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R ÉSOLUTION DE L ’É TAPE OUVERTE ET DÉBUT D ’ UNE OPPOSITION DES RÉGIMES POLITIQUES ARGENTIN ET FRANÇAIS

L’étape ouverte signifie dans les deux cas l’imposition progressive des positions des factions majoritaires, situation qui annonce un affrontement final et la prépondérance de l’une sur l’autre. Si, dans le cas argentin, la résolution de l’étape ouverte implique l’accroissement de l’institution présidentielle et la consolidation de l’État moderne (1), en France elle passe par l’affrontement entre républicains et légitimistes. Le résultat en est l’élaboration des Lois constitutionnelles de 1875 et l’affaiblissement de l’institution présidentielle après la crise de 1877 (2). L’exposition des deux processus est importante car son résultat éclaire les évolutions institutionnelles ultérieures.

§ 1. Accroissement

de

l’institution présidentielle et

consolidation de l’État

Dans le cas argentin, le renversement de Juan Manuel de Rosas n’impliqua pas seulement la chute d’un régime qui avait établi laborieusement une autorité centrale efficace, mais fut aussi à l’origine d’un retour massif des exilés. Ces expatriés, qui parvinrent à faire voter en 1853 une norme constitutionnelle imposant un fédéralisme atténué, entament une dispute avec les leaders de l’intérieur du pays. La dispute se concentre sur la question de la fédéralisation de la ville de Buenos Aires afin qu’elle devienne la capitale de la nation. Ainsi, deux partis sont-ils établis : ceux qui défendent l’appartenance de la ville à la province de Buenos Aires et ceux qui supportent l’option contraire afin de produire, finalement, un équilibre entre les pouvoirs national et provincial et échapper à la crise cyclique à l’origine de l’affrontement des deux pouvoirs (pouvoir « national » et pouvoir « citadin »).

Pourtant, même avant la résolution finale du conflit qui empêche l’établissement d’un pouvoir central en Argentine, deux processus (dont l’un est lié à l’autre) peuvent être identifiés.

D’une part, l’existence de certains signes qui impliquent un renforcement du pouvoir central ou du pouvoir présidentiel peut être appréciée.

Premièrement le fait, inédit jusqu’à présent, d’une transmission pacifique des pouvoirs, a lieu. Elle a pour protagonistes le Président sortant Bartolomé Mitre et le Président arrivant, Domingo Faustino Sarmiento.

Deuxièmement, la totalité des forces provinciales sont réunies afin de combattre un ennemi commun dans la guerre où s’affrontent l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay contre la République du Paraguay.

Troisièmement, pendant la présidence de Domingo Faustino Sarmiento se produit pour la première fois le fait « qu’une question provinciale est résolue seulement en raison de l’autorité présidentielle »208.

208

FLORIA (Carlos A.) et GARCIA BELSUNCE (César A.), Historia política de la Argentina

contemporánea 1880 – 1983, Alianza Editorial, 1989 p. 47 (TDA). Il s’agit de la question oppossant le

Quatrièmement, pendant la deuxième transition présidentielle, le récemment élu Président Nicolás Avellaneda, dauphin du Président sortant Domingo Sarmiento, obtient un triomphe des forces nationales, commandées par le colonel Julio Argentino Roca, sur celles des révolutionnaires de 1874, commandées par le général Mitre.

Finalement, c’est le Président Avellaneda, avec le support de l’Armée déjà définitivement roquiste qui prépare le terrain pour la consolidation finale du pouvoir présidentiel argentin avec la victoire du Gouvernement fédéral sur le Gouvernement provincial. Malgré cela, ce n’est pas Avellaneda mais Roca qui prend les décisions.

D’autre part, après la « victoire » mitriste à Pavón209, l’on repère le début d’un

processus à travers lequel a lieu la consolidation des attributs qui définissent la « condition d’État » de l’État argentin moderne210. C’est alors que l’État argentin devint une instance efficace d’organisation du pouvoir et d’exercice de la domination politique211. L’aspect essentiel afin de comprendre ce processus est le fait qu’après Pavón l’on évolue d’un conflit « horizontal » parmi des égaux (par exemple le conflit

l’opposition, avec le Gouvernement Fédéral. Citation originale : “que una cuestión provincial se

[resuelva] solamente en virtud de la autoridad del Presidente”.

