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De l’acquisition à l’ingénierie des connaissances

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1.5 - Analyse des travaux sur les modèles conceptuels

1.5.2 De l’acquisition à l’ingénierie des connaissances

L’historique de l’ingénierie des connaissances peut être retracé à partir des changements de points de vue sur le processus de modélisation qui ont jalonné les recherches du domaine. Avant de présenter ce parcours historique et les différentes approches de la modélisation encore d’actualité, je m’appuie sur les questions pratiques que soulève la mise au point d’un modèle.

1.5.2.1 Questions pratiques d’un projet d’IC

Un projet d’ingénierie des connaissances porte, dans un premier temps, sur des analyses de besoin, des analyses de tâche et d’activité, qui débouchent sur un travail d’inventaire de ressources d’une part, et de spécification de

51 - A quel besoin veut-on répondre ?

o quelle est la tâche à assister ? Qui en maîtrise la réalisation actuellement ? o qui sont les utilisateurs ? avec qui collaborent-ils ? au sein de quelle

organisation ?

o comment leur tâche doit-elle évoluer ? - Comment répondre à ce besoin ?

o Quel système informatique définir ?

o quelle part de la tâche va-t-il prendre en charge ? comment l’utilisateur réaliserait-il sa tâche à l’aide de ce système ?

o comment le système va-t-il traiter la part qui lui revient ? selon quelle méthode ?

o quelle interaction vise-t-on entre le système et l’utilisateur ?

- Comment accéder aux connaissances qui permettront au système de réaliser la tâche définie ?

o Quels types de connaissances viennent-ils répondre à ces besoins ?

o Quelqu’un détient-il les connaissances correspondant au domaine de l’application et à la méthode choisie ? La méthode relève-t-elle d’une solution algorithmique connue ?

logiciel d’autre part. À titre d’illustration, le tableau 1 présente des exemples de questions abordées pour mener ces premières étapes.

Tableau 1 : Exemple de questions relatives à un projet d’ingénierie des connaissances.

Les réponses apportées à ces questions ont évolué avec la notion de système à base de connaissances et en fonction des bilans tirés des expériences de développement de l’ingénierie des connaissances. Suivant les réponses, le système à développer devra comporter ou non une opérationnalisation de la tâche à réaliser, codée à l’aide de connaissances ou d’algorithmes connus. Il comportera ou non un modèle explicite des connaissances du domaine permettant de guider ou d’orienter l’utilisateur.

Tableau 2 : Exemples de questions relatives à la modélisation des connaissances.

Dans un deuxième temps, se posent des questions relatives au processus à mettre en place pour modéliser ces connaissances et spécifier le système à concevoir, questions plus au cœur de l’ingénierie des connaissances (tableau 2). Il s’agit de définir ou d’utiliser des techniques d’identification et de recueil de connaissances, d’explicitation, de choix, de structuration et de modélisation. On s’intéresse ensuite à l’opérationnalisation des modèles, à leur validation opératoire ou leur capacité d’interprétation par le système opérationnel.

Ces deux groupes de questions ne sont pas indépendants : les modalités de l’opérationnalisation font partie des choix méthodologiques, et peuvent avoir des conséquences sur la représentation des connaissances. Ils doivent également être traités en ayant à l’esprit les problèmes amont d’étude de besoins. Cependant, suivant que la priorité sera donnée à l’un ou l’autre, les recherches de l’IC s’orientent vers des propositions de natures différentes.

Dans le premier cas, l’accent est mis sur les aspects méthodologiques, sur le support au travail du cogniticien. Les recherches peuvent par exemple porter sur la manière de mettre en forme une méthode et la rendre accessible à des cogniticiens, sur la manière de garder des traces des choix de modélisation dans le cadre d’une méthode donnée ou encore sur la nécessité ou non d’établir une correspondance structurelle entre un modèle et son implémentation.

