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3- Des phénomènes mnémoniques et de la mémoire

Chapitre I : Ecriture intime et mémoire

I- 3- Des phénomènes mnémoniques et de la mémoire

Avant de passer en revue les différentes écritures de la mémoire dans notre corpus, nous nous sentons dans l’obligation de faire un détour par quelques théories concernant la phénoménologie de la mémoire où l’on peut lire les phénomènes mnémoniques. Partant du corpus et revenant à la théorie, la démarche pourrait prêter à confusion mais nous avons préféré avancer les prémices de cette présence mémorielle dans notre corpus avant d’être amenée à traiter de la mémoire en général et des phénomènes tels que l’anamnèse, les réminiscences…en particuliers, ces concepts et les théories qui leur servent de socles serviront d’assises à une configuration du concept de la mémoire en littérature.

I-3-1-Phénoménologie de la mémoire

Nous rencontrons beaucoup de difficultés dans la définition du concept de la mémoire du fait de devoir prendre en compte diverses approches (philosophique, psychologique, sociologique, anthropologique et linguistique). A la suite de Platon, Aristote avec son fameux traité De la mémoire et de la réminiscence témoignait de son intérêt envers ce fameux mécanisme psychique et neurologique dans la représentation du passé dans la vie ; il a mis en avant cette opposition du mnēmē, souvenir passif et anamnēsis, souvenir objet d’une quête,

opposition soulignée également par Ricœur156. A l’origine, l’amplification du sens de l’anamnèse a commencé depuis Platon qui, affirmant que nous sommes porteurs d’un savoir prénatal dont nous serions séparés par l’oubli, fait que, à la base, personne n’est ignorant, mais que tout le monde a oublié, donc, si cette théorie est plausible, toute démarche vers un nouveau savoir est une réactualisation de la mémoire. Par contre, Aristote a tenu un autre raisonnement qui place l’anamnèse dans les facultés naturelles de l’homme, grâce à quoi nous pouvons la nommer actuellement rappel.

La poésie identifiée à la mémoire fait de celle-ci un savoir et même une sagesse depuis la Grèce antique où pour Homère « versifier était se souvenir ». Le Goff rappelle que « La

mémoire apparaît alors comme un don pour initiés et l’anamnésis, la réminiscence, comme

une technique ascétique et mystique. […] elle est l’antidote de l’oubli »157, lui-même associé à la mort.

Ricœur parle de « survenance actuelle d’un souvenir »158. D’un autre côté, il y a le retour (ana) de ce qui « a été auparavant vu, éprouvé ou appris »159. Le souvenir qui peut surgir en telle ou telle autre occasion est opposé à une recherche du souvenir de quelque chose qui a été éprouvé autrefois. Faculté impressionnante, elle serait une « capacité de se

remémorer ses vies antérieures et d’apprendre aux autres à se remémorer leur propre vie »160. « Éprouver » le mot que l’on retrouve dans la dernière citation de Ricœur rapproche la mémoire pour Chiara Rustici de la perception :

Ainsi la mémoire dans le sens d’anamnēsis est recherche de souvenir et, comme Saint Augustin l’entendait, c’est une lutte contre l’oubli, contre l’avidité du temps. Cette recherche implique donc un effort de rappel qui aboutit à une représentation imagée du souvenir.161

Ces activités mnémoniques rejoignent la distinction que fait l'historien Yosef HayimYerushalmi entre «la réminiscence de ce qui a été oublié» (anamnesis) et la mémoire (mnemè) qui désigne «ce qui demeure essentiellement ininterrompu, continu162 ». Il s’agit donc de représentations, de signes, de reconstitutions.

Le terme de mémoire implique également :

Plusieurs notions telles que la faculté de conserver ou de ramener à l’esprit le passé, l’acte du recouvrement et de la recherche dans la définition

157 GOFF (Le), Jacques, Histoire et mémoire, Paris, Point-Seuil, 1988, réédition 2004, p.177.

158RICŒUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 32.

159Ibid., p. 33

160SIMONDON, Michèle, la Mémoire et l’oubli dans la pensée grecque jusqu’à la fin V° Siècle avant Jésus-Christ, Paris, Les belles lettres, coll. « Etudes Mythiques », 1982, p. 146.