209 Laquelle implique l’intégration finale entre l’État de Buenos Aires et la Confédération Argentine. 210 Selon Oscar Oszlak, la « condition d’État » (estatidad en espagnol) peut être identifiée à travers quatre

attributs qui doivent être impérativement possédés par l’entité en formation : 1) Capacité d’externaliser son pouvoir, en obtenant ainsi sa reconnaissance comme unité souveraine dans un système de rapports interétatiques ; 2) Capacité d’institutionnaliser son autorité, en imposant une structure de rapports de pouvoir qui garantit son monopole sur les moyens organisés de coercition ; 3) Capacité de l’État de différencier son contrôle à travers l’organisation d’institutions publiques ayant une légitimité lui permettant d’extraire des ressources de la société civile, avec un degré de professionnalisation des fonctionnaires et un contrôle exercé sur ses activités et 4) Capacité d’internaliser une identité collective, à travers l’émission de symboles qui renforcent des sentiments d’appartenance et solidarité sociale et permettent, par conséquent, un contrôle idéologique comme mécanisme de domination. Cf. OSZLAK

(Oscar), La formación… pp. 16 et 17.

211 Ainsi, l’État argentin se consolide-t-il et abandonne-t-il une caractéristique de la période antérieure,

laquelle montre une succession d’États premodernes, dont l’élément qui les distingue des États modernes est le caractère affaibli de ces éléments constitutifs : territoire avec des limites mais sans frontières, population indéfinie quantitativement et qualitativement et pouvoir mis en cause. Cf. ORTIZ (Tulio), « La globalización y el Estado moderno: ¿extinción o transformación? » en ORTIZ (Tulio), PARDO

(María Laura) et NOBLÍA (María V.) –Coords.-, Origen y transformación del Estado argentino en

entre des caudillos de province ou le conflit qui affronta la Confédération à l’État de Buenos Aires) vers un conflit « vertical » dans lequel l’on parlera plutôt de « rébellion intérieure»212.

Ainsi, le processus de consolidation de l’État argentin moderne apparaît-il comme étant « un vrai processus d’« expropriation » sociale, dans le sens que sa création et expansion implique la conversion d’intérêts « communs » de la société civile en intérêt général et, pour cette raison, en objet d’action de cet État en formation. Au fur et à mesure que ce phénomène a lieu, la société perd des compétences, des espaces d’action, dans lesquels jusqu’en ce moment elle avait résolu – à travers plusieurs instances et mécanismes – les affaires qui demandent des décisions collectives de la communauté »213. Or, ce processus d’« expropriation » acquiert un caractère complexe et qui permet d’identifier quatre formes de « pénétration » étatique dans la société, lesquelles l’affirment comme État-Nation.

Premièrement, une pénétration « répressive ». Elle « implique l’application de la violence physique ou la menace de coercition, tendant à obtenir l’obéissance de la volonté [exercé par l’État] et à supprimer toute éventuelle résistance à son autorité »

214. Dans le cas argentin il s’agit de la création, l’institutionnalisation et l’utilisation de

l’armée nationale afin d’imposer l’autorité de l’État national.

Deuxièmement, une pénétration « cooptative ». Elle « implique la captation du support parmi les secteurs dominants locaux et les gouvernements provinciaux, à

212

Cf. OSZLAK (Oscar), La formación… p. 96.

213

Ibídem p. 97 (TDA). Citation originale : “como un verdadero proceso de “expropiación” social, en el

sentido de que su creación y expansión implica la conversión de intereses “comunes” de la sociedad civil en objeto de interés general y, por lo tanto, en objeto de acción de ese Estado en formación. A medida que ello ocurre, la sociedad va perdiendo competencias, ámbitos de actuación, en los que hasta entonces había resuelto –a través de diferentes instancias y mecanismos- las cuestiones que requieren decisiones colectivas de la comunidad”.

214

Ibídem p. 104 (TDA). Citation originale : “implica la aplicación de la violencia física o amenaza de

coerción, tendientes a lograr el acatamiento a la voluntad de quien la ejerce y a suprimir toda eventual resistencia a su autoridad”.

travers des alliances et des coalitions fondés dans des compromis et prestations réciproques tendant à préserver et consolider le système de domination national »215. Ainsi, à travers la fonction publique, des subventions aux provinces ou l’utilisation de l’intervention fédérale prévue par la Constitution de 1853, chercha-t-on l’incorporation des secteurs dominants provinciaux, non comme étant des représentants des intérêts locaux, mais comme des composants du nouveau pacte de domination.

