thèse d’état, le cinématographique – qui n’est, bien que spécifique, qu’une infime partie du filmique. Il nous semble donc manifeste que malgré qu’il y cite une quantité impressionnante d’hommes de cinéma – qu’il différencie d’ailleurs en 3 catégories : cinéaste, cinéaste-théoricien et théoricien – CLL s’adresse d’abord à l’homme structural sous forme d’avertissement : la sémiologie générale de la culture devra se faire en considérant l’objet qui nous sert de modèle - c’est-à-dire l’immanence du texte - ou bien la sémiologie devra demeurer limitée dans sa portée. C’est pourquoi Metz s’efforce de considérer ces hommes qui abordent le cinéma et non la linguistique comme modèle. Mais alors, il ne s’agit pas de laisser tomber la linguistique pour autant. La linguistique demeure une science extrêmement pertinente pour d’autres systèmes de significations et, en nous informant sur ce que le cinéma n’est pas, elle nous permet de mieux le connaître et d’en retour enrichir une connaissance élargie de la sémiologie. La démonstration technique des particularités qui font que le cinéma n’est pas une langue aux yeux de la linguistique sera effectuée dans la deuxième partie de ce texte majeur de Metz. (Voir 1964, p.72-90)