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Deuxième partie : Rôles des valeurs dans les modèles psychologiques et anthropologiques

Chapitre 1 : Les valeurs et leurs interactions avec les autres variables psychologiques

1.1 Définition de la valeur de santé

Plusieurs théories majeures qui touchent des aspects différents de la valeur de santé ont émergé ces dernières années. La définition de la valeur de santé est basée sur ces théories et dépend d’elles.

1.1.1 La valeur de santé dans la théorie des valeurs de Rokeach et de Schwartz

L’une des premières théories des valeurs à inclure la valeur de santé dans sa structure fut la théorie des valeurs de Milton Rokeach (Rokeach, 1973). Selon Rokeach, il y a deux types de valeurs : les valeurs terminales et les valeurs instrumentales. Les premières sont les buts, les objectifs de la vie et du comportement humain. La valeur de santé est définie comme terminale. Schwartz a poursuivi les recherches de Rokeach et sa conceptualisation selon laquelle les valeurs guidaient le comportement. Au lieu d’une distinction entre valeurs instrumentales et terminales, Schwartz (2003) a mis en évidence l’existence de 10 valeurs majeures (la tradition, la bienveillance, l’autonomie, la réalisation, l’universalité, la sécurité,

la conformité, l’hédonisme, la stimulation et la puissance, Figure 1). Ces valeurs sont, pour lui, organisées autour de deux conflits de motivation : l’ouverture aux changements vs la conservation ; le dépassement de soi (self-enhancement) vs l’autolimitation de soi (self-

transcendence).

Figure 1. Système universel des valeurs selon Schwartz.

Note. Schwartz, 2003 (p. 270)

La valeur de santé est placée parmi les valeurs de sécurité et, comme toutes les autres valeurs du système de Schwartz, a plusieurs caractéristiques de base :

1. Les valeurs sont des croyances (donc des structures cognitives) directement liées à l’affect.

Cette première caractéristique des valeurs proposée par Schwartz est largement discutée dans la littérature scientifique. La compréhension des valeurs (sont-elles des motivations ? Des croyances ? Des attitudes ? Des objectifs ?) définit leur relation avec les autres variables psychologiques et leur mode d’influence sur le comportement (directement ou à travers des médiateurs). Schwartz pense que les valeurs sont des croyances et, en même temps, des

concepts motivationnels. Elles sont des croyances qui expriment les motivations centrales de l’homme (organisées autour des deux conflits principaux de motivation décrits par Schwartz). Ainsi, Schwartz explique que les conflits de valeurs sont liés aux conflits de motivations qui sont à leur base (opposition de l’autonomie et de la dépendance, de la sécurité et du risque).

2. Les valeurs dirigent le comportement vers des objectifs désirables et servent de standards du comportement. Cette caractéristique des valeurs de Schwartz est partagée par les autres théoriciens des valeurs (e.g. Kluckhohn, 1951).

3. Les valeurs dépassent les actions spécifiques et les situations concrètes.

Cette troisième caractéristique signifie que les valeurs sont des motivations et des attitudes abstraites et générales. Ainsi la valeur est capable de guider un vaste nombre de comportements en même temps, mais, elle a besoin de médiateurs pour guider un type concret de comportement.

4. Les valeurs sont classées selon leur importance. La place d’une valeur dans la hiérarchie des valeurs définit les différences entre les personnes et les cultures.

L’idée que les valeurs sont classées selon leur importance n’est pas propre à Schwartz. En 1959, dans sa théorie, Maslow a proposé l’existence d’une hiérarchie des objectifs et des valeurs de chaque personne (Maslow, 1959). Puis, en 1961, Allport a émis l’hypothèse selon laquelle les valeurs de la personnalité sont classées selon leur importance (Allport, 1961). L’idée de classement des valeurs selon leur importance fonde l’échelle des valeurs de Rokeach (Rokeach, 1973).

5. L’importance d’une valeur par rapport à une autre valeur définit les actions. Le comportement ne peut pas être guidé par une seule valeur ou une seule motivation.

Cette définition du classement des valeurs montre que le comportement de santé est guidé par plusieurs d’entre elles. Ainsi, la valeur de santé ne doit pas être étudiée séparément des autres valeurs.

La théorie de Schwartz est considérée comme l’une des théories générales les plus répandues à propos des valeurs, mais certains auteurs ont décrit d’autres aspects pertinents.

1.1.2 Théorie du champ de Lewin

Lewin, dans sa théorie du champ, a supposé que les valeurs ne devaient pas être comprises comme les objectifs et les buts du comportement (Lewin & Cartwright, 1951). Il a expliqué qu’il n’y a pas de but « santé » ou « plaisir », mais qu’il y a des valeurs de santé et de plaisir. Les valeurs évoquent des activités différentes en direction des buts, qui sont des activités avec une valence positive (attirante) et négative (repoussante). La conception de polyvalence est une conception clé de la théorie de Lewin. Selon lui, le comportement est le résultat de l’interaction et de la contradiction de valences différentes.