161RUSTICI, Chiara, « Brendan Behan: les enjeux de la mémoire entre écriture et oralité », université de Toulouse, [Thèse en ligne], 2013, in https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00879873/document, p. 6.

de l’identité de l’individu, ainsi que le devoir de conservation et de transmission de l’histoire et de la culture collectives163.

La mémoire est définie par exemple dans l’introduction de l’ouvrage collectif,

Mémoires et identités dans les littératures francophones : mécanisme psychique et neurologique de la représentation du passé164 comme:

L’effet de présence d’une absence, le souvenir et la réminiscence de ce qui fut, de ce que l’on a été, un avoir-été qui tient, dans bien des cas à un sentiment d’appartenance et d’identification à un registre social, culturel, idéologique précis perçu comme une marque singulière.

Une autre définition récurrente du mot mémoire fait référence à la qualité ou à la faculté de l’esprit humain de mémoriser donc, à conserver quelque chose de façon à pouvoir la répéter exactement ; « On parle ici de la dimension cognitive de la mémoire ou en d’autres termes du type de mémoire relatif à la connaissance de ce qui a été appris »165. Selon Chiara Rustici, la mémoire permet de garder, retrouver, se réapproprier ou recouvrer des faits, des détails, des visages et tout ce qui fait partie de notre quotidien. Le terme mémoire indique à la fois la fonction mentale de représentation du passé. On peut apprendre par cœur, et on dira qu’on a une bonne mémoire si on est capable de citer des textes. Mais cette mémoire nous renvoie aussi à ce que Ricœur appelle « mémoire habitude », en citant Bergson166.

A propos de Bergson, ce dernier établit une différence entre« une mémoire qui

répète »167 (actions, leçons ou poèmes appris par cœur) et « une mémoire qui imagine »168. Or,

163RUSTICI, Chiara, op. cit., p. V.

164 DAHOUDA, Kanaté ; SELOM, K. Gbanou. (dir.), « Mémoires et identités dans les littératures francophones », Paris, L'Harmattan, Coll. « Critiques littéraires », 2008, p.4.

165RUSTICI, Christina, op. cit., p. 5.

166RICŒUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 30.

167BERGSON, Henri, Matière et Mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit, 1939, Paris, PUF, 1965, 72e

édition, p. 52

ces deux formes de mémoire ne sont pas si opposées que cela puisqu’après avoir imaginé un objet, un souvenir afflue et nous apporte une image (eikon) dont la représentation est présente mais tient lieu de quelque chose d’absent. Le souvenir survient involontairement, ou par association mais reconnu comme passé, mis en relation avec un souvenir cherché qui est arraché au passé.

Bien que la mémoire soit constituée d’images, le langage est le seul moyen qui permet de traduire ces images, et il faut parfois passer par le langage pour les recouvrer. Se souvenir implique une recherche dans le passé et il est important de souligner que le langage est l’outil du recouvrement.

Donc nous pouvons ajouter comme remarque à propos des phénomènes mnémoniques qu’ils sont à différents degrés de réflexivité, par exemple : dans les cas où il est question d’habitude, on constate qu’on est à un degré bas de réflexivités, car, on effectue un savoir-faire qui ne suscite pas une pénibilité réflexive, mais ce n’est pas le cas du rappel où l’acte demande un effort de réflexion estimable. A tout cela s’ajoute le cas de l’évocation qui, par ce critère, peut être jugée comme neutre, ou encore, négativement marquée si spontanéité il y a, alors si une évocation se présente ainsi, elle serait subie plutôt qu’évoquée.

Enfin, pour résumer, jusqu'à présent nous avons distingué deux classes de phénomènes mnémoniques (garder à l’esprit la mémoire et poursuivre la mémoire au-delà de l’esprit) auxquels appartiennent l’habitude, le souvenir, le rappel, l’évocation… . Des phénomènes que nous pouvons classer grâce au trois modes mnémoniques (rappel, réminiscence et mémoire) et évaluer par le niveau de réflexivité.

