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Le discours critique de René Capitant ou l’anticipation de « solution » Cinquième République

§ 2 Facteurs de consolidation et accroissement des prémisses constitutives de l ’opposition

A) Le discours critique de René Capitant ou l’anticipation de « solution » Cinquième République

L’ordonnance du gouvernement provisoire275du 17 août 1945, dont l’objectif était

de demander aux Français s’ils voulaient ou non la continuité des institutions de la Troisième République et, le cas échéant, s’ils estimaient que les nouvelles institutions devaient ou non être ratifiées par référendum, est, selon René Capitant, une rupture importante avec l’expérience politique et constitutionnelle précédente. En effet, il s’agit pour lui de l’antithèse du principe de la souveraineté exclusive du parlement et une proclamation de la souveraineté populaire276. En outre, il écrit que le fait que les

275

Gouvernement commandé par le général de Gaulle.

276

Cf. CAPITANT (René), « Le conflit de la souveraineté parlementaire et de la souveraineté populaire en France depuis la libération », Revue Internationale d´histoire politique et constitutionnelle, avril-juin 1954 dans CAPITANT (René), Écrits Constitutionnels, éditions du CNRS, 1982 p. 277 ; CAPITANT

électeurs aient rejeté par référendum le projet de la première Assemblée constituante, c’est-à-dire le travail de représentants récemment élus, était une preuve formidable qui ruinait la « fiction représentative ». Un tel épisode démontrait qu’il n’est pas légitime de présumer une identification totale entre volonté parlementaire et volonté populaire277.

Pourtant, après ce rejet, le 13 octobre 1946 les électeurs approuvent un texte constitutionnel qui porte en son sein les vieux principes du régime représentatif français tels qu’ils avaient été proclamés dans le texte de 1791. C’est envers ce texte -celui de la Constitution promulguée le 27 octobre 1946- que vont être dirigées les critiques de René Capitant jusqu’à sa disparition en 1958.

Les critiques de l’auteur se concentrent sur trois points.

Premièrement, l’exclusion des citoyens de l’exercice du pouvoir constituant. Ainsi, nonobstant la procédure établie en 1945 par le gouvernement provisoire, l’article 90 du texte de 1946278 concentre quasi exclusivement les leviers du mécanisme de révision entre les mains de l’Assemblée et le Conseil de la République (l’équivalent du Sénat) tout en requérant des majorités spéciales. En raison de cela, le vote populaire, prévu par le texte de l’article, est nécessaire dans le seul cas où les majorités prévues ne soient pas obtenues à l’Assemblée et le recours au Conseil ne soit pas efficace. Cela

(René), « Le changement de régime », discours prononcé devant le Congrès du R.P.F. à Paris en 1952

dans CAPITANT (René), Écrits Constitutionnels p. 332 ou l’ouvrage plus récente CAPITANT (René),

Démocratie et participation politique p. 80.

277

Cf. CAPITANT (René), « Le changement de régime » p. 332.

278 Le texte de l’article : « La révision a lieu dans les formes suivantes. La révision doit être décidée par

une résolution adoptée à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale. La résolution précise l'objet de la révision. Elle est soumise, dans le délai minimum de trois mois, à une deuxième lecture, à laquelle il doit être procédé dans les mêmes conditions qu'à la première, à moins que le Conseil de la République, saisi par l'Assemblée nationale, n'ait adopté à la majorité absolue la même résolution. Après cette seconde lecture, l'Assemblée nationale élabore un projet de loi portant révision de la Constitution. Ce projet est soumis au Parlement et voté à la majorité et dans les mêmes formes prévues pour la loi ordinaire. Il est soumis au référendum, sauf s'il a été adopté en seconde lecture par

l'Assemblée nationale à la majorité des deux tiers ou s'il a été voté à la majorité des trois cinquièmes par chacune des deux assemblées… ».

voulait dire que les droits des citoyens en matière constituante étaient même inférieurs à ceux de la deuxième chambre, élue indirectement279.

