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Chapitre I CADRE CONCEPTUEL

4. Différentes théories de l’activité ?

La Théorie de l’Activité (TA) est un courant théorique des sciences humaines et sociales. Elle est un cadre conceptuel pour étudier les différentes formes de pratiques humaines en tant

Illustration I.2: Exemples de Kuuti sur des niveaux d’une activité (Magakian, 2009)

que processus de développement, combinant des niveaux individuels et sociaux (Bourguin & Derycke, 2005). Né dans les années 1930, ce courant trouve ses origines dans les travaux de Serguei L. Rubinstein et Lev Vygotski (Vygotski, 1934/1985). Trois générations caracté- risent cette théorie. La première génération, fondée sur le concept de médiation, a été forma- lisée par Vygotski (1896-1934). Cette génération de la TA est fondée sur le postulat que « le

développement du comportement humain était d’abord et avant tout médiatisé par l’utilisa- tion et la création des artefacts matériels ou symboliques » (Barma, 2010). C’est donc de la

thèse historico-culturelle qu’est née la TA. Cette dernière sera diffusée en France dans les an- nées 1960.

La TA a été vue comme une alternative à la dichotomie entre l’individu et la société sur les- quelles se fondaient les sciences comportementales et sociales (Bourguin & Derycke, 2005) : les sciences du comportement avaient du mal à considérer le contexte dans l’étude des ac- tions humaines d’une part et, les sciences sociales d’autre part. Face à cette dichotomie entre les deux perspectives, un concept intermédiaire – l’activité –, a été proposé. Il est défini comme un contexte minimal d’analyse ou l’unité de base pouvant contextualiser l’étude des actions humaines vues sous l’angle de la médiation institutionnelle et sociale (Barma, 2011). L’unité fondamentale d’analyse de la théorie de l’activité est l’activité humaine. Bourguin et Derycke (2005) définissent l’activité comme « un système cohérent de processus mentaux

internes, d’un comportement externe et de processus motivationnels qui sont combinés pour réaliser des buts conscients ». La T A s’intéresse donc à l’activité humaine socialement

contextualisée tel que le monde du travail ou de l’apprentissage (Parks, 2000). Par exemple,

« l’apprentissage, avant d’être le fait d’individus isolés, serait d’abord un phénomène so- cial puisqu’il se déroule dans des contextes culturellement déterminés imprimant leurs marques spécifiques aux groupes humains dans leurs comportements les plus quotidiens »

(Beauné, 2010).

Dans la suite, le développement de la TA a été continué par d’autres auteurs dont Leontiev (1904-1979), Luria (1902-1977) et Engeström (1948-). La conception de la deuxième géné- ration est attribuée à Leontiev, alors collègue et initialement disciple de Vygotski (Barma, 2008). Leontiev (1975/1978) donne une orientation nouvelle de la TA, focalisée sur l’activité et plus particulièrement sur « la nature collective de l’activité » (Owen, 2008, p. 73). Si Vy- gotski s’est plus intéressé au comportement, Leontiev a fait ressortir la faille du modèle de Vygotski. Avec son raisonnement fondé sur la notion de coopération comme une caractéris-

tique de l’activité humaine, il met en évidence comment des objectifs communs peuvent être poursuivis et atteints par le partage du travail. À partir de la complexité des interactions sus- ceptibles de naître autour d’un tel travail coopératif, un contraste a été mis en évidence entre une action individuelle de celle collective (Barma, 2010). Dans la nature de l’activité, il dis- tingue aussi la notion d’activité de celle d’action et d’opération, comme des niveaux qui composent cette activité.

Les buts communs poursuivis par une communauté de personnes poussent à une division du travail au sein des membres. Pour Barma, « la médiatisation se caractérise par la division du

travail et l’instauration des règles qui encadrent les interactions entre les individus faisant partie du système d’activités et partageant le même objet ».

