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De la mort intérieure, organique et du solidarisme

PREMIÈRE PARTIE : REPRÉSENTATIONS EXTÉRIEURES ET INTIMES DU DÉCLIN

CHAPITRE 3 : Schopenhauer, Wagner et Baudelaire ou la création littéraire littéraire

3.6 De la mort intérieure, organique et du solidarisme

Dans Le Temps retrouvé et dans Le Guépard l’optique baudelairienne de la mort devient un thème central.

Le sentiment schopenhauerien de la compassion se mêle, chez Tomasi di Lampedusa, au sentiment du tædium vitae et à la perception à la fois intérieure et organique de la mort, sous l’empreinte baudelairienne, pour aboutir au sentiment de pitié universelle qui émerge de ce chant désespéré de Giacomo Leopardi qu’est La Ginestra. L’auteur des Fleurs du mal devient un modèle pour penser également le rapport intime de Proust à la mort et à l’écriture : chez les deux écrivains le sentiment de la mort déclenche la création littéraire. Chez Baudelaire il est question à la fois d’une mort vécue de l’intérieur, qui comme dans le cas de Proust devient moteur de la création, et d’une mort qui se fait physique, violente. Baudelaire, et dans son sillage Lampedusa, n’hésitent pas à faire de l’organique morbide un véritable objet poétique. Comme l’écrit Jackson, chez Baudelaire la nouveauté radicale réside dans

« une assimilation, […] une intériorisation, même, de la mort comme foyer de perception du réel. La conscience poétique des Fleurs du mal trouve son unité en même temps que son point focal dans le fait qu’elle est une conscience de la mort ». Cette « vision de la mort » serait, selon Jackson, « à l’origine de la modernité2 ».

La mort habite le héros-narrateur de La Recherche de même que Don Fabrizio par les morts des « moi » proustiens et le sentiment de deuil qui s’accumule au plus profond des deux personnages. Dans Le Temps retrouvé, Proust établit une « filiation noble » (TR 499) avec Baudelaire au début du « Bal de têtes », quand il songe encore à son œuvre après avoir reçu les révélations de la mémoire involontaire :

Chez Baudelaire enfin, ces réminiscences, plus nombreuses encore, sont évidemment moins fortuites et par conséquent, à mon avis, décisives. C’est le poète lui-même qui, avec plus de choix et de

1 « laissaient au fond de l’âme un sédiment de deuil qui, s’accumulant jour après jour, finirait par être la véritable cause de sa mort » (G 63).

2 Ibid., p. 70.

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paresse, recherche volontairement, dans l’odeur d’une femme par exemple, de sa chevelure et de son sein, les analogies inspiratrices qui lui évoqueront “ l’azur du ciel immense et rond ” et “ un port rempli de flammes et de mâts” (TR 498).

L’analogie avec « La chevelure » permet à Proust d’établir une parenté avec Baudelaire en ce qui concerne le pouvoir mémoriel des réminiscences. Néanmoins, l’ascendance baudelairienne quant à la vision de la mort chez Proust est sous-entendue dans Le Temps retrouvé. Elle trouve sa justification et ses fondements dans les pages du Contre Sainte-Beuve. Dans « À propos de Baudelaire » Proust semble saisir la signification intime qu’a la mort chez Baudelaire. Elle habite le poète et lui donne son souffle créateur :

Peut-être hélas ! faut-il contenir la mort prochaine en soi, être menacé d’aphasie comme Baudelaire, pour avoir cette lucidité dans la souffrance véritable […] peut-être faut-il avoir ressenti les mortelles fatigues, qui précèdent la mort, pour pouvoir écrire sur elle les vers délicieux que jamais Victor Hugo n’aurait trouvé1 .

La comparaison avec Hugo permet à Proust de revendiquer la modernité de Baudelaire, modernité qui coïncide avec un nouveau regard sur la mort. De surcroît, les mots de Proust ne sont pas sans évoquer son état alors qu’il écrit son œuvre. La mort habite l’écrivain, le contraint à un combat acharné et en même temps devient un catalyseur de la création. Comme l’écrit Pietro Citati à propos de cette présence de la mort chez Proust :

Ainsi la mort — l’Etrangère, sa sœur à lui, l’étranger — vint envelopper la vie de Proust. Même Kafka, qui était plongé en elle de la façon la plus irrémédiable, ne fut pas à ce point gagné par sa contagion. Même Tolstoï, qui écrivait chaque soir dans son journal : « Si demain je suis vivant » ne l’eut pas aussi présente à l’esprit. L’idée de la mort était, pour Proust, une imminence : le jour de l’avènement du Christ pour les premiers chrétiens2 .

