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Conclusion générale

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 112-119)

Que dit-on à propos d’une personne lorsqu’on la décrit avec un trait de personnalité ? Nous avons abordé deux réponses possibles relevant chacune d’une conception particulière des traits.

Avec la première, la conception du réalisme psychologique, issue de la psychologie de la personnalité et dominante en psychologie du jugement social, on énonce une connaissance descriptive d’une propriété psychologique de la personne jugée. Dans cette conception, les deux dimensions qui structurent les traits sont supposées fonctionner comme deux modes d’appréhension de cette réalité psychologique. Autrement dit, elles sont spécifiques au registre personnologique et n’ont pas de raison d’être étudiées dans d’autres registres de jugement.

43 On admettra sans peine qu’un avancement professionnel se traduit le plus souvent par une hausse de salaire.

Avec la seconde conception, la conception évaluative, le trait est supposé délivrer une connaissance évaluative de la personne : la connaissance que l’on a, dans un rapport social donné, de la valeur sociale des conduites d’une personne. Dans cette conception, les deux dimensions sont censées fonctionner comme deux modes de connaissance évaluative, l’un permettant de prendre des décisions sur la valeur hédonique des personnes (la désirabilité sociale), l’autre permettant de prendre des décisions sur leur valeur marchande (l’utilité sociale).

Etant donné que ces deux dimensions ne sont pas censées porter sur la réalité psychologique des personnes en tant qu’objet de la connaissance descriptive, mais sur la valeur sociale de leurs conduites en tant qu’objets sociaux de la connaissance évaluative, il est théoriquement légitime de s’interroger sur la généralisation potentielle de ces deux dimensions à d’autres objets sociaux que les personnes. S’incrivant dans cette conception, nous allons développer cette idée dans le prochain chapitre et formuler notre hypothèse portant sur la généralisation des deux dimensions de la valeur sociale des personnes à celle des objets de consommation.

Conception évaluative et généralisation des deux dimensions de la valeur sociale

des personnes à celle des objets

Ce travail de thèse s’inscrit dans la conception évaluative des deux dimensions du jugement social. Nous partons de deux recherches récentes, menées dans le cadre de cette conception, qui tendent à montrer que les deux dimensions DS et US se sont pas limitées au jugement des personnes puisqu’on les retrouve dans le jugement d’objets sociaux non humains : les objets de consommation (Cambon, 2007) et les animaux domestiques (Dubois et Beauvois, 2011). Nous commencerons par présenter ces deux recherches puis, nous discuterons de leur apport à la question de la généralisation de ces deux dimensions de la valeur à tout objet social quel qu’il soit, humain ou non humain, en soulignant leurs limites dues au fait que dans ces recherches les sujets exprimaient leurs jugements à l’aide de traits de personnalité. Nous présenterons alors les choix méthodologiques qui ont été les nôtres pour apporter les preuves expérimentales à l’hypothèse selon laquelle la description des objets de consommation à l’aide d’adjectifs adaptés doit être structurée par deux dimensions analogues à la DS et à l’US qui structurent les traits de personnalité. Nous expliquerons que cette hypothèse théorique ne peut se comprendre qu’avec la conception évaluative et qu’elle trouve un appui dans les travaux issus de la psychologie du consommateur.

1 Généralisation de la DS et de l’US aux objets non humains avec des traits de personnalité

La conception évaluative avance que la DS et l’US structurant les traits dans les descriptions psychologiques, correspondent en réalité à deux modes d’évaluation sociale des personnes (Beauvois et Dubois, 2009). Comme nous l’avons vu, admettre ce point de vue implique que la description que l’on fait d’une personne avec des traits ne se réfère pas à la

réalité psychologique de cette personne. Elle découle plutôt de la connaissance évaluative qu’on a d’elle, en tant qu’agent social (ex : en tant que recruteur, employeur, etc.), dans un rapport social donné. Plus précisément, cette connaissance est directement donnée à l’agent par la pratique d’évaluation qu’il réalise sur la personne elle dans le cadre du rapport qui le relie à elle (Beauvois, 1990). Ce sont donc, par exemple, les pratiques d’évaluation faites dans le rapport de recrutement qui induisent au recruteur la connaissance qu’il a de l’utilité sociale des candidats. Si les traits « travailleur » ou « négligeant » deviennent des outils privilégiés dans ce rapport social, ce n’est donc pas en tant que critères de vérité sur ce que les candidats sont ou ne sont pas, mais en tant que critère de décision sur leur utilité sociale.