Malgré l’apport important et reconnu de Leontiev dans la conceptualisation de la TA, des li- mites ont été signalées et reprochées à son modèle (Barma, 2008) : il « n'a jamais vraiment

concrétisé son modèle d’une façon instrumentale afin de pouvoir le communiquer à la com- munauté scientifique ». De plus, il manque à son modèle la clarté et la précision sur les mé-

diations sociales que doivent y avoir entre l’homme et le monde qui l’entoure.

C’est à Y. Engeström (1999) que l’on doit la structure actuelle du modèle de l’activité. Son raisonnement sur la structuration et la formalisation de l’approche de la TA s’est beaucoup inspiré des travaux de ses prédécesseurs tels que Vygotski et Leontiev dont leurs idées ont été synthétisées (Barma, 2010, p. 684) : « un modèle systémique basé sur les deux premières

générations en y ajoutant l’infrastructure socioinstitutionnelle de l’activité, c’est-à-dire les éléments de la communauté, les règles et la division du travail. ».

4.2. Représentation systémique de l’activité humaine : le modèle d’Engeström

Inspiré de deux premières générations, le modèle actuel de l’activité est basé sur le modèle complexe d’un système d’activités d’Y. Engeström. Dans ses préoccupations à concevoir son modèle, Engeström a recherché davantage comment définir la plus petite unité à partir de la- quelle une activité humaine peut être dynamiquement et historiquement caractérisée (Saussez & Yvon, 2010). Pour Engeström, les médiations étant complexes, l’action médiatisée par les seuls artefacts ne constituerait pas une unité d’analyse suffisante pour comprendre tous les contours de la médiation. Partant de ce constat, une expansion de l’unité d’analyse a été ini- tiée par Leontiev (1975), ce qui a permis de formuler des médiations à base de rapports so- ciaux. Dans la conception du système d’activités, Engeström s’est inspiré de deux

générations précédentes avec une socioinstitutionnalisation de l’activité dans un environne- ment élargi incluant une communauté, des règles et de la division du travail (Barma, 2010). Le système d’activités devient constitué de six pôles en interrelation : sujet, outil, règles, di- vision du travail, communauté et objet.

Dans la conception dudit système, le sujet et l’objet sont situés en son cœur. Si l’activité est orientée par son objet, le rapport à cet objet est médiatisé par des instruments et participe au développement d’une activité socialement réglée et normée. Au sein du système, le sujet fait partie d’une communauté qui partage avec lui le même objet d’activité. Les relations com- munauté-sujet et communauté-objet sont médiatisées par les concepts de règles et de divi- sions du travail véhiculant eux aussi un héritage culturel de la situation (Bourguin & Derycke, 2005). Ainsi Engeström donne la définition d’un système d’activités comme étant

« un système cohérent du point de vue de l’activité orientée vers des objets, des sujets agis- sant par l’intermédiaire des artefacts, et organisés collectivement au sein d’une division du travail, des règles qu’ils emploient et de leur communauté (d’intérêts, de pratiques ou de cultures) » (Owen, 2008, p. 76). L’illustration I.3 modélise le schéma actuel de la structure

de base d’un système d’activités selon la conception d’Engeström.

Barma (2010) synthétise la génération de la TA d’Engeström en cinq principes :

1. Le système d’activité constitue l’unité d’analyse. Orienté vers l’objet d’étude, ce sont les artefacts qui assurent la médiatisation dans son rapport avec l’objet. Les systèmes d’activités sont inter-reliés : chacun est en interrelation avec au moins un des autres systèmes ;

Illustration I.3: Structure de base de l’activité humaine d’Engeström (1987)

2. Un système d’activité reflète divers points de vue, divers traditions et intérêts. Cette situation est rendue possible par la division du travail au sein du système, ce qui donne à chaque membre du système un rôle à jouer ;

3. Les systèmes d’activités ne restent pas figés une fois formés : ils se renouvellent et leurs transformations peuvent durer de longues périodes ;

4. Il existe des tensions au sein d’un système d’activités. Souvent de nature structurelle, ces tensions, accumulées depuis longtemps au sein des systèmes d’activités, jouent un rôle essentiel dans la transformation et l’innovation ;

5. Dans un système d’activités, l’innovation se produit lorsqu’il y a une transformation, c’est) dire qu’il y a reconceptualisation de l’objet et du motif de l’activité pour un en- jeu plus large comparativement au système d’activité d’avant.

