• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : L’ « enviro-sécurité » un domaine de recherche hétérogène Rivalités et

2. Structuration du champ et luttes symboliques : analyse des dimensions sociales et

2.1 Une définition difficile

D’abord, nous avons tenté de cerner l’identité globale du champ de l’ « enviro-sécurité ». Une tentative poussée par l’inconfort de ses acteurs à définir ce qu’il est. Le fait qu’il soit hétérogène est-il le signe d’une identité fragmentée ?

« Spécialistes des conflits », « politologues », « géographes », « économistes », « expert en sécurité », « internationalistes » ; nous avons rencontré plusieurs profils de chercheurs.

238 Nous verrons dans les chapitres suivants que c’est parce qu’ils sont des « passeurs de sens », circulant entre champ scientifique et politique (consacrant moins de temps aux publications scientifiques) qu’ils apparaissent moins important.

87

D’autres interviennent également : « anthropologues », « sociologues » ect… Certains se décrivent parfois seulement comme « environnementalistes ». Nous avons constaté que les chercheurs ne s’identifient pas à partir de leurs travaux sur l’ « enviro-sécurité ». Être chercheur sur l’« enviro-sécurité » ne constitue pas une identité particulière. La place qu’occupe l’« enviro-sécurité » dans l’ensemble des travaux des chercheurs que nous avons interrogés est limitée (du tiers à la moitié). De fait, comme l’indiquent les précédentes étiquettes, les chercheurs ne se définissent pas à partir de l’« enviro-sécurité » mais selon leur discipline de rattachement. A première vue donc, il est difficile de dire que l’« enviro- sécurité » constitue un domaine indépendant et distinct. C’est particulièrement clair si l’on regarde du côté de PRIO, puisqu’il s’agit d’un centre de recherche consacré aux Études sur la Paix ; l’environnement est une variable parmi d’autres dans l’étude des conflits. Si elles s’inscrivent dans la discussion sur la sécurité environnementale, les recherches conduites par le centre ont trait à d’autres dimensions : crises et insécurités alimentaires, urbanisation et mouvements de population. Ces dimensions sont d’abord connectées au premier pilier de la recherche à PRIO : les guerres civiles et leurs facteurs ethno-politiques. Dans ce cas, il semble donc difficile de parler de l’« enviro-sécurité » comme un domaine distinct de l’étude de la guerre et de la paix. De plus, l’« enviro-sécurité » s’est aussi implantée dans la discipline économique au sein de laquelle sont examinées surtout les conséquences du changement climatique, des variations météorologiques, et des catastrophes naturelles239. Le conflit y tient

un rôle secondaire.

L’« enviro-sécurité » n’est ni une discipline ni une spécialité. Son identité sociale est difficilement définissable240. C’est un réseau de recherche inter-disciplinaire reconnaissable

par deux questions centrales : le changement climatique est-il un risque socio-politique ?

239 Marshall Burke, Solomon Hsiang et Edward Miguel, « Global Non-Linear Effect of Temperature on Economic Production », Nature, n°527 (2015), pp. 235-239.

240 Dans l’analyse du chapitre 5, nous parlerons justement de l’« enviro-sécurité » comme un objet de savoir hybride, institutionnalisé de manière non traditionnelle.

88

Comment le changement climatique impacte-t-il les relations socio-politiques sur le plan national et international ? De manière exploratoire, nous avons mené une partie des entretiens sur le statut du champ (domaine) et sur sa survie dans le temps. Les chercheurs ont été invités à réfléchir au sens qu’ils donnent au terme de « champ ». Existe-t-il, à priori, un domaine de l’ « enviro-sécurité » ? Rares sont ceux qui ont répondu par l’affirmative241.

« There are a series of conversation happening with some of them actually connect … My sense is that there is a loose commonality of concern but different questions are being asked »242.

*

« There are overlapping small communities that often threaten to merge into one but never succeed to do so »243.

*

« A field? Well, I mean there is a general theme ‘environmental security’ you know, how environmental variables influence political conflicts. In that, that is a field as a whole. But there are different definitions, different conditions, and different effects. Sometimes you have a similar individual question but not the same cumulation of evidence that we would like »244.

*

« The field is organized as medical research; you have different groups looking at different questions. They are not rivals as they pursue complementary or different aspects of it »245.

*

« It is not a field because there is no prime movers, no agreed set up questions, no journals, no conventions or associations. It is not a subfield because people in it are in security, development so it’s a different kind of term »246.

*

« Whether the field survives is a matter of interaction between what happens in the world and what the scholars do. On the substance, there is no question in my mind whatsoever (appuyé) that the issues that relate environmental change to both conventional interstate and intra national security and the broader human security are generating increasing numbers of connections and increasing magnitude of severity. What the field does about it I have no idea! I’m not that optimistic because it looks like we keep shooting ourselves in the foot. The substantive issues will come to be appreciated but they will get managed within either conventional IR or development or security and people will feel no need to maintain a certain “sub-field” »247.

241 Souvent, le champ de l’« enviro-sécurité » est aussi une manière commune de désigner la recherche sans pour autant signifier l’existence d’une communauté réelle.

242 Entretien oral, 28 mars 2014. 243 Entretien oral, 27 janvier 2015. 244 Entretien oral, 17 février 2015. 245 Entretien oral, 31 octobre 2014. 246 Entretien oral, 27 janvier 2015. 247 Entretien oral, 27 janvier 2015.

89

On relève la difficulté de l’exercice de définition du champ. Si le thème général de sécurité environnementale semble faire consensus, l’interprétation de sa signification varie considérablement selon les approches et les chercheurs. La sécurité environnementale peut concerner la sécurité de l’environnement (protection et conservation) dans des situations de conflits, ou concerner la sécurité des États dans un contexte de dégradation de l’environnement (l’environnement comme « menace » sous l’angle de la compétition des ressources). De plus, la sécurité environnementale n’a pas le même sens si elle est envisagée dans le cadre de la politique étrangère et de défense (comment les conditions environnementales affectent les opérations militaires et la capacité de protection) ou si elle envisagée à travers le concept de sécurité humaine (protection des populations face aux changements climatiques). A partir de cette dernière perspective s’est également développé le concept de paix environnementale, et les travaux sur la construction environnementale de la paix (l’accent est mis sur le potentiel coopératif de la sécurité environnementale et non pas sur le potentiel conflictuel). Cela corrobore l’idée que plusieurs conversations ont lieu sans pour autant connecter les unes aux autres. Notons que les représentants de la version sécurité environnementale -sécurité nationale et internationale- s’étiquettent ainsi : science politique, réaliste conventionnel, internationaliste.

Sous l’apparente discussion relative à l’identité du champ, se joue implicitement une lutte pour la définition de la science, la délimitation des problèmes à analyser qui sert au mieux les intérêts spécifiques des acteurs248.

2.2 Dynamiques de conflits dans le champ de l’ « enviro-sécurité » : un climat de