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La structure bidimensionnelle des TIP

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 37-45)

L’étude de la structure dimensionnelle des TIP a eu lieu entre les années 1950 et 1990 (voir Beauvois, 1982 pour une revue). La grande majorité des recherches a mis en évidence que deux dimensions évaluatives structurent les traits (voir Rosenberg et Sedlack, 1972). Cela signifie que les traits communiquent leur valence dans deux registres différents. Nous allons envisager cette structure bidimensionnelle à travers les deux techniques principales qui ont servi à la mettre à jour : 1) la technique du différentiateur sémantique (cf. les échelles d’évaluation) et 2) la technique du tri (cf. sorting task).

3.1 Les deux dimensions des TIP mises à jour par le différentiateur sémantique

A l’origine, le différentiateur sémantique est un outil qui a été développé dans le cadre des recherches psycholinguistiques de Charles Osgood (Osgood, Suci et Tannenbaum, 1957).

Il n’était initialement pas destiné à l’étude des TIP mais à celle de la signification connotative des mots. Mais cet outil permettait de faire émerger la structure factorielle sous-jacente des mots. Il a donc été utilisé par les psychologues sociaux (ex : Kim et Rosenberg, 1980 ; Kuusinen, 1969 ; Tzeng, 1975), et par Osgood lui-même par la suite (Osgood, 1962, 1979), comme un moyen de mettre à jour la structure dimensionnelle des traits. Avant d’aborder ces travaux, on rappelle l’essentiel du modèle d’Osgood et de l’outil qu’il a développé.

3.1.1 Du modèle d’Osgood…

Dans ses travaux initiaux, Osgood ne s’intéressait donc pas aux jugements sociaux mais à l’aspect connotatif de tout concept (ex : pomme, chien, etc.), c'est-à-dire, à leur signification affective / évaluative positive vs. négative. Comme la plupart des linguistes, Osgood distinguait clairement la composante connotative d’un mot de sa composante dénotative. Par exemple, si le mot « fleur » connote un affect positif, il dénote par ailleurs l’objet réel qu’il désigne. Pour Osgood, la signification connotative est structurée par plusieurs dimensions20 qui sont encodés dans l’univers des adjectifs. Pour vérifier cette

20 Pour Osgood et al. (1957), cette signification ne peut être que pluridimensionnelle parce qu’elle a pour origine les différentes modalités de l’évaluation sensorielle. Par exemple, l’évaluation que l’on fait d’un objet est différente selon qu’elle est réalisée par la vue, l’odorat, le toucher, etc. Les mots étant des concepts sémantiques se référant à ces objets, leur signification connotative devrait refléter les modalités évaluatives que

hypothèse, il a élaboré un instrument : le différentiateur sémantique. Cet instrument est constitué d’une grille d’évaluation consistant à positionner un mot sur une série d’échelles de Lickert opposant chacune deux adjectifs antonymes, comme dans l’exemple suivant.

l’on capte avec les organes sensoriels. Par exemple, si la vue permet d’évaluer le dynamisme d’un objet, et l’odorat d’évaluer l’agréabilité, ces modalités devraient se retrouver dans le structure des mots.

Mauvais . . . . X . Bon

Laid . . . X Beau

Sale . . . X Propre

Faible . . . X . . Fort

Léger . . X . . . Lourd

Lent . . . X Rapide

Passif . . . X Actif Etc.

En utilisant ainsi un grand nombre d’échelles et en demandant à ses sujets d’évaluer un grand nombre de mots, Osgood a montré à l’aide d’analyses factorielles que trois dimensions résument la variance des évaluations de façon satisfaisante : 1- la « valeur » (ex : bon-mauvais, agréable-désagréable, etc.), 2- la « puissance » (ex : fort-faible, lourd-léger, etc.) et 3- « l’activité » (ex : actif-inactif, dynamique-mou, etc.), formant ainsi le modèle

« VPA ». Cela signifie que n’importe quel mot peut être positionné dans l’espace connotatif VPA et peut donc être différencié d’autres mots. Prenons par exemple les mots « fusée » et « missile ». On imagine sans difficulté que si les deux diffèrent sur la dimension « valeur » (« missile » étant connoté plus négativement que « fusée »), ils diffèrent moins sur les dimensions « puissance » ou « activité ».