4.3. Une activité médiatisée par des artefacts

La TA est construite autour de l’idée centrale de médiation. Dans cette théorie, Vygotski, son fondateur, considère que l’activité humaine est médiée par des artefacts, de leurs origines his- torico-culturelles et des processus de leur développement (Leong, 2012). Pour Vygotski, si l’activité humaine est à l’origine du développement de son comportement, elle est avant tout médiatisée par la création et l’utilisation des artefacts culturels, matériels ou symboliques (Barma, 2010). Dans l’approche de Vygotski de la théorie de l’activité, l’importance de la di- mension culturelle et historique des artefacts est justifiée par le fait que c’est à partir d’elle que les artefacts sont valorisés : ils sont reconnus par la société comme des moyens et des mobiles de leurs actions dans des contextes spécifiques. Cette valorisation est davantage ren- forcée par leur caractère à la fois normatif, permanent et prescriptif par le fait qu’ils ex- priment relativement comment, du point de vue de leurs concepteurs, le monde serait ou devrait être (Bibang-Assoumou, 2013, se référant à Ivic (1994)).

L’appropriation de l’instrument (culturel) implique un engagement du sujet dans une activité. Cette activité doit être en conformité relative à celle qui a conduit à son élaboration, mais dont l’objet conscient serait la « signification véhiculée ». L’engagement réel du sujet dans les actions est conditionné par cette « signification véhiculée » par l’objet de l’activité à réa- liser qui devrait s’inscrire dans la sphère de ses besoins réels pour donner sens et force à son engagement. Néanmoins, les conditions de l’appropriation de l’instrument vont au-delà du

niveau culturel. En effet, actuellement, dans le contexte d’une prolifération des instruments numériques en éducation, seule une utilisation raisonnée des instruments (numériques) peut permettre des conceptualisations et de la compréhension en vue de renverser la tendance à la domination des outils sur son utilisateur (Bruillard, 2012). Et pour être effectivement profi- table et créative, un minimum de connaissances (informatiques) est nécessaire dans son utili- sation.

Dans l’approche de la TA, Vygotski distingue deux types d’instruments de médiatisation (Barma, 2008) : les outils techniques et les outils psychologiques tels que le langage, les techniques mnémotechniques, les œuvres d’art, les cartes géographiques, etc. Pour Vygotski, le développement du comportement humain est avant tout médiatisé par des artefacts cultu- rels matériels ou symboliques (Barma, 2010). Ce sont ces artefacts qui participent à la struc- turation de la relation du sujet au monde et à son activité notamment en mettant à sa disposition des moyens de résolution de problèmes (supports matériels pour l’action, prin- cipes opératoires, etc.) et des mobiles d’action (Bibang-Assoumou (2013), se référant à Ivic (1994).

Vygotski présente l’unité de base d’analyse de l’activité comme composée de trois éléments : le sujet, l’objet et artefacts (médiateurs). Si la relation entre le sujet et l’objet était initiale- ment directe, actuellement, l’idée de médiation par les artefacts permet une nouvelle configu- ration comme la présente l’illustration I.4 suivante :

En réalité, contrairement à la configuration de l’activité donnée par Engeström, celle-ci re- présente une relation individuelle d’activité médiatisée (Kuutti, 1996). Une combinaison d’outils auxquels correspondent des signes précis permet l’atteinte d’une fonction psycholo- gique et d’un comportement supérieurs ; ce qui semble permettre de distinguer l’espèce hu- maine des autres espèces : soit la création et l’utilisation d’artefacts en tant qu’outils

Illustration I.4: Médiation de la relation sujet – objet par des artefacts dans une activité (Rabardel, 1995)

producteurs de sens et facilitant la reproduction de l’espèce. Et dans ce contexte, les objets ne sont plus considérés comme étant uniquement du matériel à l’état brut, mais comme faisant partie intégrante de l’activité d’apprentissage.