- Comment déterminer puis recueillir, rassembler de manière explicite et représenter les connaissances ainsi spécifiées ?

o quelles techniques et logiciels utiliser pour le recueil d’expertise ou de connaissances spécialisées, pour l’analyse de textes ou le dépouillement de données ;

o choix ou définition de représentations de connaissances adaptées pour modéliser la tâche à réaliser et le domaine concerné ;

o adopter une approche orientant l’utilisation des logiciels de recueil, le dépouillement de leurs résultats pour organiser un modèle et l’articulation entre les différentes composantes du modèle

o valider ce modèle

- Comment les rendre opérationnelles conformément au rôle retenu pour le système ? comment s’assurer qu’elles vont permettre au système de réaliser la tâche attendue ?

o quel formalisme utiliser ? quelle architecture retenir pour le système

SCHÉMA DU M.C.

EXPERTISE PARTIELLE

1 2 3

4

MODÈLE CONCEPTUEL COMPLET

MODELEOPERATIONNEL SOURCE DE CONNAISSANCESS

1.5.2.2 Étapes du processus de modélisation

J’ai déjà évoqué le cheminement historique qui a conduit à introduire des modèles conceptuels en amont de la définition de systèmes à base de connaissances. Ces modèles caractérisent les différents types de connaissance utiles à la résolution de problèmes. L’objectif de construire un modèle conceptuel guide l’identification (le recueil) et la représentation des connaissances. Le processus de modélisation comporte alors deux types d’activités (étapes 1 et 2 de la figure 2.3) : rassembler des indications, entretiens, observations sur la manière dont les experts procèdent puis les organiser, les structurer dans un modèle.

Avec la notion de « système expert de 2e génération » puis, plus tard, de système à base de connaissances coopératif, on admet que le système peut raisonner selon sa propre méthode. Le modèle n’est plus alors systématiquement le reflet exact de la méthode mise en oeuvre par l’expert.

De plus, c’est la méthode choisie qui va déterminer les connaissances requises : elle oriente l’acquisition. On parle d’acquisition guidée par les

modèles. Ce processus correspond à l’ajout de l’étape 3 sur la figure 2.3 : pour parvenir au modèle conceptuel visé, le modèle en cours de construction sert de cadre, fournit des repères pour orienter la recherche de connaissances complémentaires. Une première version du modèle (incomplet) permet de revenir sur les étapes 1 et 2 en indiquant de manière plus précise la nature des connaissances à rechercher auprès des sources de connaissances. Ce schéma est une abstraction de certaines propriétés des connaissances utiles au système visé.

Figure 2.3 : Cycle de la modélisation des connaissances d’après [RIA, 92].

Enfin, parce que l’opérationnalisation (étape 4 sur la figure 2.3) va bien au-delà d’une simple traduction du modèle conceptuel, cette dernière étape fait partie du processus d’ingénierie des connaissances. L’observation du comportement et des erreurs éventuelles du modèle opérationnel peut nécessiter de préciser des connaissances, de corriger ou de compléter le modèle.

Cette analyse, proposée dès 1992 [RIA, 92], a été par la suite revue et affinée. En particulier, la notion de schéma de modèle conceptuel rend compte non pas d’un modèle partiel mais d’un modèle caractérisant les connaissances à un niveau plus abstrait. Il guide l’acquisition et la structuration de connaissances plus précises. Par exemple, dans la méthode KADS, la structure

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d’inférence oriente le recueil de concepts et d’heuristiques du domaine jouant les rôles définis par cette structure.

1.5.2.3 Aspects ascendants versus descendants, réutilisation

Cette analyse présente l’intérêt de fournir un cadre encore pertinent pour rendre compte des tâches impliquées dans le processus de modélisation d’une part, et pour situer et comparer les propositions de l’état de l’art au cours des années.

Une première dimension d’analyse est celle de la formalisation, qui correspond à l’axe horizontal sur la figure 2.3. La modélisation conceptuelle progresse de manière continue selon cet axe, jusqu’à l’obtention d’un modèle opérationnel. Suivant les approches, le modèle obtenu se situe à la fin de l’étape 3 (cas de MACAO) ou à l’étape 4 (cf. CommonKADS). Dans le cas où le même langage serait utilisé pour décrire le modèle et pour son opérationnalisation, comme dans les Role Limiting Methods (Marcus, 1988) ou COMMET (Steels, 1990), les étapes 3 et 4 sont imbriquées.

