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4. Analyse et discussion des résultats

4.4 La désignation du personnage enseignant

En prenant en considération les noms et prénoms, les références professionnelles et les titres de civilités des enseignant-e-s présents dans les albums de jeunesse, l’auteur nous livre des informations de manière implicite. Il peut les caractériser par un nom et un prénom vraisemblables, ou en lien avec les défauts et qualités qui leur sont prêtés. Mais il peut aussi se borner à désigner le personnage par sa fonction professionnelle pour souligner son rôle

dans l’histoire. La présence d’un titre de civilité trahit, quant à lui, des informations concernant le statut matrimonial du sujet. Ainsi, il semble primordial de s’y attarder plus en détail.

4.4.1 Nom et prénom pour une relation privilégiée

« Nommer un personnage par son nom ou son prénom, et non simplement par sa fonction, où même son appartenance groupale de sexe ou d’âge, permet d’individualiser ce personnage » (Dafflon Novelle, 2002b, p. 94). Suite à l’analyse des ouvrages, treize enseignant-e-s sont personnalisés par un prénom qui se réfère, dans tous les ouvrages, à un sexe précis. Ce qui représente 25% de l’échantillon. Parmi celui-ci, les prénoms de sexe indéterminé ne sont jamais présents car ils se rattachent toujours à un sexe précis. Ainsi, Ignés, Lisa, Marie-Agnès, Martine, Sophie, Julie, Isabelle, Françoise, Amélie, Jeanne, Coquillette sont les prénoms utilisés pour désigner les enseignantes et Stanislas et Sam pour ceux des enseignants. Ces prénoms sont courants dans la vie réelle, ce qui facilite leur mémorisation par le lecteur et sa faculté à associer le prénom à un sexe. Cela va de pair avec les représentations illustrées des personnages, car, qu’il s’agisse de personnages animaux ou humains, elles permettent toujours d’en déterminer le sexe sans ambiguïté aucune. Plus que le prénom associé au sexe, il devient un indicateur des métiers possibles, chez le public enfantin, comme le montre Lorenzi Cioldi (1998) :

Des recherches expérimentales montrent ainsi que vers 2-3 ans, les enfants associent à des professions stéréotypées significativement plus de prénoms correspondant au sexe de la personne qui habituellement exerce chaque profession : des prénoms masculins sont plus souvent associés aux métiers de charpentier ou médecin, et des prénoms féminins sont plus souvent associés aux métiers d’infirmier/ère ou instituteur/trice d’école enfantine. (p. 101)

Cela explique le choix des auteurs de donner toujours des prénoms immédiatement réparables comme féminins car ils correspondent à la vision que les lecteurs se font de la figure enseignante.

Quant aux noms de famille, ils sont attribués à quinze personnages enseignants, ce qui représente 28,8% des représentations enseignantes. Si d’autres études mettent en évidence que

« les personnages sont généralement nommés par leur prénom ou un diminutif, il est très rare qu’ils soient nommés par leur nom de famille. Cela se produit par exemple pour désigner un adulte qui n’a qu’un rapport lointain avec le héros » (Dafflon Novelle, 2002b, p. 94). Dans le cas présent, le nom de famille apparait comme important, car l’enseignant-e est

majoritairement un personnage adulte secondaire, adjuvant ou opposant du héros de l’histoire représenté par l’enfant. Il est intéressant de relever que les noms attribués aux enseignant-e-s sont souvent représentatifs d’une particularité propre au personnage ou à son rôle dans l’histoire. L’illustration trois met en lien le nom avec une particularité physique de l’enseignante : Longbec pour parler d’un échassier au long bec. D’autres noms, comme Tirelire, Fontaine, Chevalet sont des objets de la vie quotidienne, Martinet désigne une particularité animale, et Toucru, Croquembouche, Sévère, Logre parlent d’eux-mêmes. Les auteurs se plaisent à jouer avec les mots : « Stanislas écrivit son nom au tableau : Stanislas Logre. Il dit très fort : - Je m’appelle Stanislas Logre. Oui, Logre ! vous avez bien entendu.

