4. DISCUSSION
4.2. Discussion des points significatifs de l’étude
4.2.1. La diminution du dépistage en cas d’obésité, du seul fait de leur poids
Les résultats de l’étude montrent que les sujets maigres (IMC < 18,5 kg/m
2) âgés de plus
de 75 ans, ont une probabilité significativement plus importante de bénéficier d’un dépistage de
la dénutrition par un outils biologique que les sujets âgés de plus de 75 ans en surcharge
pondérale (IMC ≥ 25 kg/m
2), quels que soient le genre et les comorbidités des patients.
La fréquence de la dénutrition chez les personnes âgées obèses est-elle moins importante ?
Une question importante est de savoir si la dénutrition est aussi fréquente chez les
personnes âgées obèses que chez les personnes âgées maigres. Aucune étude ne compare
exactement la prévalence de la dénutrition en fonction de l’IMC. Plus l’albuminémie est faible,
plus y est associé un risque de diminution de la masse musculaire squelettique sur 5 ans donc
un risque de sarcopénie chez les personnes âgées (47). D’après cette dernière étude on peut
estimer que la dénutrition et la sarcopénie sont fortement liées. Selon Quilliot et al. la
prévalence de la sarcopénie chez les sujets de plus de 65 ans est de l’ordre de 6 à 15 %, et elle
est de 20% chez les sujets âgés obèses (26) ; selon Tardiff et al. les personnes obèses et
sarcopéniques représentent entre 5 et 15% des personnes agées. Aucune étude ne prouve que
ni la sarcopénie ni la dénutrition ont une prévalence plus faible chez les personnes âgées
obèses. Si on suppose que la prévalence de la dénutrition n’est pas modifiée en fonction de
l’IMC, alors les médecins devraient rechercher aussi bien la dénutrition chez les personnes
maigres que celles en état d’obésité. De plus, selon les recommandations HAS, toutes les
personnes âgées de plus de 75 ans devraient bénéficier d’un dépistage de la dénutrition. Donc à
partir de cet âge, les médecins devraient s’affranchir du poids du patient et la dépister tout
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aussi bien chez un patient maigre que chez un patient en surpoids. La question est de savoir ce
qui freine le médecin à dépister les personnes âgées en surcharge pondérale.
Les critères de dépistage de la dénutrition sont-ils inadaptés chez la personne âgée obèse ?
Certains critères diagnostiques de la dénutrition chez la personne âgée d’après la HAS
sont difficilement applicables chez la personne en obésité. En effet une personne âgée est
dénutrie si son IMC est inférieur à 21 kg/m
2, critère qui ne peut s’appliquer à la personne
atteinte d’obésité car par définition cette dernière a un IMC > 30 kg/m
2. La réalisation du test
MNA avec un score similaire aux personnes âgées en état de maigreur est faisable. En pratique
courante, il n’est pas ou peu réalisé (9,11). La perte de poids de 5% du poids en 1 mois est un
bon critère réalisable de recherche de dénutrition. Malheureusement une personne obèse qui
perd du poids sera le plus souvent encouragée en regard de l’amélioration des signes
fonctionnels ou des douleurs articulaires. Le dosage de l’albuminémie comme marqueur
diagnostique de la dénutrition est controversé.
Les outils pour la diagnostiquer, telle que l’albuminémie, sont-ils fiables chez la personne âgée
obèse ?
Le seuil de l’albuminémie pour le diagnostic de dénutrition est le même chez une
personne jeune et une personne âgée (48), son taux n’est pas modifié par le vieillissement (6).
Il existe une fuite physiologique d’albumine du secteur vasculaire au secteur
extravasculaire, qui est augmentée en cas de syndrome inflammatoire (sous l’influence d’IL2 et
IL6). De même, en cas d’hémodilution la valeur de l’albuminémie est diminuée (49). Ces
phénomènes sont fréquents en cas d’obésité. Pourtant, l’hypoalbuminémie reflète un risque de
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morbi-mortalité indépendamment de l’IMC (50). Chez les personnes âgées en surpoids ou en
état d’obésité, les mêmes seuils diagnostiques sont utilisés. Ainsi on peut considérer le dosage
de l’albuminémie comme fiable.
Encore faut-il y penser
Les médecins qui utilisent un outil biologique tel que l’albuminémie pour le dépistage de
la dénutrition utilisent plus le test de la dénutrition type MNA. On peut supposer que lorsqu’un
médecin évoque la dénutrition chez son patient, il n’utilise pas seulement un critère de la
définition. Il va être plus attentif au poids et à la prise en charge thérapeutique qui en découle…
L’albuminémie étant un examen facilement réalisable en laboratoire de ville, on peut penser
que les médecins qui ne la réalisent pas sont ceux qui ne pensent pas à rechercher la
dénutrition ou ceux qui ne s’y intéressent pas. On peut supposer que les raisons de ne pas faire
le questionnaire MNA sont plus larges : le manque de temps et la pénibilité s’ajoutent aux
raisons précédentes. L’association trouvée dans notre étude semble avoir un lien car un
médecin qui diagnostique une dénutrition avec un questionnaire MNA va aisément doser
l’albuminémie pour voir la profondeur de la dénutrition et en faire le suivi. Dans la méta-analyse
de Vincent et al., chez des patients hospitalisés en vue d’une chirurgie, le risque de décès est
augmenté de 137% et la morbidité de 87 % pour chaque perte de 10 g/l d’albuminémie, ce
risque est le même après ajustement par l’IMC (50).