Une deuxième dimension caractérise les tâches d’abstraction versus celles de spécialisation. Elle correspond à l’axe vertical sur la figure 2.3, où le schéma du modèle conceptuel et le modèle lui-même se situent à un niveau plus abstrait que le système opérationnel puisque, par nécessité, le modèle opérationnel manipule aussi des instances.

L’étape 2 est finalement le cœur du processus : elle inclut le choix ou l’identification de caractéristiques pertinentes de la résolution de problème et des concepts du domaine. La manière de mener cette étape a fait l’objet de nombreuses recherches. Elle peut être considérée comme une tâche ascendante où, partant des données recueillies, on cherche à dégager une représentation conceptuelle caractérisant les raisonnements que le système mettra en œuvre et les éléments du domaine associés. Elle peut aussi faire appel à la réutilisation de structures génériques (en général des méthodes de résolution de problème), propres à des types de problème particuliers, suivie d’une tâche descendante d’adaptation, d’affinement de ces structures et d’inventaire des connaissances du domaine associées, remplissant les rôles définis par ces structures. Ces modèles guident alors le recueil et l’analyse des données auprès d’experts ou dans des textes.

1.5.2.4 Évolution des points de vue sur la modélisation

Ce cadre unifiant les approches de modélisation constitue un moyen de mieux identifier les résultats produits, les points variables, les changements de points de vue et d’approches au cours de l’histoire de l’ingénierie des connaissances.

J’ai déjà évoqué deux des paramètres qui ont évolué : le type d’application visée, la manière de rendre opérationnelles les connaissances dans un système informatique ; et le point de référence du modèle (modèle cognitif versus modèle du système). En lien avec le type d’application, un autre paramètre est le degré d’opérationnalisation et de formalisation du modèle : l’histoire de l’IC tend à refléter une prise de distance avec l’IA : l’objectif visé n’est pas en priorité de faire un système intelligent, mais bien d’augmenter l’efficience de l’utilisateur aidé par le système. De ce fait, alors que les premiers modèles prenaient en charge la totalité de la résolution de problème, les modèles suivants ont facilité la répartition des tâches entre le système et

l’utilisateur. Finalement, dans les applications actuelles, le modèle ne reflète qu’une partie des connaissances (connaissances du domaine comme les ontologies, manipulées par un moteur de recherche ou autre application, ou la partie interaction système utilisateur, etc.).

Dans ce contexte, les connaissances stabilisées, consensuelles et partagées prennent le pas au sein des modèles sur les savoir-faire et l’expertise individuelle. Il s’agit d’un saut qualitatif considérable, qui traduit une sorte de renoncement à la vocation première des systèmes experts et qui répond à des besoins un peu différents. Ce changement reflète une vision plus réaliste et plus générale de l’aide à l’utilisateur.

Au fil des expériences, la nature des sources de connaissances interrogées s’avère très diverse (expert humain, collectif de spécialistes ou de futurs utilisateurs, textes techniques, documents liés à un domaine ou à l’activité …). De ce fait, la place de l’expert est souvent réduite au profit de celle de l’analyste, chargé entre autres d’observer et analyser les activités humaines, rassembler et analyser des textes, etc. L’expert n’intervient que pour des validations fondamentales.

Plus radicalement encore, le statut du modèle conceptuel est en train de prendre un nouveau tournant qui reflète un point de vue différent sur les connaissances (ce point de vue n’est pas nouveau en sciences cognitives ou en philosophie, c’est son appropriation en IC qui est récente). En effet, si le modèle conceptuel est un modèle de connaissance, ce n’est pas parce qu’il rend compte de connaissances humaines sous forme d’un objet manipulable et palpable, sous la forme de représentations. C’est parce qu’il permettra, à travers un système informatique l’utilisant, d’en observer des traces, des manifestations ou le fruit de leur utilisation, ou encore plus simplement de donner accès à des sources d’information que l’utilisateur interprète pour construire des connaissances.

Le processus d’ingénierie des connaissances, après avoir été considéré comme une extraction, une acquisition puis une modélisation de connaissances, doit maintenant prévoir un support à la co-construction de connaissances pendant l’usage du système visé. L’IC doit donc outiller la gestion de modèles permettant aux systèmes informatiques de restituer des traces, des inscriptions de connaissances auprès de leurs utilisateurs.

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