Ainsi, chez Baudelaire et Proust l’œuvre devient un tombeau : l’écriture côtoie la mort et se nourrit d’elle, car les morts, la mort de l’écrivain au monde et le risque imminent de sa propre fin, alimentent les pages de la Recherche. La mort chez Baudelaire est tout aussi physique et cruelle. Proust l’avait bien remarqué dans ses pages à propos de « Contre Sainte-Beuve et Baudelaire » :

Je comprends que tu n’aimes qu’à demi Baudelaire. Tu as trouvé dans ses lettres, comme dans celles de Stendhal, des choses cruelles sur sa famille. Et cruel, il l’est dans sa poésie, cruel avec infiniment de sensibilité, d’autant plus étonnant dans sa dureté que les souffrances qu’il raille, qu’il présente avec cette impassibilité, on sent qu’il les a ressenties jusqu’au fond de ses nerfs. Il est certain que dans un poème sublime comme Les Petites Vieilles, il n’y a pas une de leurs souffrances qui lui échappent. Ce n’est pas seulement leurs immenses douleurs […] il est dans leurs corps, il frémit avec leurs nerfs, il

1 Marcel Proust, « À propos de Baudelaire », Contre Sainte-Beuve, précédé de Pastiches et mélanges …, op. cit., pp. 621-622.

2 Pietro Citati, La Colombe poignardée, op. cit., p. 228.

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frissonne avec leur faiblesse […]. Mais la beauté descriptive et caractéristique du tableau ne le fait reculer devant aucun détail cruel1 .

Cette cruauté est un trait récurrent, voir essentiel pour analyser une des facettes que la mort dans le roman de Lampedusa. Le côté putride, organique, la vision dégoûtante de la nature que nous avons analysés précédemment, permet de penser au lien qui existe entre l’écriture de Lampedusa et celle de Baudelaire. Il n’est pas difficile de déceler l’influence de l’auteur des Fleurs du mal sur les accents baroques du Guépard, notamment dans un passage bien précis qui se situe dans la première partie du roman. Il s’agit de la scène du soldat retrouvé mort dans le parc du Prince.

La description d’un état de putréfaction avancée proprement révulsant de l’espace du jardin et d’un cadavre retrouvé dans le parc du Prince Salina évoque de près le langage avec lequel Baudelaire avait écrit la putréfaction dans des poèmes tels Une charogne et Un voyage à Cythère. En fixant son choix poétique sur un objet comme une charogne, Baudelaire nie l’idéalisme pétrarquisant qui émerge de l’utilisation de préciosités et de formules chères au poète italien2. Selon Rilke, qui dans ses Cahiers de Malte Laurids avait fait explicitement référence au poème de Baudelaire alors que son héros croyait comprendre le poète puisqu’ « Es war seine Aufgabe, in diesem Schrecklichen, scheinbar nur Widerwärtigen das Seiende zu sehen, das unter allem Seinden gilt3 », ce choix est fondamental pour y apercevoir une vision poétique de la modernité dont Cézanne avait été l’un des pionniers en art. Dans la lettre à sa femme datée du 19 octobre 1907, Rilke exprime ses impressions sur la modernité de Baudelaire après avoir assisté, au Salon d’Automne, à l’exposition Cézanne :

Tu te souviens sûrement… du passage des Cahiers de Malte Laurids où il est question de Baudelaire et de son poème La Charogne. J’en suis arrivé à penser que, sans ce poème, l’évolution vers le dire objectif, que nous croyons reconnaître maintenant en Cézanne, n’aurait jamais pu commencer ; il fallait d’abord qu’il fût là, impitoyable. Il fallait que le regard de l’art eût pris sur lui de voir dans le terrible même et ce qui ne paraît que répugnant, la part d’être, valable autant qu’une autre. Pas plus qu’un choix ne lui est permis, il n’est loisible au créateur de se détourner d’aucune existence : un seul refus, à quelque moment que ce soit, le prive de l’état de grâce, le rend entièrement coupable1.