François DOSSE attribue la tentative de la définition de l’objet mémoriel à la sociologie et note que « le mérite de la tentative de délimitation d’un objet mémoriel spécifique dans le champ d’investigation des sciences sociale, revient au sociologue Deurkaim Maurice Halbwachs »169. Dosse détaille ici les objets de la mémoire qui sont en premier lieu : tout ce qui fluctue, le concret, le vécu, le sacré, l’image, l’affect (impression élémentaire d’attraction) et le magique.

La philosophie quant à elle nous met en garde de certains points cardinaux qui font partie des objets de la mémoire et dont l’enjeu est très profond :les philosophes abordent souvent cette question en la mettant en rapport avec d’autres notions proches par la

169DOSSE, François, Entre mémoire et histoire : une histoire sociale de la mémoire, [article en ligne], Raison présente, pp. 5-24, 1998, p. 1 in http://www.culturahistorica.es/dosse/entre_histoire_et_memoire.pdf

signification. Paul Ricœur cite à ce propos E. Casey, qui selon lui « vise à soustraire à l’oubli

la mémoire elle-même »170 :

De là l’opposition qui régit sa description des phénomènes mnémoniques entre deux grandes masses placée sous le titre « keeping memory in mind »et la seconde sous le titre« pursuing memory beyondminde » (…) aussi bien Casey tient-il compte de complémentarité entre ces deux grands ensembles en intercalant en eux ce qu’il appelle les « les mnemonic modes » à savoir « reminding, reminiscing, recognizing »(…)171

« Keepingmemoryinmind » voulant dire «garder à l’esprit la mémoire »172 et «

pursuing memory beyond mind » signifiant « suivre la mémoire au-delà de l’esprit »173, ils deviennent donc deux modes mnémoniques partagés en trois pôles : « reminding, reminising, recongnizing » dont les significations sont :

- Reminding : désigne les indicateurs visant à protéger contre l’oubli.

- Reminiscing : veut dire réminiscence174, se situant surtout au niveau de la discursivité et de l’oralité : sorte de procès mémoriel, cela a trait également à l’évocation mais collective, cela est plus marqué aussi par l’activité que le premier pôle puisque des évènements et des savoirs se métamorphosent en mémoire, un souvenir servant d’assise pour un autre.

- Recognizing : la reconnaissance, il est complémentaire du rappel, car, par cette faculté, il donne au révolu un cachet de présence. « Se souvenir revient donc à maintenir en vie

les éléments appelés par la mémoire puis nommés »175 : on reconnaît la similitude entre un souvenir présent et une quelconque autre visée.

L’anamnèse couvre aussi d’autres domaines d’études comme l’HISTOIRE, d’où son timbre très critique dès son apparition en littérature dans les récits, et prend des fois une

170RICŒUR, Paul, la mémoire, l’histoire, l’oubli, op.cit., p. 45.

171CASEY, Edward S., Remembring, A phenomenologicalstudy, Bloomington et Indianapolis, Indiana university, 1987, cité par RICŒUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 45.

172 Dictionnaire Anglais Français, Larousse, 2010.

173Ibid.

174 Dictionnaire anglais.

175RANAIVOSON, Dominique, « Le temps n’a pas donc tout englouti », la mémoire des femmes dans les romans de Maïssa Bey, dans Ecriture féminine : réception, discours et représentations, Oran, CRASC, 2010, p. 263.

position imposante même sur le plan des croyances, comme l’explique Mircea Eliade l’historien des religions :

Il ne s’agit pas d’une simple connaissance « extérieure », comme d’apprendre et de retenir le nom de la capitale d’un pays ou la date de la chute de Constantinople. Une vraie anâmnèsis historiographique se traduit par la découverte d’une solidarité avec ces peuples disparus ou périphériques.176

L’anamnèse alors prend un rythme plutôt archéologique et remet en question même le fondement identitaire, pour ce elle suscite beaucoup de controverse et fait l’arme de plusieurs domaines d’étude en étroite collaboration. Et tout cela figure dans notre corpus d’étude et sera mis en évidence dans le chapitre suivant.