4.4. La zone proximale de développement et le rôle des pairs dans la construction des connaissances

Mise au point par Vygotski, l’expression de zone proximale de développement (ZPD) est connue comme un des principes clés de l’apprentissage et du développement de la pensée au niveau supérieur. Pour expliquer ce que c’est cette zone et son fonctionnement, Lewis (Le- wis, 1998) se référant à Vygotski, considère que la connaissance de tout individu est compo- sée de deux types de connaissances. Le premier type est formé de connaissances « noyau » : celles sont considérées comme des connaissances de base et pouvant permettre de réaliser certaines tâches en toute autonomie. Le deuxième type est formé des connaissances non en- core bien établies et stabilisées et qui ne permettent l’exécution des tâches que si l’individu est assisté. La ZPD correspondrait donc à cette deuxième catégorie de connaissances : ce sont des connaissances moins intériorisées, moins maîtrisées et qui se trouveraient distribuées au- tour des connaissances « noyau » de l’individu (illustration I.6).

La définition de la zone proximale de développement, telle qu’elle est donnée par Vygotski, révèle bien l’apport de la composante sociale dans l’apprentissage d’un individu : « la dis-

tance entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu’on

Illustration I.6: Représentation de la zone proximale de développement (Vygotski, 1997)

Illustration I.5: Recouvrement des connaissances dans un groupe (Lewis, 1998, p. 16)

peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec d’autres enfants plus avancés »13.

D’après cette illustration, le niveau actuel de développement cognitif précise ce qu’un indivi- du maîtrise déjà seul et, par conséquent, ce qu’il est capable de faire, le type et le niveau cog- nitif qu’il est capable de mobiliser pour résoudre un problème donné en toute autonomie. Quant aux connaissances « noyau » d’un individu, elles ne se limitent pas à celles déjà « in- ternalisées » pour reprendre le terme de Lewis. L’individu bénéficie des connaissances de la communauté dans laquelle il fonctionne et ses connaissances « noyau » forment tout un sys- tème de connaissances avec celles des autres individus (Lewis, 1998, p. 17) : « si l’on consi-

dère l’ensemble de la communauté, les connaissances « noyau » des individus se recouvrent partiellement et, surtout, les ZPD des uns coïncident avec les zones « noyau » des autres. De ce modèle, on peut conclure que les connaissances de la communauté sont (comme on pou- vait s’y attendre) plus étendues que celles d’un seul individu, mais surtout que chaque membre de la communauté peut contribuer au développement cognitif du groupe en procu- rant à d’autres un « échafaudage » dans les domaines où leurs connaissances ne sont pas encore disponibles pour un travail autonome. »

L’illustration I.5 précédente présente ce phénomène de recouvrement. Pour que ces connais- sances disponibles et distribuées dans la communauté soient vraiment profitables à tout un chacun des membres, deux conditions doivent être réunies (Lewis, 1998 ; Bibang-Assoumou, 2013). La première est la conscience individuelle de chaque membre de la communauté : la potentialité de la collectivité ne peut être atteinte que si chacun des membres de la commu- nauté a la conscience des connaissances des autres afin de pouvoir en profiter en y trouvant son aide et y contribuer en apportant lui-même son aide ou sa contribution. La deuxième condition concerne le caractère distribué des connaissances au sein de la communauté ou du groupe : pour que l’apprentissage conjoint soit effectif, chaque membre du groupe doit réali- ser que les connaissances du groupe ne sont pas une « propriété » de certains membres parti- culièrement distingués du groupe, mais, se trouvent partagées parmi eux.

Dans les processus d’enseignement/apprentissage, relativement à la ZPD, Magakian (2009) considère le discours de l’enseignant comme une façon de cadrer l’espace de raisonnement de l’élève. Bruner (2000) trouve en ce discours de l'enseignant une forme d’impulsion chez

l’élève qui doit, par la suite, prendre ses responsabilités : « le discours de l’enseignant exerce

une conscience pour les deux : une fois le contexte posé, il ne reste qu’à l’élève lui-même d’agir ».

5. Retour sur les systèmes d’activités d’Engeström