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Le fragment C17-C25 de l’hémicalide possède un motif δ-lactone-α,β-dihydroxylée substitué par deux chaînes en β (C21) et δ (C19), ramifiées en position adjacente par un groupement méthyle. L’observation d’effets Overhauser nucléaires (nOe), par spectroscopie RMN, entre les protons H22 et H24, d’une part, et entre H22 et les protons portés par le groupement méthyle en C24, d’autre part, suggérait une orientation relative cis des deux groupements hydroxyle en C21 et C22. En outre, la valeur relativement élevée de la constante de couplage scalaire 3J entre H19 et un des protons H20

[3J(H19-H20) = 11.3 Hz] semblait caractéristique d’un couplage vicinal entre deux protons axiaux dans un cycle à six chaînons de conformation chaise, ce qui a été validé par des expériences de modélisation moléculaire.32 Enfin, l’observation d’un effet Overhauser entre le proton H20 en position axiale et le proton H22 suggérait une orientation relative anti de la chaîne latérale en C19 par rapport aux deux groupements hydroxyle (Schéma I.16).

Schéma I.16

Ces observations ont permis de limiter immédiatement à quatre le nombre de diastéréomères possibles pour le fragment C17-C25, différant par la configuration relative des carbones C18, C19 et C24. La synthèse de quatre lactones modèles M45a-M45d a alors été envisagée afin de de comparer leurs spectres RMN avec ceux du produit naturel. Signalons que des fonctions alcool, protégées de manière orthogonale par des groupements TBS et benzyle, ont été introduites en C17 et C25 dans ces lactones modèles M45a-M45d afin de pouvoir les valoriser dans une approche synthétique de l’hémicalide, malgré l’absence de telles fonctions dans le produit naturel (Schéma I.17).

32 E. Fleury, M.-I. Lannou, F. Bistri, F. Sautel, G. Massiot, A. Pancrazi, J. Ardisson, J. Org. Chem. 2013, 78, 855-864.

Schéma I.17

L’approche synthétique sélectionnée, illustrée dans le cas de la lactone dihydroxylée M45a par exemple, repose sur l’introduction du motif 1,2-diol par dihydroxylation syn de la δ-lactone-α,β-insaturée M46a qui pourrait résulter d’une réaction de Horner-Wadsworth-Emmons (H-W-E) intramoléculaire du céto-phosphonate M47a. Ce dernier composé pourrait être préparé par estérification et ozonolyse à partir de l’alcool homoallylique M48a dont la synthèse pourrait être réalisée par une allylation de Dias diastéréosélective33 impliquant l’allylsilane M49 et l’aldéhyde (S)-M15 (Schéma I.18).

Schéma I.18

33 a) L. C. Dias, R. Giacomini, J. Braz. Chem. 1998, 9, 357-369; b) L. C. Dias, R. Giacomini, Tetrahedron Lett. 1998,

39, 5343-5346; c) L. C. Dias, P. R. R. Meira, E. Ferreira, Org. Lett. 1999, 1, 1335-1338; d) L. C. Dias, L. J. Steil, Tetrahedron Lett. 2004, 45, 8835-8841.

L’allylsilane M49 a été synthétisé en trois étapes à partir de l’ester de Roche de configuration (R) qui a d’abord été protégé sous forme d’éther de benzyle par traitement avec le trichloroacétimidate de benzyle en présence d’une quantité catalytique d’acide (TfOH), puis l’ester résultant M50 a été soumis à l’addition de deux équivalents d’un organocérique, engendré à partir du bromure de triméthylsilylméthylmagnésium et de CeCl3 anhydre. L’alcool tertiaire M51 a alors été traité par une résine acide (Amberlyst-15, hexane, ta) de sorte à induire une élimination de Peterson, menant à l’allylsilane désiré M49, tout en évitant la protodésilylation de ce dernier composé (Schéma I.19).

Schéma I.19

L’allylsilane M49 a d’abord été transmétallé par traitement avec du tétrachlorure d’étain (CH2Cl2, -78 °C), puis l’organotrichlorostannane résultant M52 a été additionné sur les aldéhydes (S)-M15 et (R)-M15 pour fournir respectivement les alcools M48a (74%) et M48b (85%) avec d’excellentes diastéréosélectivités (rd > 95:5).

Le contrôle 1,4-syn observé lors de la formation des alcools homoallyliques M48a et M48b a été expliqué par l’intervention d’un trichloroorganostannane complexé par l’éther de benzyle, formant ainsi un cycle à six chaînons de conformation bateau avec le groupement méthyle en position équatoriale. Cette espèce organométallique réagit alors avec l’aldéhyde via un état de transition cyclique MET6 de type Zimmerman-Traxler (avec le groupement R en position équatoriale).34 Pour obtenir les deux épimères respectifs de M48a et M48b en C19, l’alcool secondaire a été engagé dans une réaction de Mitsunobu avec l’acide para-nitrobenzoïque et, après

saponification de l’ester, les deux alcools homoallyliques correspondants M48c (99%) et M48d (92%), respectivement, ont été isolés (Schéma I.20).

