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1.5 Réseaux d’organisations sociales et collectives

1.5.1 Définitions et caractéristiques

De nombreux auteurs, tels que Lévesque et Mager (1995), René et Gervais (2001), Bernier et al. (2003), Bouchard (2005), Lévesque (2001, 2004, 2006), Rhodes, (2007) et Enjolras (2004, 2010), travaillant sur des domaines de recherche différents (l’économie sociale, la sociologie économique, le développement local et territorial, le management public, le travail social) s’intéressent aux réseaux d’organisations sociales et collectives comme un nouveau mode de régulation des services publics et d’intérêt général.

Le terme « organisations collectives » ou « entreprises collectives » est utilisé dans ce travail pour désigner les entreprises d’économie sociale, publiques et parapubliques. Selon la définition du CIRIEC :

[Le terme d’entreprise collective] désigne aussi bien des entreprises d’économie sociale que de l’économie publique. En d’autres termes, cette expression représente l’ensemble des structures et composantes des économies associative, communautaire, coopérative, mutualiste, parapublique, qui ont toutes pour but plus ou moins explicite le service de l’intérêt collectif ou général.19.

Lévesque (2009) souligne que les entreprises d’économie sociale et les entreprises publiques partagent plusieurs caractéristiques, dont une double mission, rentabilité économique et développement socioéconomique, et relèvent de deux processus démocratiques complémentaires, celui de la démocratie représentative pour les entreprises publiques et celui de la participation de leurs membres pour les entreprises d’économie sociale. De plus, ces entreprises soulèvent une même

question : comment les activités économiques peuvent-elles contribuer à la prise en charge de l’intérêt général?

La pratique de partenariat entre l’État et les autres acteurs de la société civile aboutissant à la formation des réseaux20 d’organisations collectives est considérée comme une nouvelle manière de

concevoir et de restructurer les rapports sociaux et économiques aux échelles locale, régionale et nationale (Lévesque et Mager, 1995) et comme caractéristique majeure du nouveau mode de gouvernance (Enjolras, 2010; Lévesque, 2006). Tel que souligné par Bouchard et Lévesque (2010: 8) :

[Le partenariat constitue] une autre voie d'expérimentation pour un nouveau mode de régulation. À la différence du communautarisme, il met en présence des acteurs qui ont des logiques d'action autonomes et différentes et qui, en même temps, recherchent des compatibilités pour la coopération. Ce faisant, il favorise la formation d'un capital intangible, voire d'un capital social constitué de savoirs (Deloncourt, 1993), de réseaux (Putnam, 1993, 1996) et de capacités de coopérer (Coleman, 1990).

Les réseaux produits par la mise en place de ces relations partenariales (ce nouveau mode de gouvernance) peuvent se définir comme des ensembles coordonnés d’organisations hétérogènes qui coopèrent et participent collectivement à un processus de production de services d’intérêt public (Lévesque, 2006). Dans le même ordre d’idées, Kapucu et Demiroz (2011: 550) soulignent:

Interorganizational networks are widely used in providing public services and sharing and allocating resources. Public, nonprofit, and private organizations are working together in network systems for better provision of services and public satisfaction.

Ces réseaux visent surtout la création de synergies entre les organisations concernées par les mêmes problématiques économiques et sociales. Selon Lévesque et Mager (1995), le recours au partenariat mixte (public, privé et tiers secteur) entraîne de nombreux avantages, tels que la complémentarité entre les actifs des différentes organisations partenaires, la création d’un effet de synergie, la création de

20 Selon, Enjolras (2010: 23) « le réseau constitue une forme organisationnelle qu’il est nécessaire de différentier des autres formes

organisationnelles, le marché et la hiérarchie, dans la mesure où il constitue "une forme d’organisation" où un ensemble d’acteurs qui réalisent entre eux des échanges durables et répétés tout en n’ayant pas à leur disposition une autorité organisationnelle légitime permettant d’arbitrer et de résoudre les conflits qui peuvent apparaître durant les échanges.Dans le cas d’un marché pur, les échanges ne sont pas durables, mais épisodiques, tandis que dans le cas de la hiérarchie, si les échanges sont durables il existe une autorité légitime pour trancher les différences entre acteurs. »

valeur ajoutée comme source d’avantages concurrentiels, faire face aux défis du développement social et aux multiples besoins de la société (Lévesque, 2001, 2006).

Avec l’instauration de ce nouveau mode de gouvernance des politiques publiques, le territoire local et les secteurs deviennent un lieu favorable pour ces nouvelles formes de collaboration entre diverses organisations participant directement ou indirectement au développement économique et social de leur milieu (Demoustier et Richez-Battesti, 2010; Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2005). Favreau et Lévesque (1996) précisent que la mobilisation des acteurs locaux se fait dans deux directions. En premier lieu, dans le sens d’initiatives locales visant à répondre à des problèmes que l’État et le secteur privé ne réussissent pas à résoudre. En deuxième lieu, dans le sens de milieux innovateurs (Bouchard, 2005). Pour encourager ces innovations, les institutions publiques tentent de plus en plus de renforcer les initiatives locales en appuyant des projets locaux en les finançant ou en leur offrant une expertise professionnelle (Lévesque, 2004).