1 Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, précédé de Pastiches et mélanges …, op. cit., p. 250.

2 On remarquera l’utilisation de formules comme : « Étoile de mes yeux, soleil de ma nature, / Vous, mon ange et ma passion ! ». Baudelaire semble lancer ainsi un défi à la tradition lyrique et idéaliste, Charles Baudelaire,

« Une Charogne », Les Fleurs du Mal, op. cit., vv. 39-40, p. 32.

3 Rainer Maria Rilke, Die Aufzeichnungen des Malte Laurids Brigge (1929), Köln, Könemann, 1999, p. 72. « Il lui incombait de voir parmi ces choses terribles, parmi ces choses qui semblent n’être que repoussantes, ce qui est, ce qui seul compte parmi tout ce qui est », R. Maria Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, traduit de l’allemand par Maurice Betz, Paris, Seuil, 1966, p. 69.

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Rilke semble ainsi défendre une nouvelle vision de la mort inaugurée par Baudelaire et qui serait fondatrice de la modernité.

Chez Baudelaire et Lampedusa émerge autant le goût du macabre qu’une des composantes fondamentales de la poétique de la mort: le binôme éros-mort. L’éros chez les deux écrivains ne peut pas se détacher du putride et de l’attraction vers le morbide. Dans Une charogne la vue de cet “objet” inspire des comparaisons sexuelles :

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique, Guépard, la description de la vue du corps du soldat, qu’on avait trouvé « bocconi nel fitto trifoglio, il viso affondato nel sangue e nel vomito, le unghie confitte nella terra, coperto di formiconi; e di sotto le bandoliere gl’intestini violacei avevano formato pozzanghera3 » (G 35), évoque ces vers d’Une charogne: révoltante d’un pendu dont « Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses5 », mais on lit aussi le thème de la sépulture niée au pendu, qui ouvre sur la vision religieuse de l’écrivain.

L’association faite par Russo du pantin à une charogne qui continue de puer même après sa mort, répond, il est vrai, à la vision politique du surintendant, mais ouvre également sur une vision qui dépersonnalise l’existence en lui refusant le rituel de la sépulture. En effet, les mots

1 Trad. Philippe Jaccottet, L’Ephémère 18, 1971, p. 233. Cité en note dans John E. Jackson, La mort Baudelaire, op. cit., p. 69.

2 Charles Baudelaire, « Une charogne », op. cit., vv. 5-8, p. 31.

3 « la face contre le sol dans le trèfle épais, le visage enfoncé dans le sang et les vomissures, les ongles plantés dans la terre, couvert de grosses fourmis ; et, en dessous des bandoulières, les intestins violacés avaient formé une flaque » (G 14).

4 Charles Baudelaire, « Une charogne », op. cit., vv.17-20, p. 31.

5 « Un voyage à Cythère », Ibid., v. 34, p. 118.

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de Russo, tout en étant tout ce qui avait commémoré cette mort « derelitta1 » (G 36), tout comme les péchés qui interdisent le tombeau au pendu de Baudelaire, évoquent le thème ancien de la mort sans sépulture pour des raisons politiques et religieuses. Il s’agit d’une des morts parmi les plus indignes dans l’imaginaire collectif, déjà au Moyen Âge, et que Philippe Ariès définit de « sépulture maudite2 ».

Chez les deux écrivains se pose ainsi la question de la mystique, d’une vision religieuse de l’existence et de l’après mort. À propos de Baudelaire, Marc Eigeldinger a justement souligné comment

S’il est un dogme chrétien auquel l’esprit de Baudelaire demeure farouchement étranger, c’est bien celui de la résurrection des corps, destinés à revêtir l’incorruptibilité. […] Pour Baudelaire le corps est voué à une existence souterraine et larvaire, à la souffrance et à la dissolution3.