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« La forêt cache t’elle un arbre ? » : l’accumulation de maladies chroniques à traiter masque
t’elle la dénutrition chez les personnes âgées obèses ?
On peut penser que les médecins généralistes sont préoccupés par d’autres pathologies
à dépister et à traiter. En effet en médecine générale, devant une personne obèse il faut penser
à dépister un syndrome d’apnée du sommeil, les pathologies cardiovasculaires… L’organisation
du suivi d’un patient, surtout un patient asymptomatique, demande au médecin de prioriser le
dépistage des maladies par ordre de fréquence et de gravité.
Dans l’analyse univariée, le fait d’être diabétique, hypertendu, ou dyslipidémique entraine une
diminution du dépistage de la dénutrition. Ces pathologies sont plus fréquentes chez les obèses
que chez les maigres (43).
Dans l’analyse multivariée, les antécédents précédemment cités ne ressortent pas
comme variables influençant le dépistage biologique de la dénutrition car ils sont probablement
liés à la surcharge pondérale. En effet les patients ayant une surcharge pondérale sont plus
souvent atteints de dyslipidémie, hypertension artérielle, diabète (43,46). La probabilité d’avoir
3 facteurs de risque cardiovasculaires traités chez les obèses est 14 fois plus importante que
chez les sujets de corpulence normale (43). Elles sont souvent associées, donc occupent une
place importante dans une consultation de médecine générale et peuvent occulter d’autres
problèmes tels que la dénutrition. Ces pathologies sont des maladies de surcharge : représentée
par un excès de sucre, de sel, de gras… Comment imaginer le « moins » dans des pathologies du
« trop » ? Le fait de conseiller à un patient âgé en surpoids de suivre un régime diététique avec
une limitation sur un aliment est un facteur de risque de dénutrition. Mais, le médecin ne
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s’adapte pas à cette nouvelle situation à risque de dénutrition. En provoquant ce risque, le
comportement du médecin en matière de dépistage n’est pas modifié. Donc le fait d’avoir
plusieurs comorbidités à prendre en charge n’est pas un frein au dépistage de la dénutrition
chez les personnes âgées obèses.
Si ni la fréquence, les critères, les outils du dépistage de la dénutrition, ni la
polypathologie n’expliquent cette diminution du dépistage biologique de la dénutrition, alors on
peut conforter notre hypothèse que les personnes âgées en surpoids sont moins dépistées
seulement du fait de leur poids. Les médecins généralistes ne s’imaginent pas l’association de
ces deux états. Devant une personne âgée obèse, les médecins généralistes ne pensent pas à
rechercher la dénutrition donc ils utilisent moins les outils biologiques. Ils ne l’évoquent pas à
cause d’une représentation erronée de l’excès pondéral et de la dénutrition.
Même si les variables des comorbidités ne ressortent pas en analyse multivariée, que
seule l’obésité est la variable significative, cela ne remet pas en cause l’approche subjective de
la représentation comme illustration du modèle additif (cf infra).
La représentation de l’obésité : une source d’erreur ?
Laplantine explique la maladie comme un déséquilibre lié à un élément en « trop » ou en
« moins », c’est-à-dire avec un modèle additif et/ou un autre à l’opposé, soustractif (51). De
nombreuses pathologies sont expliquées par les médecins et mieux comprises par les patients
par ce modèle. Par exemple, l’hypertension est expliquée par une tension trop élevée, le
diabète par une quantité de sucre trop importante, la dyslipidémie par trop de gras… et
l’obésité par un excès de poids.
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Concernant l’obésité, une partie est expliquée par le soustractif : c’est-à-dire le manque
d’éducation nutritionnelle ou de retenue face à une tentation alimentaire, les carences morales,
l’absence d’effort pour une adéquation à un idéal du corps (18). Ce manque entraine un surplus.
Mais il est plus difficile d’imaginer l’association d’une carence et d’un surplus. En conséquence,
l’obésité est principalement décrite par le modèle additif c’est à dire la pulsion orale face à des
aliments maléfiques mangés en excès. (18)
Comme nous l’avons dit précédemment, l’obésité, le diabète, l’hypertension artérielle, la
dyslipidémie sont souvent associées, c’est-à-dire qu’un patient qui a excès de poids va plus
souvent avoir un excès de sucre, de cholestérol et de tension artérielle. Donc face à un patient
en obésité on s’imagine qu’il a un surplus dans tous les domaines, et pas seulement les lipides,
le sucre.... Et il est difficile de s’imaginer un patient en obésité manquer de quelque chose (18).
D’autant plus lorsque ce manque est lié à l’alimentation par déficit d’apport en protéines.
4.2.2. Autres points pouvant expliquer la diminution du dépistage chez les sujets en
Dans le document
UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE - PARIS VI
(Page 71-76)