Schéma I.20

Les quatre alcools homoallyliques diastéréomères ont alors été engagés dans la même séquence qui ne sera détaillée, par souci de concision, que dans le cas de M48a. L’alcool secondaire a d’abord été converti en ester β-phosphonique dans les conditions de Steglich puis la double liaison a été soumise à une ozonolyze suivie d’un traitement réducteur. Après un important travail d’optimisation, l’oléfination de Horner-Wadsworth-Emmons a pu être réalisée en additionnant du

tert-butanolate de lithium (0.9 équiv) au phosphonate M47a (THF, 40 °C) et la lactone insaturée

M46a a été isolée avec un bon rendement de 70%. La syn-dihydroxylation de M46a en présence d’une quantité catalytique d’osmate de potassiu et de N-oxyde de N-méthylmorpholine a fourni la lactone dihydroxylée souhaitée M45a sous la forme d’un unique diastéréoisomère (syn-dihydroxylation sur la face la plus dégagée de la double liaison, en anti de la chaîne ramifiée en C19) (Schéma I.21).

Schéma I.21

Les spectres de RMN 1H des quatre lactones diastéréoisomères M45a-M45d ont été comparés à celui de l’hémicalide, en particulier les signaux correspondants aux protons H19 et H22. La proximité structurale entre les modèles M45a-M45d et l’hémicalide a été jugée suffisante pour utiliser la valeur du déplacement chimique du proton H22 comme discriminant. La valeur du déplacement chimique du proton H22 dans l’hémicalide (4.27 ppm) est plus proche de celle observée dans le cas des lactones modèles M45a (4.23 ppm) et M45b (4.22 ppm), qui possèdent une relation

syn entre le groupement méthyle en position C24 et le groupement oxygéné en position C19, que

pour les lactones épimères en C19 M45c et M45d.

Etant donnée la différence d’environnement électronique marquée autour du proton H19 entre les modèles M45a-M45d et l’hémicalide, puisqu’un éther de tert-butyldiméthylsilyle en C17 remplace une double liaison trisubstituée, la valeur du déplacement chimique de H19 n’a pas été considérée comme pertinente et seules les multiplicités des signaux ont été comparées. Dans le spectre RMN 1H de l’hémicalide, H19 apparaît comme un doublet de doublet dédoublé, avec des constantes de couplages de 11.5, 7.5 et 3.5 Hz. Or, seules les lactones M45b et M45c, dans lesquelles l’orientation relative des protons H19 et H18 est anti conduisent à une telle multiplicité pour le signal correspondant. Par conséquent, la configuration relative la plus probable du fragment C17-C25 de l’hémicalide a été initialement supposée similaire à celle de la lactone modèle M45b (Tableau I.5).32

RMN 1H (CD3OD, 500 MHz) δ (ppm), multiplicité H19 H22 Hémicalide 4.42 (ddd, J = 11.5, 7.5, 3.5 Hz) 4.27 (s) M45a 4.76 (dt, J = 12.0, 3.9
Hz) 4.23 (s) M45b 4.62 (ddd, J = 10.7, 6.7, 4.9 Hz) 4.24 (s) M45c 4.63 (ddd, J = 11.3, 6.7, 4.4 Hz) 4.15 (s) M45d 4.77 (dt, J = 11.9, 3.9 Hz) 4.14 (s) Tableau I.5

Si la présence des deux alcools protégés en C17 et C25 dans les lactones modèles M45a-M45d diminuait la fiabilité des comparaisons avec l’hémicalide par spectroscopie RMN, ces fonctions étaient potentiellement utiles pour l’extension de la chaîne carbonée. Cependant, l’aldéhyde M53 engendré à partir de la lactone M45b par formation de l’acétonide du motif 1,2-diol en C21-C22, déprotection (HF.Py) puis oxydation (periodinane de Dess-Martin) de l’alcool en C17, n’a pas pu être engagé avec succès dans les réactions d’Ohira-Bestmann35 ou de gem-dibromooléfination de Ramirez36 envisagées pour homologuer la chaîne carbonée (Schéma I.22).

Schéma I.22

Les lactones M45a-M45d, initialement utilisées comme modèles pour tenter d’attribuer la configuration relative du fragment C17-C25 de l’hémicalide, n’ont donc pas été valorisées par la suite dans l’approche synthétique du fragment C1-C25 par l’équipe du Pr. Ardisson.

35 a) S. Ohira, Synth. Commun. 1989, 19, 561-564; b) S. Müller, B. Liepold, G. J. Roth, H. J. Bestmann, Synlett

1996, 521-522.