Des travaux ultérieurs (voir Osgood, 1962, 1979 ; Tanaka et Osgood, 1965) ont montré que ces trois dimensions structuraient une grande variété de concepts (ex : les valeurs humaines, les entités abstraites, les animaux, les objets physiques1). Notons également que dans le cadre de ces généralisations, Osgood a argué que les deux dernières dimensions (puissance et activité), étant donné leur corrélation positive, pouvaient être résumées en une seule qu’il a appelée le « dynamisme ». La signification connotative de tout concept pouvant ainsi être cartographiée dans un espace bidimensionnel orthogonal formé d’une dimension d’évaluation affective (cf. bon vs. mauvais) et d’une dimension d’évaluation du dynamisme (cf. fort vs. faible). Voyons maintenant comment le différentiateur sémantique a permis d’appréhender la structure des TIP.

1 On reviendra sur ce point plus loin.

3.1.2 … aux deux dimensions des TIP

Le différentiateur sémantique a été très utilisé pour faire émerger la structure dimensionnelle des traits de personnalité, ou autrement dit la structure des TIP (voir Kim et Rosenberg, 1980). Il suffisait pour cela de remplacer les échelles d’anonymes par des couples de traits de personnalité antonymes. Cette technique permettait ainsi de recueillir les jugements réalisés par des sujets à propos, soit de personnes cibles (il s’agissait dans ce cas de jugements personnologiques), soit de traits (il s’agissait dans ce cas de jugements de co-variations linguistiques).

Kuusinen (1969) a ainsi formé cinquante-neuf échelles d’antonymes (ex : patient / impatient, moral / immoral, excité / calme, etc.)2 pour étudier les jugements personnologiques.

Les sujets devaient évaluer des personnes (ex : eux-mêmes, un ami, un collègue, Albert Einstein, etc.) en les positionnant sur chaque échelle. L’analyse factorielle a fait émerger une structure proche du modèle VPA expliquant près des trois quarts de la variance (voir aussi Osgood, May et Miron, 1975 ; Tzeng, 1975). La première dimension donnait « l’évaluation » en terme de moralité (ex : moral / immoral, digne de confiance / pas digne de confiance, etc.), la seconde donnait « l’activité » en terme de dynamisme (ex : actif / inactif, agile / maladroit, etc.), la troisième donnait la « puissance » en terme de dominance (ex : flexible / rigide, individualiste / régulier, etc.). Rosenberg et Olshan (1970) se sont, quant à eux, intéressés aux jugements de co-variations linguistiques. En effet, les sujets devaient évaluer, non pas des personnes, mais des traits, et ceci sur plusieurs échelles d’antonymes typiques du différentiateur sémantique. Ils ont trouvé une structure tridimensionnelle semblable. De même, Mulaik (1964) l’a retrouvée dans l’évaluation des personnes, des groupes, et des traits de personnalité. De tels résultats suggèrent que les dimensions obtenues à l’aide du différentiateur sémantique renvoient bel et bien à la structure d’une TIP couvrant l’ensemble du registre personnologique.

Par ailleurs, Kim et Rosenberg (1980), en examinant les jugements personnologiques ainsi que les covariations, ont montré que les deux dernières dimensions (« puissance » et

« activité ») étaient positivement corrélées, et ne formaient qu’une dimension (proche de la dimension « dynamisme » d’Osgood) orthogonale à la première (« évaluation »). Ils ont d’abord demandé à une vingtaine de sujets d’évaluer chacun trente-cinq personnes sur des

2 A partir d’adjectifs que des sujets avaient eux-mêmes produits librement dans une étude pilote.

échelles du différentiateur sémantique. Les résultats d’une analyse factorielle (cf. AF) montrent que les deux dernières dimensions (« activité » et « puissance ») sont positivement corrélées (R=.51 en moyenne)3 et que les corrélations individuelles (c.à.d. pour chaque sujet examiné séparément) entre ces deux dimensions sont significatives pour la quasi-totalité des sujets (allant de R=.15 jusqu’à R=.88). Ensuite, ils ont demandé à ces mêmes sujets d’évaluer une liste de traits (qu’ils avaient produits librement vs. qu’on leur a fournie) sur les échelles du différentiateur. Les résultats d’une seconde AF montrent des résultats similaires. En effet, les deux premières dimensions expliquent 68% (valeur=43% et puissance=25%) et la troisième (activité) explique seulement 9% pour les réponses libres. De même, pour les réponses structurées, les deux premières expliquent 58% (valeur=34%, puissance=24%) et la troisième seulement 13%. Là encore, les deux dernières dimensions étaient positivement corrélées, et ceci dans les deux conditions (« réponses libres » : R=.54 et toutes autres corrélations entre les trois dimensions <.32 ; « réponses structurées » : R=.33 et toutes autres corrélations proches de 0). Ces résultats montrent, comme ceux d’Osgood et al. (1975), que les deux dernières dimensions ne forment qu’une.