Troisièmement, une pénétration « matérielle », laquelle implique une pénétration à travers des « œuvres, services, régulations et récompenses orientés vers l’incorporation des activités productives développées tout au long du territoire au circuit dynamique de l’économie pampéenne » afin d’étendre le marché national et la base sociale de l’alliance dont dépendait le support du nouvel État, en raison des bénéfices que devaient obtenir les acteurs économiques du marché récemment accru216. Ainsi, l’expansion du chemin de fer et des chantiers publics en général permit-elle la consolidation de la présence étatique sur le ensemble du territoire.

Finalement, la pénétration « idéologique ». Elle implique « d’une part, la création d’une conscience nationale ; c’est-à-dire d’un sentiment d’appartenance fort à une certaine société territorialement délimitée, laquelle peut être identifiée à travers une communauté d’origine, langue, symboles, traditions, croyances et expectatives concernant un destin partagé. D’autre part, l’internalisation des sentiments qui signifient une adhésion « naturelle » à l’ordre sociale et qui en le légitimant, permettent que la domination devienne en hégémonie » 217. Selon l’explication d’Oscar

215

Ibídem p. 120 (TDA). Citation originale : “se refiere a la captación de apoyos entre los sectores

dominantes locales y gobiernos provinciales, a través de alianzas y coaliciones basadas en compromisos y prestaciones recíprocas tendientes a preservar y consolidar el sistema de dominación impuesto en el orden nacional”.

216

Ibídem pp. 132-133 (TDA). Citation originale : “obras, servicios, regulaciones y recompensas

destinados fundamentalmente a incorporar las actividades productivas desarrolladas a lo largo del territorio nacional al circuito dinámico de la economía pampeana”.

217

Ibídem pp. 150-151 (TDA). Citation originale : “por una parte, la creación de una conciencia

nacional, es decir un sentido profundamente arraigado de pertenencia a una sociedad territorialmente delimitada, que se identifica por una comunidad de origen, lenguaje símbolos, tradiciones, creencias y expectativas acerca de un destino compartido. Por otra, la internalización de sentimientos que entrañan

Oszlak, cette pénétration apparut notamment dans les années 1880 (pourtant, d’un point de vue analytique il faut l’étudier avec les autres formes de pénétration) à travers trois éléments. Premièrement, le contrôle de l’éducation publique laïque par l’État national ; deuxièmement, l’établissement du Mariage Civil et finalement le service militaire obligatoire.

Ainsi, l’État national argentin put-il achever sa consolidation à travers deux grandes « stratégies ». D’une part, une stratégie coercitive, matérialisée par la pénétration répressive, et d’autre part, une stratégie consensuelle, à travers les pénétrations cooptative, matérielle et idéologique. Elles permettent donc un avancement qui ouvre la voie au succès transcendant de 1880.

Or, pendant la succession présidentielle de 1880, le conflit cyclique entre les pouvoirs national et provincial de Buenos Aires réapparait. Au sein du cabinet d’Avellaneda deux candidats se profilent : Julio A. Roca, supporté par l’Armée et une Ligue de Gouverneurs de l’intérieur prête à contrôler le pouvoir porteño et Santiago Laspiur218, avec l’appui des nationalistes. Le gouverneur de la province, Carlos Tejedor, en raison du poids traditionnel de Buenos Aires, considère aussi qu’il est capable d’occuper la présidence. L’explosion du conflit pour le pouvoir national et le moment constitutif de l’Argentine moderne ont ainsi lieu et se matérialisent dans le support d’Avellaneda et Roca au projet tendant à déclarer Buenos Aires capitale fédérale de l’Argentine.

La présidence de Julio Argentino Roca signifie la consécration du pouvoir présidentiel, car depuis son mandat le chef de l’État dispose de la totalité des attributions prévues par le texte constitutionnel de 1853.

Si, dans le cas argentin, l’accroissement du pouvoir présidentiel et la consolidation de l’État permettent de clôturer l’étape ouverte, dans le cas français, par contre, les institutions vont marquer l’affaiblissement du pouvoir présidentiel.

una adhesión “natural” al orden social vigente y que, el legitimarlo, permiten que la dominación se convierta en hegemonía”.

218

Pendant le processus qui aboutit à la bataille, Domingo Faustino Sarmiento a aussi postulé comme candidat.

§ 2. Affrontement entre républicains et légitimistes, sanction