S’il est donc vrai que 1) la DS et l’US données par les traits renvoient à deux critères de la valeur sociale et que 2) les agents sociaux manipulent dans les rapports sociaux la connaissance évaluative, faite pour capter la valeur sociale de tout objet, alors la DS et l’US mises en évidence dans le jugement personnologique devraient se retrouver, ou du moins devrait-on retrouver des dimensions analogues, comme sous-tendant tout jugement d’un objet social. C’est avec ce raisonnement que Laurent Cambon a montré à plusieurs reprises que la DS et l’US structuraient le jugement des professions (Cambon, 2000, 2004, 2006, 2007 ; LeBarbenchon, Cambon et Lavigne, 2005). Il a ainsi montré que la DS d’une profession renvoyait à l’épanouissement personnel qu’on en retire, et que l’US renvoyait au salaire qu’on en retire / ou la productivité économique qu’en retire l’organisation. Un tel résultat montre que les deux dimensions données par les traits ne sont effectivement pas limitées à la description des personnes mais couvrent aussi le registre de leurs activités professionnelles.

Cela suggère que les deux dimensions fonctionnent bel et bien comme des critères d’évaluation analogues pour différents objets sociaux. Par exemple, le critère de productivité économique qui permet de hiérarchiser divers métiers et le trait travailleur qui permet de hiérarchiser divers employés semblent bien relever du même critère économique, mais appliqué à deux types d’objets sociaux différents, l’un d’eux (les professions) n’ayant aucun fondement dans la réalité psychologique.

Deux recherches récentes confortent cette idée. Elles suggèrent que la DS et l’US, en termes de valeur hédonique et économique, se retrouvent dans les jugements de deux autres types d’objets sociaux : les objets et les lapins domestiques.

1.1 La recherche de Cambon (2007) : DS et US dans le jugement des objets

Cambon (2007) a demandé à des étudiants de juger sur un ensemble d’échelles mesurant la valeur générale (positif - négatif, bien - pas bien), la DS (désirable - indésirable, sympathique - antipathique, beau - laid, etc.) et l’US (prestigieux - peu prestigieux, cher - pas cher, fort - faible, etc.), soit deux professions (ex : chimiste vs. moniteur de sport), soit deux types de loisirs (ex : golf vs. football), soit deux objets de consommation (ex : Rolls Royce vs.

Twingo), choisis dans chaque couple pour être l’un a priori utile et l’autre a priori désirable.

Cambon a montré au moyen d’une analyse de régression que l’évaluation de tous ces objets était bien sous-tendue par l’une ou l’autre des deux dimensions évaluatives : la DS l’emporterait sur l’US pour les objets choisis comme étant a priori désirables et l’US l’emportait sur la DS pour les objets choisis comme étant a priori utiles.

Cette recherche montre que les mêmes critères (hédonique vs. économique) servent aussi bien à juger des objets que des loisirs ou des métiers. Ces critères sont équivalents et opérationnalisés de façon rigoureusement identique à la DS et à l’US des personnes.

1.2 La recherche de Dubois et Beauvois (2011) : DS et US dans le jugement des animaux

Dubois et Beauvois (2011) ont étudié les descriptions d’animaux domestiques (des lapins) faites par des sujets avec des traits de personnalité donnant la DS (ex : agréable, gentil) et l’US (ex : intelligent, dynamique) mais pouvant convenir pour des animaux. Une analyse factorielle a fait émerger les deux dimensions attendues, la première (environ 35% de la variance) correspond aux traits DS, la seconde (environ 15% de la variance) aux traits US.