Deuxièmement, l’absence, déjà traditionnelle depuis la crise du 16 mai 1877, d’une dissolution opérationnelle, mécanisme fondamental afin de mettre en place un arbitrage populaire aux conflits entre exécutif et législatif. Ainsi, Capitant considérait qu’un tel mécanisme était d’utilisation incertaine pour deux raisons. D´abord, parce que le président de la République et le Président du Conseil étaient tous les deux désignés par l’Assemblée. Concernant le second, la pratique institutionnelle développa une double investiture, car après avoir obtenu la confiance, il devait nommer ses ministres, lesquels devaient être soumis à un deuxième vote de confiance des députés. Ensuite, en raison des conditions très exigeantes de mise en œuvre de la dissolution : 18 mois de législature et deux crises ministérielles. Or, indépendamment du fait qu’en 78 ans aucune dissolution n’intervint, Capitant développe deux critiques. Par rapport à l’élection du président et du Président du Conseil par l’Assemblée, il affirme qu’un tel mécanisme (au-delà du fait que la Constitution autorisait la double condition de ministre et député) contribue à mettre le cabinet sous l’autorité du législatif, faisant du premier le « délégué » du second et non le chef réel de l’administration280. En ce qui concerne l’exigence de deux crises ministérielles, l’auteur écrit qu’elle implique, au fond, remettre la question de la dissolution entre les mains de l’Assemblée. Ainsi, lorsque la Constitution parle de crise ministérielle, elle utilise l’expression dans le sens de « crise constitutionnelle », c’est-à-dire une question de confiance ou une motion de censure. Pourtant, en réalité, l’Assemblée pouvait induire la chute d’un gouvernement par des moyens « alternatifs » aux crises constitutionnelles proprement dites281.

Troisièmement, la question de la représentation proportionnelle. Ce système avait été choisi par le gouvernement provisoire du général de Gaulle, mais son

279

Cf. CAPITANT (René), « Le conflit de la souveraineté parlementaire et de la souveraineté populaire en France depuis la libération » ps. 278-279.

280

Cf. CAPITANT (René), Pour une Constitution fédérale, Ed. Renaissances, Strasbourg, 1946 dans

CAPITANT (René), Écrits Constitutionnels ps. 312-313. 281

Cf. CAPITANT (René), « Le conflit de la souveraineté parlementaire et de la souveraineté populaire en France depuis la libération » p. 280.

utilisation avait un objectif particulier : assurer le caractère pluriel de la future Assemblée constituante. Cependant, ultérieurement, l’Assemblée nationale adopte ce système afin d’attribuer des sièges lors des élections législatives. Selon Capitant, la représentation proportionnelle eut des conséquences dévastatrices du point de vue de la participation politique des citoyens. Ainsi, pendant toute la Quatrième République aucun parti ne fut capable de constituer une majorité solide par lui-même. Ce fait fut à l’origine du besoin de construire des coalitions afin de gouverner, mais ces coalitions étaient établies toujours après les élections en raison, selon l’auteur, de l’intérêt que chaque parti avait d’assurer une bonne performance électorale, intérêt dont la source était la logique du système proportionnel. Ce raisonnement fera que l’auteur écrira plus tard que « il en résulte ce fait capital que l’élection ne marque plus une manifestation de la volonté nationale, puisqu’elle n’engendre plus une majorité, ni une majorité électorale, ni une majorité parlementaire […] la volonté nationale ne s’exprime plus dans l’élection elle-même ; elle n’est plus exprimée par la Nation ; elle ne s’exprime que par la médiation des partis et au lendemain des élections ; et indépendamment du résultat de l’élection »282

. Il met donc en évidence le fait que cette liberté octroyée aux parlementaires leur confère la possibilité de modifier, pendant la législature, ses accords politiques sans avoir à en rendre comptes aux électeurs. Ainsi, selon lui, la volonté nationale n’appartient plus qu’aux partis et à leurs accords circonstanciels, sans qu’ils aient une responsabilité devant les électeurs : il y a donc une autonomisation des représentants par rapport aux représentés283.

Par conséquent, le diagnostique de René Capitant est clair et sans appellation possible : dans le régime représentatif français, dont la Constitution de 1946 est une manifestation, les partis et les parlementaires sont dans les faits les souverains absolus284 tandis que le peuple, au-delà des élections, est exclu de l’exercice de la souveraineté. L’impossible redressement de l’exécutif pendant la période allait prouver

282

CAPITANT (René), Démocratie et participation politique p. 103.

283

Cf. CAPITANT (René), Démocratie et participation politique ps. 100-110.

284

Preuve du caractère « absolu » de la souveraineté parlementaire en France est pour Capitant le fait paradoxale que c’est une majorité antifasciste formée en 1936 celle qui confère les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, ancien leader d’un mouvement profasciste à l’époque des élections, à travers la Loi Constitutionnelle du 10 juillet 1940.

que les critiques formulées pas R. Capitant étaient une perception pertinente de la réalité politique.

B) L’expérience de 1954-1955 ou l’essai malheureux de revitalisation