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Communalité / Agentisme sont inférés des comportements et engendrent des affects spécifiques 88

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 92-97)

5 Conclusion générale sur la bi-dimensionnalité du jugement social

1.3 Les deux dimensions des traits dans le cadre de la conception du réalisme psychologique 84

1.3.3 Communalité / Agentisme sont inférés des comportements et engendrent des affects spécifiques 88

La conception du réalisme psychologique, comme nous l’avons vu, s’illustre dans l’étude du jugement social à travers le modèle de Srull et Wyer (1989) selon lequel 1) d’abord les traits s’infèrent des comportements (fonction descriptive) et 2) ensuite, ils donnent les

34 Ma traduction de : “They differ from physical properties such as hair colour only in that they cannot be directly observed” (Peeters, et al., 2003, p.2)

35 Ma traduction de “when people interact with others, as individuals or as group members, they are mainly interested in finding out, first, what others’ goals and intentions are and, second, what their abilities are related to those goals” (Kenworthy et Tausch, 2008, p.1122).

affects positifs ou négatifs (fonction évaluative). Il semble que les travaux de l’approche communalité / agentisme s’inscrivent dans cette modélisation du jugement.

D’abord, les traits s’infèrent des comportements. En effet, avant toute chose, les traits sont définis dans cette approche comme « des dispositions réelles sous-tendant les comportements manifestes des personnes »36. Dans les travaux (Abele et Wojciszke, 2007 ; Wojciszke, 1994 ; Wojciszke et al., 1998), on constate que les comportements sont effectivement les seuls indicateurs pris en compte pour opérationnaliser les traits. Par exemple, pour Wojciszke (1994, 2005), les deux dimensions moralité et compétence sont conçues comme deux modes d’interprétation des comportements. Cislak et Wojciszke (2008) ont récemment montré que les traits de communalité étaient spontanément inférés de comportements profitables pour autrui et que les traits d’agentisme étaient quant à eux inférés de comportements profitables pour soi.

Ensuite, les traits ont des conséquences affectives. En effet, alors que les deux dimensions renvoient aux propriétés de la cibles, elles sont dites évaluatives parce qu’elles opposent chacune des traits positifs à des traits négatifs. Autrement dit, leur fonction évaluative s’assimile à la valence affective des traits (Suitner et Maas, 2008). Il a récemment été montré que les jugements relatifs aux deux dimensions donnaient lieu à deux types d’affects (Wojciszke, Abele et Baryla, 2009). Premièrement, les jugements relatifs à la dimension « communalité » donnent lieu à des réponses affectives globales (cf. j’aime vs. je n’aime pas). Deuxièmement, les jugements liés à la dimension « agentisme » donnent lieu à des réponses affectives en termes de sentiment de respect. D’après les résultats, ces deux types d’inférences affectives sont médiatisées par les comportements de la cible : l’inférence

« communalité / affect » est médiatisée par les comportements bienveillants de la cible (ex : elle fait beaucoup pour les autres), alors que l’inférence « agenstisme / respect » est médiatisée par sa compétence (ex : elle est apte à réussir).

Ces travaux nous permettent d’arguer que la manière dont le jugement est modélisé dans le cadre de l’approche communalité / agency relève d’une logique semblable au modèle de Srull et Wyer (1989) : on ne peut évaluer une personne (c.à.d. diriger des affects) que si

36 Ma traduction de : “The trait is conceived as a covert but real disposition underlying the overt target’s behavior” (Peeters et al., 2003, p.2).

l’on a préalablement encodé ses comportements et inféré ses propriétés psychologiques sous-jacentes.

1.4 Conclusion sur la conception du réalisme psychologique

La conception du realisme psychologique est une conception dominante en psychologie sociale. Comme nous l’avons vu, elle repose sur la métaphore de l’homme comme un scientifique spontané, c'est-à-dire, l’homme dont la connaissance est analogue à celle que le scientifique a du monde.

Nous avons rappelé que pour les théoriciens de la personnalité, la connaissance scientifique que l’on peut avoir des propriétés psychologiques est donnée par les traits de personnalité. Les chercheurs s’inscrivant dans cette conception du réalisme psychologique admettent ainsi que l’homme de la rue, en tant que scientifique spontané, utilise les traits pour remplir la même fonction descriptive que celle sur laquelle tablent les théoriciens. Ainsi, alors que certains chercheurs se donnent pour objectif d’identifier les conditions dans lesquelles un jugement personnologique peut être exact, d’autres s’intéressent au fonctionnement cognitif du juge et expliquent que ce dernier, lorsqu’il se forme des impressions sur autrui, encode d’abord les comportements (information descriptive des traits) et en infère une valeur affective (information évaluative des traits).

Il semble que l’approche qui est faite des deux dimensions en cognition sociale s’inscrive dans cette conception du réalisme psychologique. Elles fonctionneraient comme deux modes d’appréhension des propriétés psychologiques. L’homme, pour survivre, aurait appris à capter avec acuité. Autrement dit, les deux dimensions correspondraient à deux manières d’interpréter les comportements des personnes, interprétation dont découlent des affects particuliers ressentis par le juge envers les cibles.

Cette conception du réalisme psychologique implique somme toute que la mobilisation des deux dimensions structurant les traits dans les jugements relève d’une connaissance spécifique au registre personnologique. Par conséquent, si l’on se réfère à cette conception, on n’a aucune raison d’étudier ces deux dimensions sur des objets non humains, à moins pour cela d’expliquer un tel transfert vers les objets en invoquant un processus d’anthropomorphisme (le juge transfèrerait sur des objets la réalité psychologique qu’il a appris à capter sur des personnes). Nous allons maintenant nous intéresser à une seconde

conception possible des traits : la conception évaluative. Nous allons voir qu’elle fournit quant à elle de solides arguments pour penser que les deux dimensions structurant le vocabulaire personnologique structurent également le jugement que l’on peut faire d’un objet.