Lampedusa défend, lui aussi, une vision laïque de l’existence. La mort est un passage au néant, ou bien à un état larvaire, elle désigne le retour à la matière inorganique. L’absence d’un sentiment religieux chez Lampedusa relève d’une vision matérialiste de l’écrivain. Il s’agit d’une vision qui se nourrit d’un sentiment de pitié universelle qui tire ses racines immanentistes et matérialistes de la pensée de Giacomo Leopardi. Samonà a intitulé son chapitre sur la sixième partie du Guépard « Ginestra lampedusiana », faisant remarquer comment chez Lampedusa la solidarité est loin d’être un mysticisme chrétien ou laïque-philanthropique. Le critique attribue donc à Lampedusa une appartenance à un courant solidaire nettement italien, malgré les préférences transalpines de l’écrivain en matière littéraire. Quant à Don Fabrizio le critique souligne comment

ce sont justement sa condition désespérée et sa façon aussi désespérée de concevoir la condition humaine en général, qui poussent Don Fabrizio vers la solution, ou, pour mieux dire, l’issue de la solidarité : non pas politique, bien entendu, mais universelle et humanitaire aussi, comme dans La Ginestra, justement, avec un ennemi commun à l’ arrière-plan : l’éternité de l’être4.

Dans Le Guépard, ce sentiment léopardien est la conséquence du passage, dans la perspective du héros, d’une conscience individuelle à une conscience universelle de la misère de l’existence. La solidarité universelle et humanitaire, avant de se manifester dans toute sa complexité dans la sixième partie du roman, « Le Bal », prend souvent la forme, tout au long du roman, de la compassion ou bien fait émerger le thème des « affanni altrui ». Il suffit pour

1 « abandonnée » (G 15).

2 Philippe Ariès, L’homme devant la mort, op. cit., voir « La sépulture maudite », pp. 50-52.

3 Marc Eigeldinger, Baudelaire et la conscience de la mort, op. cit., p. 64.

4 Traduction en français citée dans Francesco Orlando, L’Intimité et l’Histoire, op. cit., pp. 94-95.

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cela de se rapporter à ces quelques épisodes en particuliers : l’un relatant les réflexions de Don Fabrizio relatives à la mort du lapin durant la chasse dans la troisième partie, l’autre indiquant le point de vue de l’auteur sur les pauvres, dans la cinquième partie. Le thème de la

« Ginestra lampedusiana » intéresse la sixième partie du roman, tandis que durant l’agonie du Prince, ce dernier, ou mieux l’auteur, semblent compatir à la souffrance autrui. Il n’y a pas de limite à cette pitié universelle qui est mue par le sort de tous les êtres vivants.

A ce propos, l’agonie de l’animal ouvre sur des réflexions liées à la mort dans Le Guépard. Il s’agirait d’une description qui, si elle propose un parallèle avec l’illusion des êtres humains de pouvoir échapper à la mort, n’en montre pas moins la vanité nourrissant cette espérance. Selon une philosophie commune à Schopenhauer et à Leopardi, il est question d’une conscience aiguë de la haine à l’égard de l’ordonnancement des choses et donc de la nature, ennemie des deux philosophes. Il n’est pas si étrange que Lampedusa ait consacré autant d’attention à l’agonie d’un animal, si l’on songe qu’il était plus touché de la mort d’un animal que d’un être humain1. D’autre part l’agonie du lapin s’insère dans le discours principal du roman autour de la mort, et relève du traitement que l’écrivain confie à deux types de morts, la mort animale et celle humaine. La mort animale, comme d’ailleurs la mort du soldat, tient lieu de violence physique et de « supplice2 ». Lampedusa n’épargne aucune atrocité alors qu’il s’agit d’écrire la mort d’autrui, il s’acharne sur les détails physiques. Ailleurs, la compassion envers l’animal devient implicite lorsqu’il s’agit, par exemple, des « aragoste lessate vive1 » (G 227).

S’il est question de compassion pour les êtres humains, elle est rarement orientée vers les pauvres, ce qui justifierait le ressentiment de Sciascia lors de la sortie du roman. Ce n’est que dans le dialogue entre le Père Pirrone et Pierrino que l’on peut déceler un sentiment solidaire de la part de l’écrivain lorsqu’il qualifie Pierrino de « pauvre vieux ». La pitié pour les douleurs d’autrui rejoint un sentiment de pitié universelle lorsque la condition des pauvres

1 Il s’agit d’une vérité déclarée par Francesco Orlando dans Un Souvenir de Lampedusa : « Lampedusa réservait ou transférait aux animaux une sympathie, certes moins absorbante que ne l’aurait été celle plusieurs fois refusée au genre humain. L’amour de don Fabrice pour les chiens est le même qu’il partageait, au-delà de toute mesure, avec ses cousins Piccolo et qui lui faisait prendre une voix tendre pour cajoler sa petite chienne Poppy.