Survient à ce point de notre récapitulatif (concernant les différentes théories se rapportant à la mémoire) la notion de rappel, cité précédemment, ou plus précisément le rappel au passé :« l’effort de rappel peut réussir ou échouer. Le rappel réussi est une des figures de ce que nous appelons la mémoire "heureuse" »177. Bergson178 évoque deux types de rappel : «le rappel laborieux » et « rappel instantané », pour Ricœur :« (…) le rappel instantané

pouvant être tenu pour le degré zéro de la recherche et le rappel laborieux pour sa forme expresse »179

Ici les deux formes de rappel se distinguent par le degré de l’effort fourni lors de la recherche. Puis, savoir en juger et considérer cet effort, d’autres critères sont à retenir, par exemple : la gradation « du plus facile, qui est reproduction, au plus difficile qui est

production ou invention »180, donc le rappel peut être considéré en quelque sorte comme une production ou une reproduction, encore une fois selon l’effort intellectuel fourni.

Selon les critiques, l’exemple du rappel le plus significatif en littérature est celui de Marcel Proust, plus fréquemment connu comme l’épisode de la madeleine, Ricœur en parle aussi dans ces termes :

176 ELIADE, Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1963, p. 171.

177RICŒUR, Paul, la mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 34.

178 BERGSON, Henri, Energie spirituelle : Essais et conférences, Paris, Félix Alcan, p. 4

179RICŒUR, Paul, la mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 34.

Le moment du réveil, si magnifiquement décrit par Proust au début de la recherche …, est particulièrement propice au retour des choses et des êtres à leur place que la veille leur avait assigné dans l’espace et dans le temps. Le moment du rappel est alors celui de la reconnaissance, celui-ci à son tour peut parcourir tous les degrés de la remémoration tacite à la mémoire déclarative une nouvelle fois prête pour la narration 181

L’aspect du rappel se rapproche dans cet extrait de la reconnaissance, autrement dit, on remonte le temps en même temps que cela donne une impression du présent: se dernier se trouve mis en avant car les choses ont retrouvé leur emplacement initial, mais le rappel passe d’une remémoration implicite jusqu’à sa mise en lumière par une déclaration trouvant sa place dans la narration. Le rappel donc, une notion indissociable de la mémoire : « répéter n’est ni restituer après un coup ni réeffectuer : c’est "réaliser à nouveau ". La puissance créatrice de la répétition tient toute entière dans ce pouvoir de recouvrir le passé sur l’avenir182 », chaque répétition est « une nouvelle réalisation »183prenant ainsi une posture créatrice et contribuant dans le dessein de l’avenir.

1-2-2- Mémoire et identité

Dans une interview filmée en 1995 intitulée déjà : « Mémoire, oubli, histoire », avec Stéphane Ginet184, Ricœur définit la mémoire comme une nécessité personnelle absolue. La mémoire assume la profondeur du temps : « Le présent du passé est la mémoire …, le présent du futur est l’imagination et la volonté …, le présent du présent : à la fois mémoire et futur ».Nous pouvons dire que la mémoire est tout simplement la base même de l’identité. Elle est nécessaire à tout individu et à toute collectivité.

181RICŒUR, Paul, la mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 49.

182Ibid., p. 495.

183IDRIS, Nassim, « L’anamnèse dans les figuiers de barbarie de Rachid Boudjedra », Université de Béjaïa, [Mémoire en ligne], 2015, p. 25 in http://www .univbejaia.dz /dspace/bitstream /handle/ 123456789/1409 /L% e2%80%99anamn%c3%a8se%20dans%20les%20figuiers%20de%20Barbarie%20de%20Rachid%20Boudjedra.p df?sequence=1&isAllowed=y

Dans l’introduction de leur ouvrage, Jean-Yves et Marc Tadié proposent de saisir la mémoire comme « une fonction dynamique en mutation permanente185», alors que pour Paul Ricœur, « la mémoire est imaginative dans sa représentation de l’absence186 », d’autant plus que, réduite à une exploration de la trace de ce qui fut, elle ne laisse que très peu de marge entre ce qui relève du réel et ce qui, pour cause d’oubli, relève de l’imaginaire, de l’invention :

Ainsi, la mémoire participe du mythe de l’identité par la relation qu’elle autorise entre un "transmis " de la communauté et un "acquis" de l’individu". […]En se souvenant, la mémoire rappelle une histoire – individuelle ou collective- et retrace une filiation avec un Moi social dont se réclame le moi de l’individu, inspire des sentiments d’appartenance à un mode de pensée, des sentiments de répulsion d’une image acquise sous le regard de l’altérité et dont on découvre après coup l’incongruité.187

Ainsi, en explorant le passé par l’imagination, en s’aventurant dans les confins du temporel et du visible, la mémoire dans son omniscience projette la conscience d’un être autre, susceptible par la trame de l’imaginaire de nouer la permanence d’une identité. Or, comme le relève ailleurs Paul Ricœur, un tel travail de réminiscence du passé inscrit « la mémoire sur le

terrain de l’imagination avec la menace de l’imaginaire, de l’irréel, du virtuel188».