Les résultats de cette recherche montrent que ces deux dimensions ne se réfèrent pas à la réalité psychologique des personnes, ni à celle des animaux, mais bien à deux aspects de la valeur sociale.

La première étude (Dubois et Beauvois, 2011, expérience 1) portait sur la dimension US. La photo d’un lapin A ou d’un lapin B était présentée aux sujets. Ce lapin était décrit comme coûtant 15 euros vs. 200 euros. Les sujets devaient décrire ce lapin à l’aide de traits DS (ex : gentil) et US (ex : dynamique). Les résultats montrent que la variation du prix affecte seulement les traits US, et ceci quelle que soit la photo du lapin. Ces résultats suggèrent que les traits de personnalité ont été utilisés pour communiquer la valeur marchande des lapins. Le

fait que les résultats soient identiques pour les deux photos A et B suggère qu’ils n’ont pas non plus été utilisés pour donner une description psychologique des lapins. Si tel avait été le cas, on aurait pu s’attendre à ce que les sujets perçoivent les deux lapins comme

« psychologiquement différents » en raison de leur différence physique. Mais les résultats montrent que les descriptions sont très consistantes et parfaitement adossées à l’information sur le prix : un même lapin était toujours jugé moins actif, intelligent lorsqu’il était présenté comme coûtant 15 euros que lorsqu’il était présenté comme coûtant 200 euros.

La seconde étude (Dubois et Beauvois, 2011, expérience 2) portait sur les deux dimensions et apporte des résultats consistants bien que cette fois, aucune photo n’était présentée. En fait, seule deux informations, l’une portant sur la valeur sociale hédonique (c’est un lapin aimé vs. peu aimé) et l’autre sur la valeur sociale économique (c’est un lapin cher vs. pas cher), étaient fournies aux participants pour leur présenter le lapin qu’ils devaient juger avec des traits DS vs. US. Les résultats d’une analyse factorielle montrent encore une fois que les deux dimensions émergent en expliquant plus de la moitié de la variance des descriptions : l’une opposant les traits DS positifs et négatifs (36%), l’autre opposant les traits US positifs et négatifs (18%). Les résultats d’une analyse de variance montrent également que les deux informations : valeur (DS vs. US) x valence (forte vs. faible) orientent le choix des traits DS vs. US pour juger le lapin. Les résultats vont quasiment tous dans le sens attendu.

Cela montre que les traits s’appliquent bien ici à des objets non humains. Il semble que l’usage des traits ne nécessite donc pas de porter sur des personnes, mais que la valeur sociale qu’ils communiquent permet à elle seule de les appliquer au jugement de lapins, pour autant que l’on dispose d’informations sur leur valeur sociale, leur agréabilité et leur valeur marchande.

Une troisième étude (Dubois et Beauvois, 2011) a été réalisée pour écarter l’objection selon laquelle l’information sur la valeur marchande pourrait servir au juge à inférer les propriétés psychologiques des lapins. Les auteurs ont donc demandé à des sujets d’indiquer pourquoi, selon eux, la plupart des gens dépensent une forte somme d’argent pour acheter un animal (chien vs. lapin). Les résultats sont probants : environ 70% des sujets expliquent un tel choix par un critère de valeur marchande (l’animal est « pure race ») et environ 20%

l’expliquent par le critère de valeur hédonique (l’animal est joli), contre moins de 3% qui l’expliquent par une propriété psychologique (l’animal est intelligent). Cela suggère que c’est bien la mobilisation de critères d’évaluation sociale et non une tentative de description psychologique qui sous-tend les résultats des études 1 et 2.

