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Chapitre 1 : Enfance et handicap au Québec : état de la question, notions théoriques,

1.2 Le concept du handicap

1.2.3 Disability

Il peut sembler étonnant que le mot handicap, qui tire ses origines de la langue anglaise, ait perdu ses lettres de noblesse dans le monde anglo-saxon où le terme est perçu comme

66 Notons que « réadaptation » est aussi un mot relativement nouveau dans la langue française, dont la naissance est attestée dans Le Petit Robert en 1897. À partir de 1933, les dictionnaires lui donnent un sens thérapeutique en ajoutant lřadjectif « fonctionnelle », avec des exemples empruntés aux techniques de la médecine physique. Son ascension dans le vocabulaire médico-social est parallèle à celle du mot handicap.

67 Henri-Jacques Stiker, « De la métaphore au modèle… », p. 23.

68 Henri-Jacques Stiker, « Comment nommer les déficiences ? », Ethnologie française, vol. 39, no 3 (2009), p. 467.

« politiquement incorrect ». Il y sera détrôné et remplacé par « disability ». Pourtant, lřétymologie de ce mot est formée du préfixe latin « dis » qui indique la séparation, la différence, le défaut. Une division sémantique sřeffectue entre le terme able et disable, créant donc deux catégories de personnes, séparées par la capacité (physique, mentale, etc.).

Dans un ouvrage qui trace les fondements du champ des « disability studies », lřactiviste américaine Simi Linton consacre un chapitre à la terminologie, intitulé « Reassigning meaning »69. Elle y souligne lřabandon du terme « handicap » dès les années 1970, le mot ayant en anglais une connotation péjorative, ce qui ne serait pas le cas en français. Lřauteure atteste que les termes « disability » et « disabled people » sont les plus couramment utilisés par les activistes du mouvement de défense des droits des personnes handicapées. Le terme disability au sens strict renvoie à une condition physique ou psychique, (déficience) et est largement utilisé dans le domaine para-médical de la réadaptation. Lřemploi médical du mot a été critiqué par les intellectuels handicapés qui estiment quřil nie les barrières sociales et économiques auxquelles les personnes sont confrontées. Le terme a donc été réinvesti par les intellectuels de ce domaine dřétude dřun nouveau sens qui intègre les dimensions socio- politiques. En dépit du risque de la stricte appropriation du mot par le pouvoir médical, « women and men with disabilities, disabled people and the disability community are terms of choice for the group. We have decided to reassign meaning rather than choose a new name »70.

Comme lřexplique Simi Linton, « I am not willing or interested in erasing the line between disabled and nondisabled people, as long as disabled people are devalued and discriminated against, and as long as naming the category serves to call attention to that treatment »71. Lřutilisation de la majuscule « Disabled » par plusieurs penseurs traduit par ailleurs la volonté de référer au concept, avec toute sa charge politique et socio-culturelle, par opposition au « d » minuscule qui indique un état médical, selon la logique empruntée notamment à lřethnicité : le terme « black » indiquant lřaspect biologique alors que « Black » réfère à un concept culturel (être Noir en Amérique, par exemple).

69 Simi Linton, « Reassigning Meaning », dans Simi Linton, Claiming Disability : Knowledge and Identity, New York, New York University Press, 1998, p. 8-33.

70 Ibid., p. 31. Nous soulignons. 71 Ibid., p. 13.

Dans un article qui trace lřétat des lieux des disability studies, Albrecht, Ravaud et Stiker indiquent que les spécialistes du handicap introduisirent un changement de paradigme majeur dans la pensée conceptuelle, en détournant lřattention du modèle médical traditionnel vers la notion du handicap comme une conséquence des barrières socialement construites comme lřexclusion, lřinaccessibilité, les préjugés ou la discrimination. Cette approche est appelée « modèle social du handicap ». Lors dřun congrès de la Society for Disability Studies, un panel présidé par Simi Linton en livre la définition suivante, reprise par la suite par de nombreux spécialistes :

Les disability studies restructurent lřapproche du handicap en se centrant sur lui en tant que phénomène social, construction sociale, métaphore et culture, utilisant un modèle de groupe minoritaire. Elles examinent les idées relatives au handicap sous toutes les formes de représentations culturelles tout au long de lřhistoire et analysent les politiques et pratiques de toutes les sociétés afin de comprendre les déterminants sociaux plutôt que physiques ou psychologiques de lřexpérience du handicap […] Ce changement ne signifie pas le déni de lřexistence de déficiences ni le rejet de lřutilité dřinterventions et de traitements. Au lieu de cela, les disability studies se sont développées pour dégager les déficiences du mythe, de lřidéologie et du stigmate qui influencent interactions et pratiques sociales72.

Les disability studies visent donc à se distinguer et à sřémanciper des études médicales ou paramédicales du handicap en proposant une analyse transgressive, comme lřexplique Dan Goodley : « Critical disability studies open up spaces for rethinking self and other » 73. La perspective analytique que propose ce champ dřétudes veut aussi remettre en question les distinctions en « ability » et « disability » (capacité et incapacité) qui sont trop souvent prises pour acquis. En accord avec cette perspective, le terme retenu dans cette étude sera celui de « handicap » ou de personnes handicapées, puisquřil sřagit du mot qui fait référence à la charge sociale sous-jacente ainsi quřau caractère « construit » dřun tel concept. Par ailleurs, puisquřil sřagit dřune recherche en histoire, les mots en usage au cours des différentes époques seront employés dans leur contexte : par exemple, nous utiliserons le mot « infirme » même sřil est aujourdřhui péjoratif lorsque nous traiterons de la période antérieure à 1960.

72 Albrecht, Ravaud, Stiker, « Lřémergence des disability studies : état des lieux et perspectives, Sciences

sociales et Santé, vol. 19, no 4 (2001), p. 59.