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Dans les deux cas, on assiste à une progression commune de la puissance exécutive. Les deux expériences vont finir d’une manière violente et signifier plus tard le début d’une période ouverte dans laquelle se produit la consolidation d’un régime politique stable mais opposé dans les deux États. Dans le cas argentin, cette configuration représente une confirmation de la tradition présidentielle forte, aux niveaux normatif et pratique. Dans le cas français, au contraire, un tournant se produit, car pendant cette période ouverte, ce sont les bases d’un parlementarisme d’assemblée très déséquilibré qui sont posées.

En France, la transition du régime de 1848 vers celui de 1852 se produit donc par un coup d’État qui rétablit la dignité impériale. Pourtant, les attributions et facultés de l’Empereur allaient s’accroitre jusqu’en 1860, où un processus de libéralisation de l’Empire commence. Cette tendance à l’augmentation de la puissance exécutive, de même que celle ayant un rapport avec la libéralisation se matérialiseront à travers des sénatus-consultes.

Ainsi, la nouvelle Constitution à peine dictée, le Sénat autorise l’Empereur le 25 décembre 1852 à présider, à chaque fois qu’il veut, le Sénat et le Conseil d’État. En outre, il dispose qu’ayant l’âge de 18 ans, tous les princes pouvaient, avec un avis favorable de l’Empereur, occuper un siège aux organes auparavant mentionnés. De même, d’autres articles de la Constitution furent supprimés, notamment celui qui proclamait la République.

Concernant le processus de libéralisation, il se condense dans la Constitution du 21 mai 1870, rédigée et plébiscitée peu avant la Guerre franco-prussienne, du désastre de Sedan et de la chute définitive de l’Empire. Même si la Norme Suprême consacrait la succession impériale héréditaire, il était aussi fixé que l’Empereur gouverne avec le concours des ministres, du Conseil d’État, du Sénat et du Corps législatif, tous exerçant ce que la Constitution appelle la «puissance législative». En effet, l’article 12 réservait l’initiative législative à ces organes, sauf les lois imposant des tributs, lesquelles devaient être votées d’abord par le Corps législatif.

L’Empereur avait toujours, selon la disposition de l’article 13, une responsabilité directe devant les électeurs. Néanmoins, en raison de l’article 19, les ministres nommés et révoqués par l’Empereur, délibéraient en conseil sous sa présidence, mais ils étaient responsables.

En outre, selon l’article 44, le texte constitutionnel pouvait seulement être modifié par le peuple, sur proposition de l’Empereur. Ainsi le texte s’écartait de la Constitution de 1852, selon laquelle le Sénat pouvait établir des réformes, suivant l’article 31.

Dans le cas argentin, une situation relativement stable existe après la bataille de Vences de 1849 car elle signifia la pacification du pays en raison de la victoire finale du rosisme. Pourtant, au-delà de cette situation stable, laquelle semblait augurer au caudillo un long séjour au pouvoir fédéral existant dans les faits, la fin était prête. Ainsi, c’est le chef des armées fédérales, Justo José de Urquiza, qui allait mettre un point final au gouvernement de Juan Manuel de Rosas, commencé en 1829.

La fin du rosisme dans la bataille de Caseros du 3 février 1852, nonobstant la constante négative du gouverneur de Buenos Aires de réunir un Congrès Constituant, laisse comme héritage les conditions et bases centrales pour l’établissement d’un Gouvernement fédéral permanent et stable, sauf la question, pas encore résolue, de la fédéralisation de Buenos Aires.

Prenant en compte la situation précaire de l’autorité nationale lors de la première désignation de Rosas comme gouverneur de Buenos Aires, il est clair qu’au fil des ans, il acheva une certaine unité nationale, concentrant en sa personne quasi absolument tout le pouvoir.