2 La conception évaluative

La conception évaluative est défendue en France depuis plus d’une trentaine d’année (Beauvois, 1976, 1982, 1987, 1990 ; Beauvois et Dubois, 1992, 2001, 2005, 2008, 2009 ; Cambon, 2006a, 2006b ; Pansu et Dompnier, 2011 ; Dubois, 2006, 2010 ; LeBarbenchon et Milhabet, 2005 ; Mignon et Mollaret, 2002 ; Mollaret, 2009). Elle consiste à avancer qu’au lieu de désigner des propriétés réelles37, les traits désignent des critères d’évaluation sociale.

Autrement dit, ce qu’un trait énonce, ce n’est pas tant en quoi deux individus sont psychologiquement différents, mais plutôt en quoi l’un a plus de valeur que l’autre, sur une échelle de valeur fixée dans un rapport social donné. Prenons un exemple pour illustrer cela.

Imaginons que dans le cadre d’un entretien de recrutement professionnel (pour un poste de cadre), Fabrice et Olivier sont amenés à remplir le même inventaire de personnalité.

Evidemment, tous les deux sont conscients de l’enjeu de la sélection. Finalement, Fabrice reçoit un score supérieur à Olivier sur le trait « responsable ». Le recruteur qui se réfère, comme nous l’avons vu, à une croyance à propos du réalisme psychologique (Allport et Odbert, 1936), considérera que ce score lui indique une différence psychologique réelle entre Fabrice et Olivier, une différence qui lui révèle que Fabrice possède plus qu’Olivier la

« bonne » propriété psychologique, c'est-à-dire celle qui permet de prédire que Fabrice manifestera plus qu’Olivier les comportements qu’on est en droit d’attendre d’un bon cadre.

Mais pour la conception évaluative, le trait remplit une autre fonction sans pour autant mener le recruteur à commettre une erreur : le trait donne directement au recruteur une connaissance évaluative de Fabrice et d’Olivier. Si le recruteur se réfère à cette conception, il constatera, de fait, que le trait lui indique bel et bien qu’une différence existe Fabrice et Olivier. Mais il considèrera tout de suite que cette différence ne relève pas de leur psychologie individuelle.

En effet, il pensera plutôt que cette différence porte sur la valeur sociale que les conduites présumées de Fabrice ont par rapport à celles d’Olivier, ce, de l’unique point de vue de

37 Il me paraît important de souligner que la conception évaluative ne stipule pas que les propriétés réelles de la personnalité n’existent pas. Elle défend que les traits de personnalité n’ont pas pour fonction de les désigner (voir Beauvois, 1984).

l’échelle de valeur sociale mobilisée dans le rapport de recrutement. Dès lors, la fonction du trait est purement évaluative parce qu’il indique directement au recruteur, non pas ce que fait Fabrice de mieux qu’Olivier en raison de leur psychologie différente, mais plutôt ce que lui-même, en tant que recruteur, peut faire de Fabrice et d’Olivier dans le rapport social de recrutement. La valeur donnée par le trait n’est donc pas affective, mais sociale. Cette valeur sociale permet de diriger un certain renforcement sur un individu (Beauvois, 1976). Pour notre exemple, le trait indique au recruteur qui il peut recruter. Ajoutons que le trait pris en compte par le recruteur (responsable) ne lui indiquerait rien sur la valeur sociale de Fabrice ou d’Olivier s’ils se rencontraient dans un autre rapport social, par exemple, un rapport de cooptation amicale. Dès lors, insistons sur ce point : la valeur que communique un trait ne relève pas des propriétés psychologiques de la cible ni des affects du juge ; c’est une valeur sociale parce qu’elle porte sur la valeur que les conduites ont pour un agent social dans un rapport social donné.

Pour bien comprendre cette conception évaluative, nous envisagerons successivement dans cette section :

Premièrement, son épistémologie. La conception évaluative repose sur une conception de l’homme comme un « agent social évaluateur » et non comme un « scientifique spontané ».

On clarifie ce point dans une première partie en expliquant que contrairement à l’épistémologie de la continuité, la conception évaluative stipule que les jugements sociaux relèvent d’un mode de connaissance indépendant du mode de connaissance descriptive : la connaissance évaluative. On présente la théorie de la double connaissance selon laquelle les deux modes de connaissance se construisent à partir de l’insertion de l’agent avec son objet de connaissance dans un rapport social particulier.

Deuxièmement, la fonction des traits dans le jugement social. La conception évaluative avance que les traits codent deux types d’indicateurs comportementaux : ceux de la connaissance descriptive (les comportements de la cible) et ceux de la connaissance évaluative (les comportements que l’on peut engager avec la cible dans un rapport social). La valeur donnée par les traits est donc définie par son ancrage social et non par son caractère affectif. On présente les recherches validant cette conception.

Troisièmement, les deux dimensions des traits. La conception évaluative les définit comme les deux aspects fondamentaux de la valeur sociale des personnes : la désirabilité sociale et l’utilité sociale. Opérationnellement, elles renvoient respectivement à un mode de

connaissance de la valeur hédonique et un mode de connaissance de la valeur économique des personnes. On présente les recherches expérimentales validant ces définitions en insistant sur l’ancrage économique de l’utilité sociale.

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