Ainsi, la mise à jour des dimensions structurant les traits à l’aide du différentiateur atteste de l’existence de deux dimensions évaluatives plutôt que trois. Pour Kim et Rosenberg (1980), la première dimension (l’évaluation générale), serait en rapport avec la sociabilité et l’intimité (ex : amical/inamical, honnête/malhonnête, appréciable/inappréciable, etc.) et la seconde (le dynamisme) serait en rapport avec la compétence et le succès (ex : intelligent/inintelligent, mature/immature, efficace/inefficace, etc.).

Nous allons voir maintenant qu’une même structure bidimensionnelle des TIP a été mise en évidence à l’aide d’une autre technique : la technique du tri.

3.2 Les deux dimensions des TIP mises à jour avec la technique du tri

Comme indiqué plus haut, il existe différentes méthodes de descriptions psychologiques (voir Beauvois, 1982 pour une revue). Nous allons envisager celle qui, avec la différentiateur, a été la plus utilisée dans l’étude des TIP : la dite « technique du tri » (cf.

sorting task : Friendly et Glucksberg, 1970 ; Rosenberg et al., 1968).

3 Toutes les autres corrélations étaient proches de 0.

Rosenberg, Nelson et Vivenkananthan (1968) sont, à notre connaissance, les premiers à l’avoir utilisée. Dans leur expérience, les participants avaient pour tâche d’utiliser une liste de soixante-quatre traits pour décrire plusieurs personnes de leur choix. Selon la technique du tri, ils devaient répartir les traits en paquets, chaque paquet devant leur permettre de décrire de façon cohérente une personne donnée. Conformément à la définition des TIP, l’analyse a porté sur les cooccurrences entre les traits, traduites ici en termes de distances statistiques entre chaque trait pris deux à deux4. Selon Rosenberg et al. (1968), cette distance statistique traduit une distance psychologique que l’on peut représenter géométriquement à l’aide d’un EMD. Afin de déterminer les dimensions organisant ces distances, ils ont demandé à d’autres sujets d’évaluer chaque adjectif sur trois échelles d’antonymes représentatives de la structure VPA : valeur (bon/mauvais), puissance (dur/mou) et activité (actif/passif). Les résultats de l’EMD ont montré qu’une solution en deux dimensions était plus appropriée qu’une solution en trois dimensions (Figure 2)5. Les auteurs ont ainsi remarqué que les traits s’opposant sur la première dimension (chaleureux, honnête vs. froid, malhonnête) expriment davantage la désirabilité plus ou moins positive des individus dans leurs activités sociales alors que ceux s’opposant sur la seconde (compétent, intelligent vs. inintelligent, irresponsable) expriment davantage leur désirabilité plus ou moins bonne dans leurs activités intellectuelles.

4 Par exemple, si le trait « gentil » apparait dans le même paquet que « généreux » chez 100% des sujets, la distance entre les deux traits est nulle : ils sont parfaitement co-occurrents. A l’inverse, s’ils ne sont jamais présents dans un même paquet, la distance qui les sépare est maximale.

5 L’indicateur pris en compte dans l’EMD est le « stress » qui correspond à la part de variance expliqué par les facteurs. Plus ce taux est proche de 0%, plus la solution explique un maximum de variance. Les résultats de Rosenberg et al. (1968) plaident en faveur d’une solution bidimensionnelle. En effet, la solution en une dimension réduisait le « stress » à 26%, celle à deux dimensions à 6%, et celle à trois dimension à 3%, ce qui montre que la troisième dimension (cf. activité) explique peu de variance additionnelle par rapport aux deux précédentes.

Figure 2 : Structure bidimensionnelle obtenue à partir de la tâche du tri. L’ellipse a été ajoutée pour montrer la proximité des deux dernières dimensions.

NB : Le schéma est extrait de Rosenberg et al. (1968, p.289).

Visant à confirmer cette interprétation, les auteurs ont demandé à deux autres groupes de sujets d’évaluer la désirabilité sociale et la désirabilité intellectuelle de chaque adjectif.