En effet, ces réseaux sont considérés comme un moyen de développer des communautés. Provan et

al. (2005) considèrent les réseaux de collaboration composés des organisations publiques et celles du

tiers secteur comme un outil de développement important; ils permettent de répondre aux multiples besoins des communautés locales. Ces auteurs montrent comment renforcer les relations de partenariat entre ces deux partenaires hétérogènes (État et tiers secteur) et développer ainsi les capacités des communautés à se prendre en charge et à répondre à leurs besoins économiques et sociaux. Selon ces auteurs, l’une des stratégies adoptées pour répondre aux besoins des communautés, surtout dans le secteur de la santé et les services sociaux, est la formation des relations de coopération ou des réseaux entre des organisations publiques et celles du tiers secteur. En travaillant en réseau, ces partenaires peuvent acquérir des ressources variées et des expertises développées par d’autres organisations dans le réseau (O’Toole, 1997; Agranoff, 2007). Ceci contribue à l’amélioration de la santé et le bien-être des individus et des communautés.

Les réseaux d’organisations sociales et collectives ne sont pas simplement un outil de développement économique et social; ils sont également un moyen de rechercher et de développer des ressources communes. Par exemple, René et Gervais (2001) soulignent qu’un réseau d’organisations sociales est

un groupe de partenaires sociaux engagés d’une façon formelle et durable dans une action ou une démarche commune (par exemple un projet ou un programme majeur à développer). Leur objectif est donc cette création de projets communs ou d’une ressource commune. Dans ce genre de réseaux, la mission commune est définie comme la raison d’être de la relation de partenariat (Landry et Alii, 1999, cités dans René et Gervais, 2001). Cette mission consiste à participer à la réalisation de l’intérêt public et le bien-être des communautés servies (Proulx, 1997). Il y a donc une relation de complémentarité entre ces organisations de nature hétérogène. Pour Vachon (1993), ces réseaux se basent sur le partage du pouvoir de décision entre leurs différents partenaires et l’existence d’une solidarité dans l’action à travers la poursuite d’objectifs communs (Richez-Battesti et Gianfaldoni; 2004,2005). Évidemment, la collaboration active de tous les membres partenaires à des actions conjointes est nécessaire, car chaque organisation partenaire a son propre cadre de référence, sa propre lecture des réalités sociales, sa propre culture et sa propre légitimité sociale.

Généralement, malgré la multiplicité des types de réseaux d’organisations sociales et collectives, tel qu’indiqué dans la section suivante, ces réseaux ont des caractéristiques communes et spécifiques, telles que l’hétérogénéité des membres; l’autonomie et la complémentarité; l’adhésion volontaire des membres et leur engagement; la définition d’une mission commune et d’une vision partagée sur les problématiques sociale, économique ou territoriale. Nous développerons ces caractéristiques dans le point 5.3.

Le tableau ci-après présente un résumé de ce que nous retenons des écrits sur les réseaux d’organisations sociales et collectives.

Tableau 1.8 Portrait des réseaux d’organisations sociales et collectives

Définition Ensembles coordonnés d’organisations hétérogènes qui coopèrent et participent collectivement à un processus de production de services d’intérêt public (Lévesque et Mager, 1995)

Caractéristique majeure du nouveau mode de gouvernance (Lévesque, 2006; Enjolras, 2010).

Organisations partenaires

(membership) Organisations collectives hétérogènes appartenant à différents secteurs (public, privé d’ÉS et communautaire) Ces organisations sont très hétérogènes; cependant, elles partagent les mêmes objectifs tels que l’offre de services d’intérêt général.

Objectifs Créer des synergies entre les organisations concernées par les mêmes problématiques économiques et sociales (Lévesque, 2001, 2006).

Faire face aux défis de développement social et aux multiples besoins de la société Éviter les dédoublements de services.

Origines Multiplication des besoins sociaux et économiques Diminution des capacités de l’État providence Volonté de l’État de décentraliser pour mieux gérer

Instauration d’un nouveau mode de régulation des services publics et d’intérêt général

Nouvelle manière de concevoir et de restructurer les rapports sociaux et économiques aux niveaux local, régional et national

Complémentarité entre l’État et le tiers secteur et l’institutionnalisation de ce dernier.

Types (voir la section suivante

(1.5.2) Réseaux de collaboration, réseau de complémentarité et réseau d’alliance (White et al., 1994) Réseaux territoriaux, réseaux de santé et des services sociaux, réseaux de développement économique et social, etc. (type d’acteurs)

Réseaux mandatés et réseaux volontaires (Enjolras, 2010; Langley et al., 2007;).

Caractéristiques Complémentarité des ressources

Réalisation d’une mission commune d’intérêt général Organisations hétérogènes

Engagement volontaire des partenaires

Vision partagée sur une problématique sociale, économique ou territoriale

Chaque organisation a son propre cadre de référence, sa propre culture et sa propre légitimité sociale. Négociation et ajustement.

Enjeux et défis Tensions internes et résistance des différents membres Différences culturelles, structurelles et organisationnelles

Ressources financières centralisées entre les mains des institutions publiques (cas des réseaux administrés)

Plusieurs légitimités qui s’affrontent.