Inoffensives, peut-être parce que muettes, les bêtes lui rendaient plus facile cette identification désintéressée avec la victime qui constitue la pitié. Ce n’est pas par hasard que la mort d’un lapin est un des moments les plus émouvants du Guépard, et la souffrance des langoustines bouillies vives ou celle des bécasses éventrées anime comme un remords la description des “délices cruels et colorés” du festin chez les Ponteleone », Francesco Orlando, Un souvenir de Lampedusa (1962), suivi de A distances multiples (1996), trad. de l’italien par Michel Balzamo, Paris, L’Inventaire, 1996, pp. 65-66.

2 Sur la mort comme “supplice”, et donc animale ou d’autrui, et comme “usure” donc personnelle et lyrique, voir Francesco Orlando, « La mort comme supplice ou comme usure, animale ou humaine, d’autrui ou propre à soi », L’Intimité et l’Histoire, op. cit., pp. 92-100.

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paraît de plus en plus désespérée. On pense aussi aux descriptions maladives, morbides de Donnafugata, peuplée de femmes en deuil et des trachomes sur les paupières des enfants.

La philosophie solidariste se manifeste dans toute sa force dans la sixième partie du roman. À cet apogée du solidarisme universel se lie un thème cher à Schopenhauer et Baudelaire qui est le sentiment intime de l’ennui ⸻ sentiment que l’on retrouvera tout aussi bien dans la partie relatant la mort de Don Fabrizio. Il s’agirait d’impressions relevant autant de la cognition de la douleur humaine, que d’une réflexion toute personnelle et existentielle.

Tout au long du bal chez les Ponteleone l’on assiste à une gradation du sentiment de tædium vitae et de l’ennui du personnage, qui passent du « cattivo umore », au « malumore », du

« disagio » à la qualification de Don Fabrizio de « nauseato », jusqu’à se transformer en

« umore nero2 » (G 217 ;218 ;218 ;219 ;220). La mauvaise humeur est donnée par la vétusté du décor du palais des Ponteleone, palais qui est associé aux catacombes. Cette association n’est pas sans anticiper les effets mortifères que la vieillesse a produits sur ces aristocrates.

Par le sentiment de dégoût et d’ennui Don Fabrizio commence le bilan de sa propre vie. Sa nausée a plusieurs causes : la prise de conscience d’avoir gaspillé les meilleures années de sa vie pour des femmes maintenant laides. Au contact avec les membres de sa classe, qui l’avaient toujours considéré comme un “extravagant” à cause de sa passion pour l’astronomie, l’humeur de Don Fabrizio se transforme en taedium vitae, « la malincolia si era mutata in umor nero autentico3 » (G 220). L’ennui semble également nourrir la vie du héros. Ainsi, lorsqu’il est en train de mourir, Don Fabrizio prend conscience que la plupart de sa vie a été submergée par cette sensation : « “Ho settantatré anni, all’ingrosso ne avrò vissuto, un totale di due…tre al massimo.” E i dolori, la noia, quanti erano stati ? Inutile sforzarsi a contare:

tutto il resto: settant’anni4 » (G 245). L’ennui de Don Fabrizio tire ses racines de l’ennui chez Baudelaire. En effet, dans sa jeunesse Lampedusa avait déjà écrit sur Baudelaire et sur le sentiment profond de l’ennui, inséparable de la douleur qui émerge des pages de Shelley.

Dans l’un des vingt-quatre elzeviri de Aromatisi Tomasi, attribués à Lampedusa5, et dans lesquels l’on retrouve les éléments majeurs qui seront développés dans Le Guépard, soit l’ironie à l’égard du mélodrame et du romantisme, la conception de l’amour et de la mort, la

Dans l’un des vingt-quatre elzeviri de Aromatisi Tomasi, attribués à Lampedusa5, et dans lesquels l’on retrouve les éléments majeurs qui seront développés dans Le Guépard, soit l’ironie à l’égard du mélodrame et du romantisme, la conception de l’amour et de la mort, la