Une analyse de régression linéaire a confirmé que les scores s’ajustaient parfaitement aux deux dimensions présumées (les corrélations étaient proches de 1 pour les deux dimensions, voir Figure 3). Les auteurs concluaient que les TIP étaient structurées par deux dimensions évaluatives : la première, proche du facteur évaluatif mis à jour dans les travaux mentionnés plus haut (cf. Labourin et Lecourvoisier, 1986), a été appelée « social good-bad », et la seconde « intellectual good-bad ».

Ces résultats ont été reproduits par Friendly et Glucksberg (1970) à partir de la même technique. Soixante adjectifs évaluatifs (20 d’entre eux étaient propres à l’argot universitaire des sujets) ont ainsi été triés par deux groupes de sujets (des juniors vs. séniors de l’université de Princetone) pour décrire des personnes. Les résultats ont fait émerger une structure en deux dimensions identiques aux précédentes pour les juniors, et une structure en trois dimensions pour les séniors. Dans ces trois dimensions, les deux premières étaient identiques aux précédentes, et la troisième était spécifique au jargon universitaire propre aux séniors. Elle

était interprétable en termes de sociabilité universitaire6, donc proche de la première dimension « social good-bad ». Les auteurs en ont conclu que les gens utilisent leurs TIP en fonction de leur appartenance à des groupes sociaux. En effet, seule la structure dimensionnelle des séniors (qui avaient intériorisé les codes de jugements universitaires) faisait apparaître une dimension spécifique au jargon qui délivre ces codes.

Figure 3 : Structure bidimensionnelle des TIP. Extrait de Rosenberg et al. (1968, p.290)

3.3 Conclusion sur la structure bidimensionnelle des TIP : reconsidérer l’impact évaluatif des traits

Nous avons examiné la structure dimensionnelle des TIP. Avec différentes techniques, (différentiateur sémantique : Kim et Rosenberg, 1980 ; tâche de tri : Rosenberg et al., 1968), les recherches mettent en évidence deux dimensions évaluatives : 1) la plus ou moins bonne socialisation (social good-bad : chaleureux vs. froid, etc.) et 2) la plus ou moins bonne compétence intellectuelle (intellectual good-bad : intelligent vs. stupide, etc.) des individus.

Ces travaux permettent de reconsidérer l’impact évaluatif des traits. En effet, si on se réfère aux travaux de Asch, on est conduit à penser que cet impact est unidimensionnel. Mais, selon Rosenberg et al. (1968), étant donné que deux dimensions évaluatives structurent les traits, on devrait s’attendre à ce que l’impact évaluatif des traits soit bidimensionnel.

6 Elle opposait des termes argotiques comme (en américain) « wonk » (l’étudiant introverti, physiquement peu attractif) à « stud » (l’étudiant sociable qui plait aux autres).

Autrement dit, l’effet de centralité « chaleureux-froid » ne devrait impacter que les traits spécifiques de la dimension « social good-bad » et non les traits relatifs à la dimension

« intellectual good-bad ». Si Rosenberg et al. (1968) ont argué qu’une telle hypothèse se vérifie dans les résultats de Asch (1946), Zanna et Hamilton (1972) l’ont vérifiée expérimentalement. En effet, ils ont montré que l’effet « chaleureux-froid » n’affectait effectivement le jugement d’une personne que sur les traits « social good-bad ». Les traits

« intellectual good-bad » n’étaient quant à eux pas affectés par la manipulation du couple

« chaleureux-froid ». En revanche, ils l’étaient par la manipulation d’un autre couple d’antonymes (cf. « travailleur-fainéant ») choisi pour représenter la dimension « intellectual good-bad ».

Toutefois, ces travaux n’abordent pas la question de la signification théorique des deux dimensions. Leur interprétation est purement empirique. En effet, les notions « social good-bad » et « intellectual good-bad » ne permettent que d’expliquer en quoi les traits ayant le meilleur ajustement mathématique à telle dimension se ressemblent sémantiquement. Et comme l’explique Beauvois (1984)7, cet ajustement mathématique ne fournit pas en soi une explication théorique. Autrement dit, en avançant que « chaleureux » et « honnête » ont en commun d’énoncer la bonne socialisation des individus, on dit en quoi les traits sont synonymes, mais on ne dit pas pourquoi cette dimension est mobilisée dans le jugement social.

Une approche théorique que l’on peut qualifier de traditionnelle essaye de répondre à cette question. Nous allons l’aborder dans dernière section de ce chapitre.

4 Les deux dimensions et leur définition

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