La valence positive est liée aux émotions positives, tandis que la valence négative est liée aux émotions négatives. Ces émotions sont les indices de la proximité de l’objectif désirable. Les émotions négatives signifient l’éloignement, et les émotions positives le rapprochement de cet objectif. Lewin a illustré sa théorie avec la métaphore du champ : sur le champ de motivation, il y a plusieurs types de motivations qui guident le comportement avec des forces différentes. La valeur de santé correspond à l’objectif de préserver sa santé et de lutter contre la maladie. Mais il y a d’autres valeurs qui peuvent engendrer des actions inverses à celle de maintenir sa santé. Par exemple, le comportement « fumer » peut être influencé par des motivations différentes et parfois contradictoires : la valeur de santé (ne pas fumer pour maintenir la santé), la valeur de plaisir (fumer apporte du plaisir) et la valeur de reconnaissance sociale (fumer pour être accepté dans un groupe social).

La théorie du champ de Lewin et sa conception des valeurs ont influencé la théorie de Schwartz. Dans certains travaux de Schwartz, on peut ainsi constater qu’il a changé sa définition des valeurs : grâce aux valeurs, certaines activités ont une valence positive ou négative (Schwartz & Bardi, 2001).

1.1.3 École canadienne des valeurs de J. Perron

Une théorie des valeurs particulière a été développée au sein du laboratoire des valeurs de l’université de Montréal, au Canada, par Perron. L’auteur a réalisé une vaste analyse des recherches sur les valeurs et a conclu que les valeurs se composent de trois éléments : les cognitions, les affections et la volonté d’agir. Ce dernier élément signifie que la valeur n’est pas seulement une représentation cognitive, mais qu’elle influe sur la prise de décision et guide les actions (Perron, 1974).

Perron pose que toutes les valeurs sont classées selon trois niveaux différents (Figure 2). Au premier niveau, le niveau basique, où les valeurs universelles sont concentrées. Ces valeurs sont partagées par toutes les cultures et sont considérées comme des valeurs essentielles. La valeur de santé est l’une d’elles. Le deuxième niveau est appelé le niveau sectoriel. Les valeurs qui sont concentrées à ce niveau sont les valeurs de la vie organisationnelle (par exemple, les valeurs du travail, de l’éducation ou de la vie familiale). Le troisième niveau est un niveau de valeurs particulières, les valeurs de la personnalité (qui sont importantes pour l’individu dans sa situation de vie particulière).

Perron postule que la valeur de santé est une valeur de niveau universel. Ce postulat pose une question pour la recherche empirique sur la valeur de santé. Comment peut-on distinguer l’influence culturelle (l’importance que la société et la culture misent sur la valeur de santé) de la part personnelle que chacun accorde à cette valeur ?

Figure 2. Les constituants et les niveaux d’application des valeurs selon Perron.

Note. Perron, 1974, p. 25

La contribution de la théorie de Perron réside en une définition de la structure des valeurs (comme se composant des cognitions, des émotions et de la volonté d’agir).

1.1.4 La théorie de l’apprentissage social

La théorie de l’apprentissage social, développée en 1954 par Rotter, a inclus la valeur de santé dans sa structure (Rotter, 1954). Selon Rotter, la personne s’engagera dans un comportement donné si les résultats de celui-ci sont importants pour lui (ou correspondent à ses valeurs).

La théorie de Rotter était critiquée pour sa vision simplificatrice du comportement humain : en effet, le comportement n’est pas guidé par un seul objectif, il y a toujours plusieurs buts désirables (Shelton Smith & Wallston, 1992). Parfois, ces buts sont contradictoires et, dans ce cas, la théorie de l’apprentissage social n’est pas capable de prédire le comportement. Le comportement de santé n’est pas guidé seulement par la valeur de santé. Les recherches sur le comportement des sportifs ont montré que l’activité physique peut être évaluée comme ne relevant pas de la valeur de santé, mais de la valeur de statut social (Bulley, Donaghy, Payne & Mutrie, 2009). Cela veut dire que la valeur de santé n’est pas une valeur terminale (le but en soi, personnellement important), mais une valeur instrumentale (le but important seulement parce qu’il permet d’atteindre un autre but, par exemple le statut social). Elle est une valeur qui dépend de la valeur de statut social (la valeur principale pour la personne). La santé n’est pas le but de ce comportement de santé, contrairement à la reconnaissance sociale.

Souvent, la valeur de santé fonctionne comme une valeur instrumentale (pour atteindre d’autres objectifs importants). Par exemple, rester en bonne santé pour pouvoir développer sa carrière, avoir une famille et des relations sociales. Ainsi, la personne qui manifeste un comportement de santé n’estime pas obligatoirement la valeur de santé comme importante (Borsky & Sagen, 1959).