Une accumulation similaire de pouvoir a lieu en France après les épisodes violents de 1848. Même si l’établissement d’un Second Empire par Louis Napoléon, après l’essai présidentialiste de 1848, implique l’établissement d’un gouvernement peu respectueux des libertés publiques, une lecture ambivalente peut être faite à propos de lui, tout comme dans le cas rosiste.

Premièrement, l’on pourrait dire que dans les deux cas il s’est produit un recul par rapport à l’étape immédiatement précédente. Dans le cas argentin, les intentions de la génération qui encouragea la rédaction des textes de 1819 et 1826 (malgré l’inspiration nettement « étrangère » ou « importée » du mouvement illustré, qui méprisait les conditions autochtones, tellement nécessaires afin de construire un régime politique stable) furent louables, car l’exercice correspondait avec l’idée que l’on se faisait à l’époque du progrès au sens institutionnel. Ainsi, l’intention de mettre en place

un système de normes claires et générales, aptes à être connues pour tous, établissant les droits et obligations du citoyen de même que les prérogatives et limites du Gouvernement, constituaient une condition nécessaire à l’établissement d’un régime politique de caractère prévisible et pas arbitraire. Dans le cas français, il est évident que, malgré certains défauts dans le processus d’enracinement des institutions parlementaires importées de la Grande-Bretagne, les expériences des gouvernements des monarques Louis XVIII et Louis Philippe d’Orléans furent globalement positives. Cette condition globalement positive, malgré l’exclusion de vastes secteurs sociaux des élections, est due au caractère moins concentré du pouvoir politique au sein de l’institution exécutive par rapport à la situation postérieure à la restauration monarchique. Ainsi, dans le Deuxième Empire, malgré l’existence d’une Constitution, la totalité du pouvoir était concentré entre les mains d’un seul. En outre, le caractère fécond du parlementarisme français, c’est-à-dire, le parlementarisme postérieur à l’expérience impériale (avec les particularités énumérées infra) constitue une preuve éloquente de l’influence institutionnelle des épisodes de 1814 et 1830. La dynamique de la relation entre le chef de l’État et les ministres pratiquée par Louis-Philippe, va renaître des cendres et va réapparaître avec toute sa force dans l’étape de consolidation de la Cinquième République.

Deuxièmement, pourtant, il est possible d’argumenter que s’il s’est à la fois produit sous certains aspects, pendant l’Empire en France et pendant l’expérience rosiste, un bond en arrière, il y a aussi eu une avancée par rapport à la situation antérieure. Peut-être que dans le cas argentin, cette avancée semblerait plus tangible ou évidente pour l’observateur. En effet, conséquence directe du désordre civil postérieur à la dissolution du pouvoir national après la démission de Bernardino Rivadavia et l’assassinat de Manuel Dorrego, Juan Manuel de Rosas empêche, dans un premier temps, la dissolution totale du jeune « État » argentin et il rassemble pour lui un cumul très important de facultés. Ces facultés, comme le démontre Víctor Tau Anzoátegui, constituent l’embryon des attributions d’un vrai Gouvernement Fédéral. Louis Napoléon Bonaparte, en se projetant, mobilisé sans doute par ses ambitions impériales, comme l’homme capable de rétablir l’ordre après la révolte de 1848, ouvre aux citoyens une voie afin d’échapper à la crise de la royauté. Son rôle peut aussi s’expliquer comme la réalisation de presque deux décennies de stabilité politique,

lesquelles constituent pourtant, le précédent d’un autre fait violent comme la Commune de Paris et laisse ouvert le terrain pour le débat final pendant la décennie de 1870.

Par conséquent, dans les deux cas, une étape se termine et une nouvelle s’amorce, laquelle, en fonction des éléments qui seront pondérés plus tard, constitue une étape ouverte, antérieure à une ère de stabilité et consolidation de deux régimes et systèmes politiques opposés.

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HAPITRE

IV

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ÉTAPE OUVERTE

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POSTÉRIEURE À LA DÉSARTICULATION