C’est mon nom. C’est un joli nom pour moi, parce que je suis un ogre » (Pinguilly, La Maitresse attend un bébé, 2005, p. 9). Le nom du personnage peut donc signaler de manière explicite les qualités et les défauts que l’auteur lui attribue.

ILLUSTRATION 3. – Gorbachev, Les poussins à l’école, 2003, p. 5

4.4.2 Une fonction professionnelle prépondérante

Les personnages enseignants, indépendamment de leur nature humaine ou animale, sont désignés, dans une majorité de cas (quarante-sept personnages enseignants sur cinquante trois), par la fonction professionnelle qu’ils occupent. Il semble probable qu’il ne suffise pas d’appeler le personnage par son prénom ou par son nom d’animal pour que les lecteurs comprennent son statut professionnel et son rôle dans l’histoire. Ainsi, les termes tels que maitresse désigne trente-sept personnages, maitre pour cinq personnages, institutrice pour trois et instituteur pour deux personnages et enfin, professeur pour un personnage. Ils rendent

ainsi explicite, aux yeux du lecteur, leur travail avec les enfants scolarisés à l'école primaire. Il semble pertinent de relever que le mot maitresse apparait au premier rang dans les récurrences textuelles concernant la figure enseignante (titre, textes, paroles). Le tableau suivant démontre qu’en analysant toutes les références textuelles faisant appel au personnage enseignant dans les quarante-quatre albums, le terme maitresse apparait cent cinquante-cinq fois. C’est le mot de plus de deux lettres le plus récurant.

TABLEAU 6. – OCCURRENCES DU MOT « MAITRESSE »

4.4.3 Un titre de civilité pour définir le statut matrimonial

La présence d’un titre de civilité est importante, car elle se retrouve chez dix-sept enseignant-e-s (quatre Mademoiselle, dix Madame et trois Monsieur). Si ce dernier ne semble pas poser de problème majeur puisqu’il s’adresse à toute personne de sexe masculin, il en va autrement pour le sexe féminin. En effet, si le terme madame désigne toute personne mariée de sexe féminin, celui de mademoiselle est employé pour nommer toute personne célibataire de sexe féminin. Ainsi, la femme se retrouve définie par son statut matrimonial à travers un acte juridique et social. L’existence de ces deux termes distincts pour désigner les femmes mariées et celles qui ne le sont pas peut représenter une discrimination à leur égard, puisqu’une telle différenciation n’existe pas pour les hommes. Idée rejointe par Michel (1986), car « faire apparaitre différemment les hommes et les femmes dans les manuels scolaires et livres pour enfants du point de vue de leur statut matrimonial (marié ou non) relève l’existence de stéréotypes sexistes » (p. 54). Si seule la coutume patriarcale est à l’origine de la persistance de cet usage discriminant, elle n’est en aucun cas une loi établie. Cependant, même si cette distinction relève des usages, être appelée Mademoiselle tout en ayant passé l’âge du mariage, connotait péjorativement la personne de vieille fille. Comme le montre l’illustration suivante provenant de l’album de DePaola (1989), le dessin de Mademoiselle Bonneton ne laisse pas de doute quant à l’utilisation du stéréotype de vieille fille. Elle apparait ici comme grosse, âgée et d’humeur peu encline à la plaisanterie.

ILLUSTRATION 4. – dePaola, Le grand artiste, 1989, p. 25

Mot Occurrences Fréquence Rang

maitresse 155 4% 1

La figure de la vieille fille est souvent représentée, de manière stéréotypée, comme pauvre, de physique ingrat, des cheveux gris relevés en chignon, et ayant voué sa vie à l’enseignement.

Ainsi, la seule façon pour une vieille fille était de se dévouer à la famille et surtout à l’éducation des enfants.