1.3 Que peut-on conclure de ces deux recherches ?

Les recherches de Cambon (2007) et de Dubois et Beauvois (2011) soutiennent l’hypothèse de généralisation des deux dimensions de la valeur sociale. La recherche de Cambon montre que l’évaluation d’objets a priori désirables ou a priori utiles s’effectuent bien à partir des critères d’évaluation hédonique et économique. Celle de Dubois et Beauvois (2011) apprend que les deux dimensions du jugement personnologique (DS et US) peuvent être activées en dehors du registre personnologique, à partir de l’évocation de la seule valeur sociale des objets à décrire, en l’occurrence, l’agréabilité et la valeur marchande des lapins domestiques. Un tel constat conduit les chercheurs à avancer la thèse selon laquelle la DS et l’US, noms donnés par eux aux deux dimensions sous-tendant les descriptions personnologiques, sont en fait deux dimensions générales sous-tendant le jugement de tout objet social, qu’il soit humain ou non, dimensions qu’ils proposent d’appeler respectivement la côte d’amour (ou l’agréabilité) de l’objet et la valeur marchande de cet objet.

Notons que dans ces travaux, le matériel proposé aux sujets pour émettre leur jugement était composé de traits de personnalité et non d’adjectifs spécifiques à la description des objets (excepté quelques adjectifs comme « cher » dans l’étude de Cambon). Dès lors, retrouver les deux dimensions sur d’autres objets pourrait s’expliquer par un argument propre à la conception du réalisme psychologique qui voudrait que les juges anthropomorphisent ces objets. En effet, c’est bien cette explication qu’avancent les théoriciens de la personnalité lorsqu’ils retrouvent un « big five » structurant les traits de personnalité qu’emploient les sujets pour décrire toutes sorte d’objets non humains, tels que les animaux (ex : Draper, 1995 ; Gosling et John, 1999 ; Morris, Gale et Duffy, 2002), les marques de produits (Aaker, 1997 ; Geuens, Weijters et DeWulff, 2009), les magasins (D’Astous et Lévesques, 2003), etc.

Dans la recherche de Dubois et Beauvois, un résultat va contre cette interprétation. Les sujets prétendent que l’on achète un lapin très cher parce qu’il est « pure race » (information sur la valeur marchande) et non parce qu’il est « intelligent » (information sur une propriété descriptive). Ce résultat suggère en effet que lorsque les sujets doivent parler d’un lapin à partir de son prix, ils utilisent les critères d’US les plus pertinents qui sont à leur disposition pour désigner l’utilité sociale d’un animal domestique. Lorsqu’ils ont le choix entre des traits DS et US, ils privilégient à défaut les traits US même s’ils ne sont pas initialement conçus pour la description des lapins, mais seulement parcequ’ils communiquent l’utilité sociale correspondante au prix du lapin. Mais lorsqu’ils ont le choix entre un trait US et un marqueur

typique de l’US d’un animal (pure race), ils privilégient le marqueur. Ces résultats suggèrent fortement que les sujets n’ont pas anthropomorphisé les lapins avec les traits, mais qu’ils ont plutôt utilisé la valeur sociale donnée par les traits pour les évaluer. En effet, si les sujets qui étaient mis en position d’acheteur (expérience 3) avaient anthropomorphisé, on aurait observé une fréquence de choix de la réponse anthropomorphique (le lapin est intelligent) supérieure à celle, quasi nulle (3%), observée par Dubois et Beauvois. Dès lors, bien qu’une autre expérience soit nécessaire pour le confirmer, on peut raisonnablement penser que les sujets qui étaient mis en position de juge (expérience 2) ont utilisé les traits d’US pour désigner le même critère de valeur marchande que celui qu’utilisaient les sujets mis en position d’acheteur (expérience 3).

Les résultats de ces deux recherches concourent à montrer que la DS et l’US ne se limitent pas aux seuls jugements personnologiques mais se retrouvent à la base du jugement des objets et des animaux. Quel que soit l’objet concerné, ces deux dimensions semblent relever de l’agréabilité et de la valeur marchande. Dans l’Encadré 2, on présente des travaux issus de la psychologie sociale et de la psychologie du consommateur suggérant que ces deux formes d’évaluation interviennent bien dans le jugement des objets de consommation, jugement que nous avons choisi d’étudier dans cette thèse. Dans la prochaine section, on se place dans le prolongement des recherches de Cambon et de Dubois et Beauvois, et on formalise notre hypothèse théorique.

Encadré 2 : Evaluation hédonique et économique dans le jugement des objets :

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