L’on pourrait même parler de l’identité culturelle, l'ensemble des traits culturels propres à un groupe ethnique qui lui confèrent son individualité, mais aussi le sentiment d'appartenance d'un individu à ce groupe. C’est ainsi que, pour Levi-Strauss, l'identité culturelle serait « une sorte de foyer virtuel auquel il est indispensable de se référer pour

expliquer un certain nombre de choses»189. Pour ce qui est de la relation entre identité

185TADIÉ, Marc et Jean-Yves, Le Sens de la mémoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1999, p. 12, cités dans,

Mémoires et identités dans les littératures francophones, DAHOUDA, Kanate et GBANOU, Selom. K. dir., coll. "Critiques littéraires", p. 9.

186RICŒUR, Paul, La mémoire, l'histoire, l'oubli, op. cit., p. 5.

187DAHOUDA Kanate et GBANOU, Selom. K.., op. cit., pp. 9/10.

188Académie universelle des cultures : RICŒUR, Paul ; WIESEL, Elie ; SEMPRUN, Jorge…et. Al, Pourquoi se

souvenir ? Paris, Grasset, 1999, p. 29.

culturelle et mémoire, il serait intéressant de partir de la théorie de Anne Rosine-Delbart190

selon laquelle l'identité culturelle, base de la vie des peuples, jaillit de leur passé et se projette dans l'avenir de sorte qu'elle n'est jamais statique mais à la fois historique et prévisionnelle, étant toujours en marche vers son perfectionnement et son renouvellement. Ici l'identité culturelle se transforme en une illusion littéraire.

Dans ce sillage, il nous paraît important de signaler que P. Ricœur évoque une notion très déterminante pour lui, l’idéologie, dans la mesure où elle conduit aux différentes manipulations de la mémoire et surtout « s’intercale entre la revendication d’identité et les expressions publiques de la mémoire191 ». Cette idéologie, toujours selon Ricœur, se distingue sur trois niveaux opératoires, déformation de la réalité, de légitimation du système de pouvoir, mise en pratique de système symboliques immanents à l'action et servant à l’intégration du monde commun, le tout en fonction des effets que cette idéologie exerce sur la compréhension du monde humain de l’action.

Dans cette inscription, la mémoire acquiert une aura de conflit, s’inscrivant dans la perspective d’un vécu problématique, ce dernier générant un désir de subversion dans les fictions francophones. A cette subversion nourrie par les aléas de l’histoire s’ajoute les préjugés et les stéréotypes qui étouffent les mémoires collective et individuelle. Dans une telle perspective, le lieu où se manifeste la mémoire se laisse appréhender comme une zone conflictuelle où l’enjeu devient l’identité de l’écrivain.

En parlant justement de fictions francophones, ces derniers, berceaux de pluralité, d’exil et de fragmentation, voient des relations s’établir entre la mémoire et la question identitaire car les métamorphoses de la première dans l’imaginaire francophone dégagent une certaine structure identitaire. De ce fait, le témoignage littéraire occupe également une place prépondérante dans la transmission de la mémoire, avec tout ce que cela suppose comme figures rhétoriques et stratégies narratives qui ramènent à la surface les souvenirs fragmentaires imprégnant la mémoire de la francophonie littéraire. .

La mémoire est donc souvenir involontaire et recherche, car l’aspect involontaire de la mémoire n’est pas exclusif lorsqu’il s’agit de mettre en valeur le caractère exceptionnel de son

190DELBART, Anne-Rosine, in BENIAMINO, Michel ; GAUVIN, Lise, Vocabulaire des études francophones, les

concepts de base, Limoges, Presses universitaires de Limoges, coll. «Francophonies », 2005.

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