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DIFFUSEES DANS LES LIEUX PUBLICS

I. Des musiques jouées aux musiques diffusées

La présence de musiques dans les lieux publics est loin d’être un phénomène spécifique à notre siècle. Retraçant une histoire sociale de la musique, Jacques Chailley (2000, pp 1-4), à la suite de nombreuses recherches archéologiques, explique ainsi que l’existence de la musique loin de ses origines antiques remonte à environ quarante mille ans et d’ajouter que les traces visuelles de sa présence quotidienne trouvent leur témoignage, plus récemment (15000 ans), dans les peintures inscrites sur les parois d’une grotte de l’Ariège. On y voit ainsi un sorcier masqué jouant de l’arc musical, instrument encore joué aujourd’hui dans certaines tribus d’Afrique. Des rites religieux aux rythmes guerriers, elle a accompagné les activités quotidiennes en leur procurant une fonctionnalité particulière. La fonctionnalité religieuse, voire mystique, de la musique recouvre ici une grande importance. De fait, l’aspect

« magique » de la musique fait d’elle un véritable « passeur » entre les dieux et les hommes.

De la même manière, l’Eglise en fera un moyen d’élever l’âme des fidèles et de les faire communier avec Dieu. Pour des musiciens assignés à l’Église, Bach par exemple, la musique dite « sacrée » se devait de servir Dieu tout en contribuant à l’élévation de l’âme des fidèles.

Rôle social et religieux de la musique qui se traduit par l’ordre rituel.

Si elle permet d’élever l’âme et plus globalement de servir le pouvoir, la musique peut aussi être liée aux festivités, à l’expression du corps qui peut aller jusqu’à l’orgie dionysiaque dans certains cas. Ainsi ces musiques que l’on écoute aujourd’hui avec le plus grand sérieux, ne sont alors que les accompagnements sonores d’événements publics et quotidiens. Ce qui fait dire à la sociologue Françoise Escal (1979), que « marque même de la socialité, la musique assure alors une fonction de contact, elle participe de la régulation sociale, elle est le bruit de fond des fêtes et des cérémonies de la noblesse » (p.219).

Cette implication sociale de la musique si elle est religieuse peut aussi être politique. Dans ce cas, la présence de musique vise à la glorification du pouvoir royal et à sa magnification tout en étant un accompagnement d’activités quotidiennes. Prenons le cas de Haendel.

« Watermusic » écrit en 1717 - suite de morceaux composés d’instruments puissants comme le cor ou la trompette – est à la fois un accompagnement musical du voyage du roi sur la

Tamise et un signe de sa puissance. On retrouve la même idée en 1749, avec sa célèbre

« Fireworks music » jouée à Hyde Park pour fêter la signature du traité d’Aix-la-Chapelle.

Cette musique d’extérieur est composée en accord avec les demandes royales. Ainsi par exemple, l’ajout de cordes fut ultérieur à cette première version, le pouvoir royal ayant ordonné l’unique présence d’instruments à vent. Au travers de ces deux exemples, la musique apparaît à la fois comme un accompagnement quotidien et comme un objet emprunt de fonctions spécifiées.

Mais cette fonctionnalité n’est pas toujours festive ou en rapport avec Dieu. Sa présence dans les lieux publics peut aussi être militaire et guerrière. Dans ce cas précis, c’est le rythme qui est marque de pouvoir. La marche cadencée marque cette symbiose entre le rythme musical et l’ordre. Ce genre musical a pour caractéristique principale d’être rythmé afin d’entraîner les troupes à combattre. En Chine par exemple, la musique avait ainsi trois fonctions principales lors d’un conflit armé. (Trebinjac, 1997)

Par le rythme joué, la première fonction visait à coordonner l’action collective, c’est-à-dire régler la marche, imposer et assurer l’ordre. Ensuite, elle avait une fonction communicationnelle puisque par le biais de tambours, elle véhiculait des ordres et les transmettait selon la hiérarchie militaire (chaque tambour, de taille différente, correspondait à un grade militaire). Enfin elle avait une fonction à la fois incitative et répulsive puisqu’en plus d’encourager les troupes alliées, elle se devait d’effrayer les troupes ennemies.

Mais plus extraordinaire est la ré-appropriation d’une musique ennemie afin de combattre cet ennemi. L’exemple de cette forme particulière de pouvoir s’illustre par la transformation textuelle de « frère jacques » en chant révolutionnaire chinois (Idem, pp. 235-236). Dans ce cas, la musique de l’autre devient une « arme » qui peut être retournée contre son auteur.

En France, la musique militaire s’organise à partir du XVIIe siècle et acquiert avec la révolution, en plus de sa fonctionnalité guerrière, un rôle patriotique95.

La présence de musique dans les lieux publics à ces différentes époques s’inscrit principalement dans une relation codifiée de pouvoir qu’il soit religieux, politique ou militaire

95 Avec la révolution, Le Chant de départ ou le Chant de guerre de l'armée du Rhin, composé en 1792 par Rouget de Lisle, sera rebaptisé sous le nom de « Marseillaise » et deviendra l’hymne national de la République. On retrouve d’ailleurs cette fonctionnalité patriotique dans d’autres pays et celle-ci perdurera jusqu’à aujourd’hui et se donne à entendre entre autre dans les compétitions sportives internationales. Cette fonction des « hymnes nationaux » est largement retracée dans l’ouvrage de Xavier Maugendre, L'Europe des hymnes dans leur contexte historique et musical, Mardaga, Paris, 1997

et est l’expression symbolique et physique d’accompagnement du quotidien. En cela, elle n’est donc pas bien différente de celle que l’on connaît aujourd’hui puisqu’elle continue d’exister sous ces mêmes formes. La composition autant que ses modalités d’écoute sont régies par des normes sociales précises : telle musique pour telle activité. La musique jouée ou diffusée aujourd’hui s’inscrit dans des pratiques culturelles puisque liée à des pratiques sociales définies.

Toutefois à la différence d’hier, la musique qui accompagne notre quotidien est en rupture avec ces modèles fonctionnels. Jusqu’à son industrialisation, elle s’organise en fonction de considérations spatiales et événementielles et trouve une application directe dans la société sous contrôle des instances qui la commandent. Or l’irruption et le développement des techniques d’enregistrement, de reproduction et de diffusion transforment peu à peu cette donne.